samedi 31 décembre 2022

Une pause

 Enfin une pause !
Depuis le mois de septembre, j'ai travaillé comme un Japonais, c'est-à-dire beaucoup, et je commençais à ressentir sévèrement les effets de la fatigue. Pour recharger ses batteries, rien de tel qu'un petit détour par le onsen.

C'est la troisième fois que je me rends à Yugawara. Les onsen y sont assez réputés, et ce n'est pas très loin de Tôkyô, deux heures de train maximum (il y a des trains plus rapides, mais ça coute plus cher, et quand l'objectif est de prendre son temps, à quoi ça sert d'aller vite ?). Un onsen, j'en rêvais depuis des mois ! Certes, il y a bien le spa qui s'est ouvert près de chez moi, mais un vrai onsen, c'est tout de même autre chose. Pas un truc qui ressemble à une piscine municipale, mais un petit établissement où les gens viennent en famille. J'aurais même préféré un établissement encore plus petit, avec juste quelques chambres, mais tout était complet quand j'ai réservé, alors je me suis rabattu sur ce simple hôtel, qu'on peut néanmoins appeler ryokan, même si le côté traditionnel est moins marqué que dans une petite auberge.

En général, on ne passe qu'une nuit au ryokan, mais je trouve que - même si ça fait déjà du bien - ça ne suffit pas pour totalement décompresser. Deux nuits, là, on peut vraiment changer de rythme.

A peine arrivé, direction le bain privatif, où on peut aller en couple. En chemin, je réserve un massage. Première immersion dans l'eau chaude, première décompression, on souffle un grand coup. Puis juste après, donc, le massage. Voilà, ça y est, on y est, c'est ça dont j'avais besoin. Ne rien faire, juste laisser faire. Et puis c'est déjà l'heure de manger. Les repas dans un ryokan, c'est comme une messe, pour moi. Un moment de recueillement. On regarde ce qu'on nous sert, pas juste on voit, on apprécie avec les yeux d'abord, puis on déguste lentement. Les portions sont minuscules, on croit qu'on n'en aura pas assez, on est pourtant repu avant la fin du repas.

Ensuite, on peut se poser dans la chambre. Pendant qu'on mangeait, les futon ont été installés, alors je m'allonge et je ne fais rien. Sans m'ennuyer. Je laisse tournoyer mes pensées sans forme et sans fond. Le luxe. S'offrir l'inutilité. L'inutilité qui remet tout en cause, à commencer par la notion d'utilité. Je retourne dans les bains, du côté des hommes cette fois-ci. Il n'y a presque personne. On passe d'un bac à l'autre, comme quand on tirait les photos à l'ancienne, le révélateur, qui vous ouvre le cœur, le fixateur c'est le bain extérieur, quand l'obscurité ne fait pas peur, plus peur, on peut fermer les yeux, les monstres ne viendront pas cette nuit.

Vous avez déjà regardé, observé, un nourrisson dans son lit ? C'est comme ça que j'ai dormi, moi aussi.
Comme toujours, je me réveille de bonne heure. Signe que le rythme n'est pas encore parfaitement rompu. Mais tant mieux, ça me donne l'opportunité de retourner aux bains de bon matin, juste avant le petit déjeuner. Et après le petit déjeuner ? Ne rien faire. Nous avons demandé qu'on ne fasse pas le ménage dans notre chambre, alors les futon sont toujours là. Lire, dormir. La mer n'est pas loin, j'ai déjà eu l'occasion d'aller m'y promener lors de mon précédent séjour. L'air vivifiant d'une marche iodée serait sans doute bénéfique, mais non, cette fois-ci, je ne veux pas sortir. Je ne veux rien faire, et ce n'est pas parce que je n'ai pas le moral. J'ai pris mon ordinateur, mais je me suis interdit de travailler. Je poste quelques photos sur Instagram, j'écris un peu pour mon plaisir, et puis je retourne m'allonger. Il ne faudrait pas que je me foule une vertèbre en restant assis trop longtemps.


L'après-midi, retour au bain privatif, au cas où on aurait encore à se décharger de quelques impuretés poisseuses du temps rentable. Et puis massage, encore, sans même chercher à me justifier. Je m'endors sous les mains bienveillantes de la vieille dame dévouée. Puis je retourne dans la chambre, mais je ne fais rien en attendant le diner. Puis je dine, et je retourne me reposer de tant d'agapes, il ne faudrait pas que je me blesse en digérant. Surtout, surtout ne rien faire. Et avant de dormir, il faudra bien me découvrir pour me plonger, encore et toujours, dans cette source, si ce n'est amniotique, tout au moins régénérante comme une cure de jouvenceau. En sortant du bain, les corps indolents semblent partir en fumée, mais ce n'est que la vapeur qui rend les cœurs plus légers, tandis que la chair amollie ne demande qu'à être engloutie par la profondeur moelleuse des brumes nocturnes.

Puis encore un matin, le dernier, encore un repas, le dernier, encore un bain, le dernier.
On marche sur du coton quand on rentre à la maison.
Tu peux revenir, la vie, je suis prêt.