Le hatsumôde (prononcé "hatsmoodé"), littéralement "premier pèlerinage", est le fait d'aller faire la première prière de l'année au sanctuaire. C'est une pratique très courante, même quand on n'est pas croyant.
Il y a très longtemps, je vous avais déjà parlé du Jour de l'An au Japon, vous pouvez relire cet article ici. En général, le Jour de l'An est une fête familiale. Les Japonais se réunissent à la maison, et mangent différents mets traditionnels, comme le o-sechi, une sorte de bentô composé essentiellement de légumes marinés et de fruits de mer. On peut aussi préparer des soba, nouilles de sarrazin, et c'est ce que j'ai fait chez moi ce 31 décembre, puisque ma demoiselle - qui fait pour moi office de famille dans ma vie d'exilé - ma demoiselle n'aime pas le o-sechi.
Les plus motivés vont au sanctuaire dès le 31 au soir, mais il pèle sa mère, et dans les endroits les plus populaires, il faut faire la queue pendant une heure ou deux avant de pouvoir faire sa prière, alors très peu pour moi. Au passage, rappelons que les sanctuaires sont consacrés à la religion shintô, et que les temples sont dédiés au bouddhisme, deux religions tout à fait compatibles entre elles, mais qui ont chacune leurs particularités.
Le 31 décembre, après le repas, nous nous sommes donc blottis sous mon kotatsu, table basse chauffante, à l'abri du froid et de la foule. Le 1er janvier, nous y étions encore lorsque l'alarme de mon smartphone s'est déclenchée pour nous avertir d'un séisme. Quelques secondes plus tard, la terre s'est mise à trembler, quelque chose de bien. Mais ça ne bougeait pas comme d'habitude. En général, on sent comme une sorte de forte vibration, mais là, mon immeuble se balançait comme un bateau sur la houle. En outre, le plus souvent, un tremblement de terre dure entre 5 et 10 secondes ; celui-ci a bien duré 2 ou 3 minutes. Dehors, les sirènes sonnaient, c'était impressionnant.
Ça a fini par se calmer, pas de souci, rien n'est tombé, pas de dégât chez moi. Par contre, à Ishikawa... Je n'ai pas besoin de vous décrire la catastrophe, vous avez vu les images à la télé ou dans les journaux.
Le lendemain, je voulais profiter d'un de mes rares jours de congé pour sortir un peu, et je suis moi aussi allé faire mon hatsumôde. Le choix s'est porté sur un sanctuaire que je ne connaissais pas, dans le quartier de Yanesen. Ce lieu est particulièrement réputé auprès des étudiants, qui viennent y faire le vœux de réussir leurs examens. Étudiants ou pas, il y avait foule ! Les gens étaient sortis non seulement pour faire leur prière, mais également pour se régaler autour des yatai, ces stands qu'on trouve dans tous les matsuri. D'ailleurs, quand j'ai vu le monde qui faisait la queue pour accéder au sanctuaire, j'ai d'abord renoncé, et j'ai passé un bon moment à déguster les spécialités de saison, poisson grillé, mochi à la sauce miso ou amazake.
J'ai bien fait de m'attarder, puisque le temps que je me sustente, la foule s'était quelque peu dissipée, et le sanctuaire était accessible. C'est un joli sanctuaire, grand et bien entretenu. Quand on a réussi à s'approcher de l'urne, on fait une petite offrande symbolique (une pièce de 5 yens par exemple, 3 centimes), on tape dans les mains pour attirer l'attention des kami, les dieux, on s'incline par respect, puis on joint les mains pour prier. Le mot "prier" n'est peut-être pas parfaitement adapté, sans doute vaudrait-il mieux lui préférer celui de "se recueillir". Il ne s'agit pas tant de s'adresser à un ou des hypothétiques dieux, mais de prendre un instant pour se tourner vers ce qui est plus grand que nous, qui nous dépasse et nous échappe, un instant à offrir à l'infini, à l'esprit intérieur ou extérieur qu'on a le droit d'espérer, il s'agit de considérer, pendant quelques secondes, la dimension métaphysique qui nous habite, et que peut-être nous habitons. Ce à quoi vous dédiez ce moment reste dans votre cœur secret. On peut remercier - Dieu, donc, ou les ancêtres, les âmes errantes, ou le Grand Tout, libre à vous de choisir - remercier pour les bienfaits, remercier pour la chance qui nous est donnée, remercier la vie, on peut demander - à Dieu, donc, ou à la Nature, au Père Noël ou à ses lutins - demander des faveurs, demander un peu plus, un peu moins, supplier, en disant tu, en disant vous, en disant je, en disant nous, on peut être triste ou déborder d'amour, on peut prier, se recueillir, à vous de voir...
Puis on s'incline encore une fois avant de continuer sa route.
Afin de matérialiser cet instant spirituel, si on en éprouve le besoin, on peut acheter un ema, une plaquette votive en bois sur laquelle on va écrire ses souhaits ou ses pensées, et qu'on va ensuite suspendre sur le portique dédié. On peut tirer un o-mikuji, une sorte d'horoscope qui vous dira s'il faut vous attendre à une bonne étoile pour l'année qui commence, ou s'il faut vous préparer à des temps difficiles.
J'ai beau être parfaitement athée, un début d'année sans hatsumôde, c'est un peu comme un repas de fête entre amis sans apéritif (mon dieu, quelle comparaison triviale, j'ai honte !), ou un épisode de votre série préférée sans le générique d'ouverture (je m'enlise), ou comme une rencontre sans dire bonjour (voilà qui est mieux) : c'est possible mais c'est moins sympa.