jeudi 23 novembre 2017

Notes d'automne
Habitant depuis plus d'un an et demi au Japon maintenant, je me retrouve confronté, avec ce blog, au problème des marronniers. En termes journalistiques, le marronnier désigne un sujet qui revient chaque année, et qu'il est pratiquement impossible de ne pas traiter. Je ne suis certes pas journaliste, mais en essayant de partager avec vous, chers amis et famille, un peu de ma vie quotidienne au Japon, je risque fort bien de devoir vous raconter un peu la même chose tous les ans : il fait chaud en été, il fait froid en hiver, etc. Dès que ça devient barbant, il faudra que je songe à laisser tomber ce blog.
En attendant, je vais vous parler de l'automne, même si je l'ai déjà fait l'année dernière.
L'été s'est donc terminé, comme il se doit, par la saison des typhons, qui a marqué la transition vers l'automne. Je ne déteste pas les typhons, ils ont encore pour moi la saveur de l'exotisme. En plus, en cas de fort typhon, l'école est fermée pour raison de sécurité, et ça fait une journée de vacances. Si vous ne savez pas à quoi ressemble un typhon, regardez cette vidéo filmée en face de chez moi (je sais que pour certains d'entre vous, les vidéos ne marchent pas, je suis désolé !), et n'hésitez pas à monter le volume, c'est éloquent :
Il s'agit du typhon Lan, un costaud qui a tout de même fait sept morts.
N'empêche, une tempête comme celle-ci, ça nettoie bien le ciel, et le jour-même, les bourrasques qui s'éloignaient ont laissé apparaitre un magnifique ciel ensoleillé et pur de toute humidité, et j'ai ainsi pu revoir le mont Fuji qui avait disparu de mon horizon depuis le mois de mars.
Je ne l'avais pas remarqué l'année dernière, mais il semblerait que l'automne soit aussi la saison des araignées. De belle taille et de belles couleurs, elles tissent leurs immenses toiles un peu partout. Si vous êtes phobique, c'est le cauchemar, si vous êtes entomologiste, c'est le paradis. J'ai vu aussi quelques beaux spécimens de mantes religieuses, certaines sont assez grosses.

En octobre, c'est à présent une institution, le Japon fête Halloween. A l'école, j'étais responsable de l'organisation de l'évènement, ça m'a valu plusieurs longues journées de travail, plus quelques nuits à ressasser... Vous ne verrez évidemment aucune photo, mais j'avais - entre autres activités - transformé la classe de français en obakeyashiki, ces espèces de maisons hantées typiquement japonaises. J'étais très fier du résultat mais malgré tout un peu honteux d'avoir passé mon après-midi à terroriser les petits nenfants. En même temps, personne n'était obligé de pénétrer dans l'antre de la peur, alors bravo à ceux qui ont eu le courage. 
On a aussi fêté Halloween au 80's Café, et j'avais choisi pour l'occasion un costume d'homme sans tête, façon Sleepy Hollow. Le plus drôle, pour tout dire, c'est que je me suis changé à l'école après ma journée de travail (rassurez-vous, les élèves étaient partis et ne m'ont pas vu décapité), et que je suis allé jusqu'à Tôkyô dans cette tenue. J'ai donc pris le train tout seul (je n'ai pas résisté à l'envie de faire quelques selfies) puis j'ai traversé Akihabara avec mon beau costume horrible, et ça a été une sacrée rigolade de regarder la tête des passants, qui ne voyaient pas la mienne (et pour cause, ah ! ah ! ah !).
Après, au 80's, j'avoue que c'était moins drôle parce qu'en fait, j'y avais pas pensé avant (où avais-je la tête !) mais c'est pas super pratique de boire un coup ou de manger avec ce genre de déguisement, ça prend la tête. En plus, les copains ne me voyaient pas sourire et ils ont tous cru que je faisais la tête. Bon j'arrête.


En novembre, les averses se sont faites moins abondantes, et même si l'air s'est notablement rafraichi, le temps est devenu idéal pour faire des balades. Je vous ai déjà raconté ma revigorante excursion au mont Mitake. La semaine suivante, les copains et moi avons repris le train dans la même direction et avons poussé jusqu'à la gare suivante, Okutama. Il y a là-bas l'Okutama no Mukashi michi, c'est-à-dire l'Ancienne route d'Okutama. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une montagne à gravir, puisqu'on suit le cours d'un torrent, et que la pente est la plupart du temps assez douce, à part quelques passages bien ardus. On remonte jusqu'à un barrage qui retient un lac artificiel, principale attraction touristique de la région. Mais pour moi et mes copains, le gros plaisir, c'était les paysages sur le chemin, puisque nous sommes en pleine saison des kôyô. "Kôyô" est l'autre prononciation du mot "momiji", qui désigne la feuille d'érable et qui signifie littéralement "feuille rouge." Ce qu'on appelle kôyô représente donc plus généralement les couleurs de l'automne.
Un autre plaisir de la promenade, c'est que tout au long de la route, les fermiers vendent les kakis et les yuzus qui poussent dans leurs jardins. Le kaki, je pense que vous connaissez, on en trouve également en France. Le yuzu, c'est un citron japonais, très parfumé mais moins acide que le citron classique, et on peut le manger comme une mandarine. Quand je dis qu'ils vendent, "ils mettent à disposition" serait plus juste. On trouve sur le bord du chemin des barquettes avec des sachets tout prêts, une boite pour mettre l'argent, et on se sert soi-même, les fermiers sont rarement présents en personne. Et d'après ce que j'ai vu, aucun passant n'est tenté de partir sans payer, c'est une question de confiance et de respect. Cette pratique n'est pas réservée aux zones rurales, il y a la même chose à Nagareyama. Je ne voudrais pas être mauvaise langue, mais si en France, on laissait à disposition des fruits ou des légumes avec une boite pour déposer son argent, j'ai tendance à croire que et la barquette et la boite disparaitraient en un rien de temps. Mais c'est juste un préjugé, je n'ai jamais fait l'expérience.
Enfin bref, ça fait toujours du bien d'être en pleine nature, et sur le chemin du retour, on s'est tous profondément endormis dans le train.
Pour prolonger le plaisir des kôyô, je suis retourné au parc Rikugi-en, où les arbres aux feuilles rouges et jaunes m'avaient tant charmé l'année dernière, mais cette fois-ci, j'y suis allé de nuit. En effet, à cette saison, le parc ouvre ses portes jusqu'à 21h, et propose des illuminations pour permettre d'admirer la nature sous une autre lumière. Avec cet éclairage, il faut du matériel de pro pour réussir ses photos, aussi les miennes ne vous donneront qu'un vague aperçu de la beauté mystérieuse qu'on peut voir flotter dans la fraiche obscurité d'un soir d'automne...
Est-ce une araignée
qui pleure
le vent d'automne
Bashô

vendredi 10 novembre 2017

Le mont Mitake
Une des choses qui me plait tant dans la vie tokyoïte, c'est la facilité qu'on a de pouvoir s'en échapper ! Imaginez : vous êtes en plein Shinjuku, ses néons, sa foule, ses bars... Vous prenez le train, et une heure après, vous êtes au milieu de la montagne. A Paris, même en allant au bout des lignes de RER, on n'est jamais aussi dépaysé. On arrive simplement là où il n'y a rien, c'est glauque. Laissez-moi vous raconter une de mes excursions dans la grande banlieue de la capitale.
Par un samedi matin tout endormi, on s'est retrouvés avec les copains et on a pris le train direction l'ouest. C'est assez surprenant de voir les voyageurs de tous âges s'entasser dans les wagons, majoritairement des Japonais, certains équipés de pied en cap comme pour gravir le Fuji, d'autres simplement munis d'une paire de baskets et d'un appareil photo. Il faut un peu plus d'une heure pour rejoindre la station Mitake, mais au bout de 45 minutes, le paysage qui défile à la fenêtre n'a déjà plus rien à voir avec celui qu'on vient de quitter. Les maisons s'éparpillent pour que le relief laisse pousser les bosses comme autant de pyramides recouvertes de pins.
Arrivé à Mitake, il faut encore prendre une navette - bondée - pour atteindre le point de départ de la balade, ou bien, gaillard et vaillant, on peut effectuer ces trois kilomètres à pied, ce qu'on a fait mais ça use les souliers. On franchit quelques toriis, ces portails marquant l'entrée sur le territoire des dieux, et c'est parti. Il existe bien un funiculaire conduisant au sommet, mais c'est pas pour ça qu'on était venus ; pour nous la rando, c'est la marche à pied. Et la seule copine qui se serait bien laissée tenter, malgré tout, par l'option mécanique s'est ravisée d'office, de peur qu'on lui jette du goudron et des plumes, ou peut-être, plus simplement, parce que le funiculaire, tout compte fait, c'est moins sympa (on n'est pas méchants, on lui aurait rien fait).
C'est vrai que ça monte raide, mais tout le chemin est couvert de bitume comme une vraie route, c'est pas compliqué. Ça manque d'ailleurs un peu, à mon gout, de vie sauvage, de parfum d'aventure. Certes, on est en pleine nature et ça fait du bien, mais on risque pas de voir un ours. Au niveau de la météo, on a eu le temps idéal : ni trop chaud ni trop froid, beau soleil en sous-bois, en tout cas au début... 
L'avantage de faire des sorties entre copains, plutôt que de s'inscrire pour s'intégrer à un groupe (comme j'avais fait pour le mont Takao), c'est qu'on connait d'avance les gens avec qui on s'embarque pour plusieurs heures, et il n'y a pas de mauvaise surprise comme par exemple un Russe qui parle tout le temps mais vraiment tout le temps et qui fait des blagues à deux balles à faire rougir Vincent Lagaffe. Non, avec les copains, c'est vraiment une bonne ambiance, chacun sa personnalité, pas besoin de se la ramener, tout le monde a sa place.
Le mont Mitake culmine à environ 930 mètres. En marchant tranquillement, on arrive au sommet en moins de deux heures. Comme souvent, la montagne est couronnée d'un sanctuaire, on n'oublie jamais que la nature est sacrée. L'automne est maintenant bien installé, et le paysage se colore d'or et d'ocre, quelques érables flamboient d'un vermillon qui répond aux teintes éclatantes du sanctuaire.
La nature environnante ne déçoit pas non plus, et même si la densité de la foule nous oblige parfois à faire la queue pour traverser certains passages étroits du sentier, on savoure à pleins poumons la fraicheur de la forêt, c'est le plus important.
Pour le retour, on a opté pour un petit sentier, et là, surprise, plus un seul promeneur, à part nous ! On a juste croisé quelques crabes d'eau douce, la vie sauvage était donc finalement bien au rendez-vous.

Mais revenus à la vallée, on a compris pourquoi on était les seuls à avoir choisi ce chemin pour redescendre. On a trouvé sans problème l'arrêt de bus d'où on était censés pouvoir rejoindre la gare, mais qui dit arrêt de bus ne dit pas forcément bus... Alors qu'on en avait plein des guibolles et qu'on avait tous hâte de rentrer se reposer, le prochain bus était prévu pour passer... plus d'une heure plus tard !
Moi, j'avais vraiment pas envie de poireauter au milieu de nulle part pendant tout ce temps, d'autant plus que j'avais programmé des choses sur Tôkyô le soir-même, et que je devais me presser de rentrer. J'ai donc dit au revoir aux copains, et je suis parti seul sur la route qui serpentait entre les montagnes. J'ai traversé quelques villages déserts, et j'ai super kiffé ce moment de solitude. Même s'il commençait doucement à faire sombre et que la pluie tombait de temps en temps. J'ai tendu mon pouce aux rares voitures qui passaient, ça m'a rappelé ma jeunesse. J'ai fini par être pris en stop par un jeune couple. On m'avait dit que l'auto-stop ne marchait pas au Japon, que c'était pas dans la culture, etc. Depuis que j'habite ici, c'est la troisième fois que je m'y essaye avec succès, et ces rencontres éphémères et aléatoires me remplissent toujours de la même joie.
La gare de Mitake était trop loin, il aurait fallu contourner toute une partie de la montagne par la route, alors mes hôtes automobilesques m'ont déposé à la première gare et c'était parfait. J'ai bien dormi dans le train, et j'ai pu rallier Tôkyô à l'heure. Comblé d'air pur et de bonheur en barre.