dimanche 20 novembre 2022

Compétition de kendô

 Comme je vous le disais dans mon précédent article, je travaille beaucoup en ce moment, et je n'ai pas trop de temps pour mes loisirs, et donc pas trop de choses à vous raconter. Soit dit en passant, ce n'est pas un problème, vu que je m'éclate bien dans mon boulot. Mais histoire de vous donner quelques nouvelles tout de même, j'ai décidé de vous raconter aujourd'hui ma compétition de kendô, même si ça date déjà de plus d'un mois.

Le 10 octobre dernier, j'ai participé à ma première compétition de kendô au Japon (certains d'entre vous l'ont suivie en direct sur Instagram). Si vous ne savez pas très bien ce qu'est le kendô, je vous renvoie ici au billet que j'y avais consacré il y a quelques années. En très résumé : c'est l'escrime japonaise.
J'avais déjà eu plusieurs fois l'occasion de prendre part à des compétitions à l'époque où je pratiquais en France, et j'en gardais un bon souvenir malgré des résultats rarement glorieux. C'est l'ambiance qui m'attirait, plutôt que le podium. C'est une évidence : je n'ai pas l'esprit de compétition. Être plus fort que les autres, être le premier, ça ne me parle pas beaucoup. Bien sûr, je suis conditionné par ma culture, et je n'échappe pas totalement à ce désir de voir mon nom en tête de classement (compétition, mais aussi meilleur élève, meilleur professeur, etc.), et au plaisir ressenti quand j'y parviens, et à une certaine forme de déception quand je n'y parviens pas. Pourquoi "une certaine forme" ? Parce que là n'est pas l'essentiel pour moi. Quand je dis que je n'ai pas l'esprit de compétition, c'est que mon objectif est avant tout d'y être et de faire de mon mieux, pas de battre les autres. Je crois que je deale pas trop mal avec la notion d'échec, que j'intègre volontiers à mon apprentissage, sans pour autant tomber dans le déni quand l'insuccès me tombe dessus. Tout ça pour dire que je suis très coubertinien et je pense que l'important, c'est de participer. D'aucuns diront que je n'ai pas la gagne, que je manque d'ambition, et j'accepte la remarque, mais ça ne fait pas non plus de moi un looser. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est d'être plus fort que moi-même. Mon plus grand adversaire, c'est moi. Je veux contrôler mon corps. J'aime me surpasser, donner le meilleur de moi-même, sentir que je fais les choses bien, sentir que je me maitrise. Si mon adversaire l'emporte, tant mieux pour lui, ça ne change pas grand-chose pour moi. Ce qui me fruste n'est pas tant de perdre que le sentiment d'avoir été inférieur à moi-même, à ce que je me considère capable de produire. Mais bien sûr, je ne boude pas mon plaisir si je gagne, car je peux considérer la victoire comme un marqueur de mon application. Ce n'est pas parce que je n'ai pas l'esprit de compétition que j'y vais pour perdre !
Bref.

Quand mon maitre - oui, ça fait drôle de parler comme ça, alors disons plutôt : quand mon sensei m'a proposé de participer à une compétition locale, je n'ai pas hésité. Il s'agissait juste d'une petite compétition réunissant tous les clubs de Nagareyama, car oui, les arts martiaux restant très populaires au Japon, il y a pas mal de clubs dans ma ville. J'avais très envie de voir comment se déroulait une compétition sur les terres natales de cette pratique, et de comparer les usages en France et au Japon.
Petite digression, avant d'aller plus loin. Vous avez peut-être remarqué que je rechigne à utiliser le vocable "sport" pour parler du kendô, même si je ne me l'interdis pas complètement. La raison en est que j'ai eu la mauvaise idée, un jour, d'employer ce mot, "sport", devant mon sensei d'autrefois, en France. Il a aussitôt vivement réagi (il avait bu un peu trop de saké) en disant que nous n'étions pas des sportifs mais des pratiquants d'arts martiaux. A l'époque, je n'avais pas bien saisi la nuance, mais avec la maturité, je comprends mieux ce qu'il voulait dire. Le kendô s'inscrit dans une longue tradition, et conserve de nombreux aspects historiques, à commencer par l'armure, héritée de celle des samouraïs. Un art martial se rattache à une philosophie, voire à une spiritualité, et pour cette raison, il est encadré de nombreux rituels très codifiés. On ne fait pas du kendô comme on fait du jogging, juste pour être en forme. Il y a une véritable quête dans la voie du sabre...
Fin de la parenthèse (sinon, je pourrais partir des heures sur ce sujet).

Je suis donc arrivé à la Kikkôman Arena, le gymnase où la rencontre avait lieu, avec plusieurs heures d'avance, afin de sentir un peu l'ambiance, et de me préparer mentalement au combat. J'ai pu observer le déroulement et m'imprégner de l'atmosphère, et j'ai constaté qu'il n'y avait pas de différence majeure entre ce type d'évènement en France et au Japon. Comme je m'y attendais, j'ai retrouvé les gens de mon ancien club. Zut, je suis encore obligé de faire une digression. A mon arrivée au Japon, j'ai pratiqué pendant plusieurs années dans un club situé pas loin de chez moi et de l'école où je travaillais. Mais comme j'ai déménagé et changé de travail, quand j'ai voulu me remettre à l'entrainement en mars dernier, après une pause de plusieurs mois, j'ai trouvé un club plus proche de mon nouveau domicile, dans le quartier d'Edogawadai. Je dois avouer que même si j'ai été poliment accueilli dans mon nouveau club, je préfèrais largement l'ambiance de l'ancien, beaucoup plus chaleureuse. Et comme de fait, tous mes anciens partenaires m'ont salué très amicalement, et j'étais très heureux de les revoir.

Au fur et à mesure que le moment de combattre se rapprochait, la pression a commencé à monter. Pas trop de pression, car comme je vous l'expliquais, les enjeux étaient assez limités pour moi. De plus, étant donné les résultats peu éclatants de mes compétitions précédentes, il aurait été illusoire et même franchement naïf de m'imaginer conquérir un titre. Mais pression un peu tout de même, liée à mon désir de produire du beau kendô, du kendô dont je me sente digne. Même si je n'ai pas l'esprit de compétition, j'aime participer à des compétitions, parce qu'on peut combattre en conditions réelles. A l'entrainement, on est là pour apprendre, pour progresser. On essaye, on rate, on recommence, on tente autre chose, et le partenaire fait pareil. Marquer un point ou en prendre un n'a aucune importance, d'ailleurs on ne compte même pas les points. Bref, à l'entrainement, on s'entraine. En compétition, plus question d'essayer pour voir, et encore moins question de se laisser marquer un point. Dans ce face à face, c'est tout le travail en amont qui se concrétise. Ce n'est plus de l'entrainement, c'est du combat. C'est là qu'est l'essence du kendô. Il y a un côté "maintenant ou jamais", "la vie ou la mort", et ça me plait. C'est là que bat le cœur du samouraï. D'où la pression. Or, si je gère plutôt bien l'échec, je gère plutôt mal le stress ! Ça aussi, ça fait parti des choses que je dois combattre en moi-même.
Enfin, mon tour arrive, et là, en entrant sur le shiaijô (l'espace de combat), je découvre mon adversaire. Il s'agit d'un homme de mon ancien club, et j'ai eu l'occasion de m'entrainer de nombreuses fois avec lui. Je connais donc bien son niveau, et je ne peux ignorer qu'il est largement supérieur au mien. Je crois bien que ce monsieur est 5e dan, alors que je ne suis que 3e dan. Vous imaginez à quel point ma confiance en moi - pourtant indispensable - a soudain fléchi ! Certes, il m'est déjà arrivé de placer de jolis coups contre lui, et dans l'absolu, tout est possible... mais dans l'absolu seulement ! Là, soudainement, le cœur du samouraï a fait prout !
Précision technique, pour ceux qui ne connaissent pas les règles : j'ai un ruban blanc dans le dos, mon adversaire en a un rouge. Les arbitres ont un drapeau de chaque couleur dans chaque main, et quand ils estiment qu'un point est marqué, ils lèvent le drapeau correspondant.
Allez, on y va. Salut rituel. Hajime ! (Commencez !) En garde. Je me concentre. Nos sabres se sondent. Nous portons la première attaque en même temps, c'est très rapide. Et là, je vois les drapeaux des trois arbitres qui se lèvent : un point pour mon adversaire ! Sérieux ? Déjà ?! J'ai rien vu ! J'ai rien senti ! On se remet en place. En garde. Hajime ! Bon, s'il marque encore un point, c'est fini. Je dois résister. Alors je résiste. Je fais de mon mieux. Attaquer droit. Bien pousser sur les hanches. J'observe. Je ne dois pas penser, je dois sentir. J'attaque, je pare. En compétition, les combats sont très courts, environ trois minutes, mais intenses, aussi bien mentalement que physiquement. On est hyper concentré, et on se donne tellement à fond qu'on en ressort totalement essoufflé. Enfin, mon adversaire, ça va, il a pas l'air trop épuisé, lui ! Je vois ses yeux qui sourient ! Ah, c'est sûr, pour lui, la compet' commence plutôt bien. Comme un échauffement, en fait. Au bout d'environ une minute, il marque un nouveau point, c'est terminé. Fin du tournoi pour moi. Je n'ai pas vraiment eu le temps de prendre du plaisir, mais pendant la durée de l'affrontement, je n'étais à rien d'autre que ce que je faisais, dans l'instant présent, c'est déjà bien.
Je passe la fin de la journée à observer les combats des autres. Mon adversaire, quant à lui, finit premier de notre groupe, il était vraiment fort. Je n'ai pas de regret à avoir, et ça tombe bien : je n'en ai pas. J'ai fait ce que j'ai pu, et je n'ai pas pu grand-chose. Mais en fait, je suis content. Je suis content d'être là, je me sens bien. Ma copine Laura me rejoint avec sa mère et je suis ravi de pouvoir partager ma joie avec elles. Oui, ma joie. Je n'ai qu'une envie : recommencer.

Que dire en conclusion ? Je peux peut-être citer les mots de ma chère Aurélie, qui m'a suivi depuis la France sur Instagram tout au long de cette journée. Mon Aurélie, qui m'a vu commencer le kendô à Issy-les-Moulineaux, et qui me voit maintenant 3e dan participant à une compétition au Japon ; ses mots : "Que de chemin parcouru..." Il est là, sans doute, l'essentiel. Merci, Aurélie, de l'avoir si bien résumé.
(Ce billet est assez différent des autres, plus personnel, j'y parle beaucoup plus de moi que du Japon. J'espère que cette lecture vous aura quand même intéressés. N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires et de vos sentiments.)