jeudi 15 juin 2023

Atagawa onsen

 C'est devenu une habitude cyclique : je me tue au travail, puis je pars me requinquer au onsen. Cette fois-ci, direction la péninsule d'Izu, vers le sud.

Je commence à bien connaitre l'atmosphère des ryokan. Je suis loin d'être blasé, mais disons qu'on y retrouve un peu toujours la même chose, c'est-à-dire, pour résumer, de la sérénité poussée à son paroxysme. Ce côté prévisible participe d'ailleurs au sentiment de repos que ces auberges traditionnelles procurent : pas de surprise, bonne ou mauvaise, on trouve ce qu'on vient y chercher, et c'est justement ce qui est apaisant. Tout ça pour dire qu'il en faut beaucoup pour me laisser bouche bée.
Mais là, quand même, je dois avouer que cet établissement, Miharuya, se place d'office dans le top 5 de mes ryokan préférés. A deux pas de la gare, l'entrée semble donner le ton : ici, c'est du solide. Dès qu'on pénètre à l'intérieur, ce sentiment est confirmé par l'omotenashi du staff qui vous attendait comme des invités spéciaux. L'omotenashi, pour faire simple, c'est la tradition du "bien accueillir", "traiter le client aux petits soins". Les formalités rapidement accomplies, il y a en général un moment dans le coin salon où on vous offre le thé et des biscuits, et où on vous explique où sont les bains, etc. On réserve l'heure du diner et du petit déjeuner, et le cas échéant le kashikiri, le onsen privatif. Puis on vous guide jusqu'à la chambre. Rien qu'en voyant la porte, je comprends que je vais adorer ce lieu. En bois brut, clair, avec un effet "non fini", je suis sous le charme. L'intérieur de la chambre est à la hauteur. Sobre et élégante, comme toujours, mais un peu plus que toujours. De la fenêtre, on aperçoit la mer. En contrebas, le torrent gronde. C'est tout ce qu'il me faut.
Je ne suis pas long à descendre prendre mon premier bain, du côté des hommes. Il n'y a presque personne, car si très souvent, les ryokan affichent complet le weekend, le dimanche soir et les jours de semaine sont beaucoup plus calmes. C'est l'avantage d'être un travailleur indépendant, comme moi : on prend ses congés quand on veut ! Puis c'est l'heure du repas (on dine assez tôt dans les ryokan). Vous ne gouterez nulle part ailleurs ce type de gastronomie. C'est varié, copieux et raffiné, beau et bon, tout est à base de produits locaux, absolument parfait.
Munis d'une lampe de poche, on part ensuite en yukata (kimono léger) et geta (socques en bois) pour une petite (toute petite) promenade digestive, afin de se rendre à un bain légèrement éloigné du ryokan. Dans la ville, des cheminées crachent la vapeur d'eau tels des derricks bienveillants. On arrive à un lieu assez atypique : imaginez une grande cabane en bois avec une baignoire géante en pierre dedans. C'est le bain de ce début de soirée.
Retour à la chambre, et pause thé pour se réhydrater.
On se dirige ensuite vers le dernier bain de la soirée, le rotenburo (bain extérieur), privatisé pour 45 minutes. C'est là que je me retrouve bouche bée. Ici, ce bain est appelé "Pays du sud", et dès qu'on arrive sur les lieux, on comprend pourquoi : on se croirait effectivement dans un repère de pirate sur une ile des Caraïbes ! La pleine Lune complète la magie, il ne manquerait plus que Peter Pan passe nous dire bonjour. Il ne vient pas (heureusement, parce qu'on est tout nus !😅) mais le charme opère à 100%, et tandis que l'eau chaude se charge de nos corps, l'esprit s'évapore. "Tu t'envoles !"
Les futons sont les lits les plus moelleux et les plus confortables dans lesquels il m'est été donné de dormir. Comment dire ? Vous avez l'impression que la nuit vous aime.

Le lendemain matin, petit-déjeuner de grand brigand, avant de partir en balade. De l'autre côté de la gare se trouve le fameux parc "Bananawani", littéralement "banane-crocodile". En effet, la chaleur des sources thermales est récupérée pour alimenter des serres où on peut faire pousser, donc, des bananes, et élever des crocodiles. Bon, les crocos, j'aime pas beaucoup ça, même en version sac à main ou portefeuille, mais ce n'est qu'une petite partie de la visite. Après, dans les serres, on trouve non seulement des bananes, mais aussi des goyaves et des papayes, et surtout une grande quantité de fleurs exotiques toutes plus magnifiques les unes que les autres. Il y a également quelques pandas roux, l'animal le plus mignon du monde, mais ça me faisait bien triste de les voir dans leurs petites cages. Avant de quitter les lieux, on peut déguster les fruits en question au restaurant, en étant sûr que ceux-ci, au moins, n'ont pas voyagé en bateau. Voilà une belle petite promenade, avec la mer en toile de fond.
Lorsque j'étais salarié, je ne pouvais m'échapper du quotidien que le temps d'un weekend, ce qui était toujours agréable mais aussi un peu frustrant. A présent, quand je séjourne dans un ryokan, je réserve toujours pour deux nuits, afin de bien prendre le temps de me reposer. C'est un luxe, j'en ai bien conscience, et j'apprécie mon privilège à sa hauteur.
Retour au ryokan, donc, pour une expérience inédite pour moi : le bain de sable. Ça se passe dans une petite pièce banale, sauf qu'il y a un grand bac de sable noir, chauffé par en dessous par la chaleur des sources. On revêt un yukata, puis on s'allonge dans l'alcôve qui a été creusée pour nous. Ensuite, l'employé nous recouvre entièrement - sauf la tête, ça va de soi - de sable avec sa bêche, et nous laisse. Le sable chauffe doucement le corps, c'est un peu comme un sauna à l'air solide. Mais la grosse surprise, c'est que ce sable est assez lourd, ça ressemble en fait à de petits graviers. Du coup, son poids sur le corps a un effet un peu similaire à un massage. Il parait que c'est très bon pour la circulation sanguine. Bref, je me laisse cuire à l'étouffée, quand je sens que le poids du sable sur mes chevilles commence à m'écraser les talons. Et la douleur devient de plus en plus intense. Je demande à ma compagne, allongée à deux mètres de moi, si elle ressent la même chose, et sa réponse est oui. Un petit réajustement de la position des pieds permet de supporter les dix minutes restantes, je ne m'attendais pas à ça. Quand la séance arrive à échéance, on se relève tels les zombis de Thriller, et on prend une douche. Sensation intéressante, toute expérience est bonne à prendre.
A nouveau le diner, un carnaval de gouts et de textures qui fait tourner la tête. On retourne ensuite voir les pirates, puis on s'endort lourdement.

Le lendemain, quand on revient sur Tôkyô, je me sens prêt à me replonger dans la tornade des jours. Jusqu'au prochain onsen.