dimanche 20 mai 2018

Shibazakura et Narusawa
Est-ce lié à leur identité insulaire, je l'ignore, mais les Japonais, d'une manière générale, sont assez nippo-centrés, j'entends par là qu'ils s'intéressent en priorité à leur propre pays, et j'en ai rencontré beaucoup qui n'avaient jamais mis les pieds hors de l'archipel. Non pas que les autres cultures ne les attirent pas, ils sont même nombreux à éprouver une certaine fascination pour l'altérité, et à ce titre l'Europe et plus particulièrement la France représentent souvent pour eux une espèce de mythe, une incarnation de l'étranger, au sens étymologique du terme (il s'agit sans doute du même type de fascination que j'éprouvais réciproquement pour le Japon avant de quitter ma France natale) ; mais disons que l'attachement national reste assez fort, et qu'avant d'aller découvrir ce qui se passe ailleurs, les Japonais préfèrent commencer par regarder ce qu'ils ont sous les yeux. On trouve donc logiquement une offre très vaste en matière de tourisme local, et bien que ce business cible plus précisément les autochtones, les étrangers dans mon genre et les touristes de passage sont fort heureux de pouvoir en profiter. Pour conclure ma Golden Week, j'ai ainsi réservé une sortie en car pour aller au Shibazakura Matsuri, le festival des shibazakura. En arrivant au point de rendez-vous, j'ai pu constater à quel point ce type d'excursion était populaire, car des dizaines et des dizaines de personnes étaient en train de rejoindre leur groupe, et rien que pour la sortie qui me concernait, deux cars (complets) étaient affrétés.
Les shibazakura (littéralement cerisier-pelouse) sont de charmantes petites fleurs dont la couleur va du rose au violet. Je ne sais pas si on en trouve en France, la traduction anglaise est moss phlox, et tout ce que j'ai trouvé en français, c'est phlox mousse, je n'avais jamais entendu parler de ça avant. Le festival en question n'est pas un festival au sens où on l'entend habituellement, mais plutôt une sorte de hanami des shibazakura. Le problème, c'est qu'on était à la fin de la Golden Week, et que les Japonais, eux aussi, avaient la ferme intention de profiter de leurs vacances jusqu'au bout... La route était saturée de voitures, et il nous a fallu pas moins de quatre heures pour arriver au pied du mont Fuji, où le parterre de fleurs était planté ! Je n'en pouvais plus ! Quatre heures à faire du surplace, coincé dans les embouteillages !
Bon, je suis quand même bien content d'avoir pu profiter du spectacle, c'était très beau, et en plus la météo était splendide. Allez, voici les photos...








Le circuit en car prévoyait aussi la visite d'une grotte spéciale, Narusawa. Je n'ai pas bien compris le phénomène géologique qui, bien que cette grotte soit peu profonde, y maintient la température à zéro degré presque toute l'année. On enfile un casque (le plafond est très bas !), et on descend faire un petit tour voir ce qu'ils appellent le "lac de glace". Le nom est alléchant, la vérité un peu moins. Il y a juste de la glace au fond de la grotte, quoi... C'est une petite visite rigolote, qui ne vaudrait pas le coup à elle toute seule, mais c'était sympa, je ne regrette pas, et puisque c'est sur la route, pourquoi pas.







A propos de route, celle du retour était tout autant bouchée que celle de l'aller, et il nous a fallu annuler la troisième visite (un temple) incluse dans le circuit. J'étais fâché, je boudais. Surtout que bien sûr, on a mis encore quatre heures pour revenir sur Tôkyô... C'est ça aussi, la Golden Week !
"Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé..."
(Le petit prince)

samedi 12 mai 2018

Naoshima et Takamatsu
Quelle frustration, pour moi, que d'écrire cet article sans pouvoir vous montrer de photo ! Je vais quand même tenter de vous raconter...
Fin avril et début mai, le calendrier nippon connait une concentration de jours fériés très rapprochés, et souvent, les Japonais en profitent pour poser des congés et faire le pont, et ainsi s'octroyer une semaine complète de vacances. Ça s'appelle la Golden Week. Normalement, les écoles ne font pas le pont, mais je travaille dans une école privée, et j'ai donc eu droit, moi aussi, à ma Golden Week. J'ai pris l'avion jusqu'à Okayama pour aller visiter Naoshima.
Naoshima est une petite ile située vers le sud de Honshû (la plus grande des iles qui forment l'archipel japonais), entre les villes de Kôbe et de Hiroshima. La particularité de cet endroit est d'être dédié à l'art contemporain. Puisque c'est une ile, on y accède par bateau, ce qui procure un sentiment d'évasion bien agréable. Dès l'arrivée au port, on est accueilli par une citrouille de Yayoi Kusama, la visite commence.
Le mieux, pour se déplacer à Naoshima, c'est de louer un vélo. Et comme le relief est assez montagneux, un vélo électrique, c'est mieux ! Un coup de pédale et zou ! on monte les côtes comme un dopé du Tour de France ! Mais pas de bol, alors qu'il faisait très beau les jours précédents et les jours suivants, le temps est resté couvert toute la journée de ma visite. Ce n'est pourtant pas la météo bretonne (ciel plombé de gris et lourd crachin) qui aurait pu gâcher mon plaisir de rouler au son du clapotis mouillant la grève par touches légères. Le vélo est d'autant plus appréciable qu'il permet de s'aventurer, un peu au hasard, sur les petites routes de l'ile, en pleine nature, et de tomber nez à nez avec des sculptures monumentales, plantées là, au milieu de nulle-part.
Le premier musée que j'ai visité est le Chichu Museum, autrement dit le musée souterrain. En effet, le bâtiment doit son nom au fait qu'il est entièrement implanté dans le sol, on ne le voit pas de l'extérieur (sauf si on est équipé d'un drone), puisque ses seules ouvertures sont les puits de lumière tournés vers le ciel. Dans le bâtiment, la clarté est toutefois tout à fait suffisante. L'architecte qui en est à l'origine est le célèbre Tadao Andô. Déambuler entre ces murs est déjà en soi une expérience, et comme je le disais, je suis bien frustré de ne pas pouvoir vous montrer de photo, puisqu'il est interdit d'en prendre dans le musée. Sinon, je me serais lâché. On a véritablement la sensation que l'espace est sculpté. A l'origine, je ne suis pas un fan du béton brut, je trouve que ça fait "pas fini", mais ici, le gris uni confère à l'ensemble un aspect épuré extrêmement reposant. On a l'impression de bouger différemment, et même de respirer différemment. L'espace et la lumière, ce sont vraiment les mots-clés du Chichu Museum, l'espace et la lumière en tant que matériau artistique. Très peu d'oeuvres sont présentées dans ce musée, et outre l'architecte en lui-même, seuls trois artistes connaissent le privilège d'être exposés ici. Il y a par exemple une grande pièce, blanche du sol au plafond (on enfile des chaussons avant d'entrer), à l'ambiance feutrée, où même le personnel est vêtu de blanc, on dirait presque que les guides font partie de l'installation, et sur les murs, ce sont des Nymphéas de Monet qui sont présentés à la lumière naturelle. Le fait de les voir ainsi, dans cet espace, est donc une expérience unique, intrinsèquement liée aux conditions météorologiques du jour.
L'oeuvre qui m'a le plus marqué, c'est un espace indigo, une sorte de chambre vide dans laquelle on peut pénétrer. L'éclairage y est uniforme, et aucune arête, aucun point de repère ne permet d'appréhender les dimensions de la pièce. On est totalement noyé dans l'indigo, c'est troublant, envoutant, j'ai adoré.
Ensuite, je suis allé visiter le Benesse House Museum. J'ai là encore beaucoup aimé le bâtiment, lui aussi signé Tadao Andô, mais beaucoup moins les oeuvres exposées. La journée touchait déjà à sa fin, et je n'ai hélas pas eu le temps de visiter toutes les autres installations de l'ile. J'aimerais y retourner pour voir en particulier le musée consacré à Tadao Andô et le Teshima Art Museum. J'ai quand même aperçu ce bain public dont l'entrée est elle aussi une oeuvre d'art ! Bref, Naoshima est riche en surprises et en expériences artistiques, à découvrir absolument. Pour tout dire, cette visite était depuis plusieurs années sur ma liste des choses à faire au Japon... c'est fait !
Pour le retour vers le port, la météo bretonne est devenue normande (il s'est mis à pleuvoir des hallebardes), et en vélo, c'était nettement moins sympa. Les capes de pluie ne peuvent plus faire grand-chose dans ces conditions, et mon amie et moi étions trempés jusqu'aux os. En plus, comme il n'y a pas de panneaux indicateurs sur la route, j'ai un peu galéré pour retrouver mon chemin. Et puis dans un virage, ce qui devait arriver arriva, mon amie s'est plantée à cause de la chaussée glissante, à plat ventre sur le bitume, le nez dans la flotte. Elle s'est abimé le genou, ce qui l'a mise d'une humeur massacreuse. Il était vraiment temps de rentrer.
Bon, on a raté un bateau à cinq minutes près, et on a dû poireauter une heure et demie pour embarquer dans le suivant. Il faisait pas chaud. Bon. Revenus sur la terre ferme, il a fallu encore prendre le bus pendant une heure pour rentrer sur Okayama. Bon. On était bien contents d'arriver à l'hôtel et on a bien dormi !
Le lendemain, le ciel s'était considérablement éclairci. Il faut dire qu'un vent à décorner les bœufs avait chassé les nuages ! Mon amie voulait profiter de notre passage dans le coin pour aller à Takamatsu rendre visite à des copains de longue date. On a donc pris le train et on a encore traversé la mer, Takamatsu se trouvant sur Shikoku (la plus petite des quatre iles qui forment l'archipel japonais). Quel plaisir, sur la route, que de se plonger dans ces paysages ! De nombreux ilots, des rochers couverts de verdure et bordés de mini plages, parsèment ça et là la mer intérieure de Seto, et en les apercevant, on se met à rêver de passer quelques jours à jouer les Robinson. Le littoral de Shikoku est tout en collines et en vallons, on ne sait plus très bien si on est au bord de la mer ou si on approche de la montagne.
























La spécialité de Takamatsu, ce sont les udon, des pâtes de froment. On a donc débuté la visite par se faire un petit resto, une cantine plutôt, bruyante et animée, à l'ambiance conviviale et familiale, ça commençait bien. On a ensuite voulu prolonger le plaisir en ralliant une autre cantine, très réputée, mais assez isolée, en pleine campagne, très éloignée du centre ville. Et là quelle surprise, il y avait déjà au moins une centaine de personnes qui attendaient devant les portes ! Le parking était bondé, et sur le bord de la route, des employés agitaient des panneaux annonçant que la salle était complète alors qu'elle n'était pas encore ouverte ! Je ne saurai donc jamais si ces udon sont à la hauteur de leur réputation...
On a continué la journée en visitant un immense et magnifique parc traditionnel, dont les centaines de pins font vibrer l'air d'une infinie gamme de verts, les peintures impressionnistes ne sont pas plus exaltantes. J'ai pris des dizaines de photos, mais aucune image ne saurait retranscrire la richesse du panorama.
Quand, au milieu de ce décor enchanteur, on croise une jeune fille en costume traditionnel, l'instant est véritablement magique, et même les Japonais, pourtant habitués, se laissent charmer par cette vision onirique digne d'une estampe ancienne.


On a terminé la promenade par une petite marche au bord de la mer, histoire de faire le plein d'air iodé, un grand bol de frais dans les bronches et dans le cerveau. Allez, c'est l'heure de remonter dans le train, on retourne vers Okayama pour prendre l'avion, hop. Mais non, en fait. Il y avait trop de vent, presque autant qu'en cas de typhon, et les trains ne circulaient plus. Aïe. Nos adorables amis nous ont alors emmenés en voiture jusqu'à l'aéroport ! Ça faisait pourtant une belle petite trotte, plus d'une heure de route, mais ils n'ont pas hésité ! Et comme l'avion avait du retard, on est arrivés largement en avance. L'aéroport de Okayama est le plus petit qu'il m'ait été donné de voir, je suis sûr que même celui de Beauvais est plus grand.
On a fini par embarquer, et le chemin jusqu'à Tôkyô nous a semblé bien long. Voilà, deux belles journées de vacances typiques de ma vie japonaise, si courtes et pourtant si bien remplies. Mais il me restait encore quelques jours de congés. Je vous raconterai une autre fois la fin de ma Golden Week.