lundi 24 avril 2017

Des visites
Pendant toute ma première année d'exil, je n'ai eu aucune visite de France. J'étais certes toujours en contact avec ma famille et mes amis par Internet, mais ma vie quotidienne n'était accompagnée que de mes nouvelles connaissances, et c'est ainsi que je me suis construit de nouveaux repères. Puis les vacances de printemps sont arrivées, et j'ai reçu trois visites à la suite !
Ce fut d'abord mon père et sa femme, puis Wandrille, un ami d'enfance, lui aussi avec sa femme, puis une copine pas vue depuis très longtemps, avec ses trois enfants que je ne connaissais pas.



Comme je m'y attendais un peu, ce regard à la fois proche (des gens qui me connaissent depuis longtemps) et extérieur (parce que totalement étranger à ma réalité quotidienne) m'a permis de mesurer le chemin accompli en un an d'expatriation.
Je ne suis certes pas japonais et ne le serai jamais, mais petit à petit, la culture japonaise s'est insidieusement infiltrée en moi. Je ne parle pas ici des habitudes locales que j'ai faites miennes consciemment, mais de la part subliminale de mon intégration. Par exemple, quand j'ai vu mon père commencer à entrer sans enlever ses chaussures dans l'appartement qu'il avait loué, j'ai fait un bond ! J'avais oublié qu'en France, on ne se déchausse pas toujours en pénétrant dans un domicile, et je ne conçois plus de faire autrement. En prenant l'escalator, je me place systématiquement à gauche, et c'est en voyant mon père aligné sur la droite que je me suis rendu compte qu'il s'agissait là d'une habitude locale. Quand Wandrille et Isabelle ont halluciné sur les voix nasillardes des démarcheuses dans la rue (surtout à Akihabara), ça m'a rappelé que moi aussi, lors de mon premier séjour au Japon, j'avais été surpris par le timbre de voix des filles qui vous hèlent pour faire la promo des maid-cafés et autres. Maintenant, je ne le remarque même plus, j'ai intégré ça à ma "normalité". Foule de petits détails anodins de ce style ont émergé, et j'ai pu constater à quel point ma nouvelle vie m'avait changé.
J'ai également pu prendre conscience de mon accoutumance au Japon en faisant le guide pour mes visiteurs. Moi qui me sens tout de même encore bien débutant dans ma vie nippone, j'étais finalement assez à l'aise pour diriger des Français qui mettaient pour la première fois les pieds à Tôkyô. Même s'il me reste encore énormément à découvrir, je connais désormais suffisamment de quartiers, de restaurants, de coutumes, etc., pour que mes hôtes passent (je l'espère !) un séjour agréable et enrichissant.
Ces visites ont aussi été l'occasion de partager des moments privilégiés, des moments rares et chaleureux, du fait d'être dans un contexte inédit, surtout avec mon père. J'étais très content de lui présenter mes nouveaux amis, qu'on aille au resto tous ensemble, et même au karaoké ! Emmener mon père au karaoké, j'avais vraiment pas imaginé qu'un jour je ferais ça ! Et le top du top, c'est qu'on a fait un duo ensemble, sur Le temps des cerises. Certes, cette interprétation ne restera sûrement pas gravée dans l'Histoire de la musique, mais dans nos cœurs, oui, là dessus je n'ai aucun doute.

D'autres réflexions intéressantes sont nées de ces visites, comme par exemple une grosse question que je me pose : comment puis-je me sentir aussi serein dans un pays socialement très conservateur (une écrasante majorité de la population est pour le maintien de la peine de mort, même pas en rêve on ouvre le débat sur le mariage pour tous, etc.), et dont tout le système repose sur l'ultra-capitalisme ? L'embryon de réponse qui me vient à l'esprit est que le Japon propose tellement d'autres aspects qui s'accordent parfaitement à mes valeurs (le sens du respect, le dévouement, etc.) que ça compense les divergences qui apparaissent entre mes idéaux et la société japonaise. La question est complexe et entremêle sans doute des paramètres plus personnels, et le sujet mérite d'être encore  approfondi, mais il semblerait bien qu'après un an de vie au Japon, je sois devenu beaucoup plus ouvert et tolérant.

samedi 15 avril 2017

Les sakuras sont de retour.
On l'attendait avec impatience, le printemps. Ça faisait déjà plusieurs semaines que toutes les boutiques étaient aux couleurs des cerisiers, du rose et du blanc partout, mais à défaut de fleurs, il fallait se contenter de branches en plastiques avec des pétales en nylon. Même si le froid glacial de l'hiver avait fini par passer, la pluie, la fraicheur et les journées couvertes avaient tendance à ternir le quotidien. A tel point que le hanami planifié fin mars avec les copains avait dû être reporté pour cause de grosse averse du matin au soir. 
La semaine suivante, le ciel s'est enfin éclairci, et on a pu se réunir sous les cerisiers. Cependant, avec le mauvais temps des jours précédents, les fleurs n'étaient pas encore totalement écloses. Qu'à cela ne tienne, ce n'est sûrement pas ça qui aurait découragé les Japonais !
Nous nous sommes donc retrouvés, moi et la bande du 80's Café, au parc Yoyogi, à l'ouest de Tôkyô, un des hauts lieux du hanami. Comment vous décrire l'atmosphère ? Imaginez un piquenique géant. Mais quand je dis géant, c'est vraiment géant !
Ce sont des milliers et des milliers de personnes qui posent leurs bâches bleues sur la pelouse et qui mangent et boivent toute l'après-midi. Rien que sur la bâche du 80's, cumulé sur la journée, on a bien vu défiler une soixantaine de personnes.
Le principe est toujours le même : chacun apporte de quoi manger ou boire, on met tout en commun, et tout le monde se sert. Wada-san, le gérant du café, a organisé une cagnotte pour les bières, de façon à ce que personne ne manque de rien. Parce que c'est important, les bières, au hanami ! La consommation abusive d'alcool fait presque partie de la tradition. D'ailleurs, si l'envie de faire pipi vous prend, n'attendez pas, parce qu'il y a au moins 20 minutes de queue aux toilettes ! Torture assurée, croyez-moi sur parole. Et pas question de se soulager derrière un arbre, on est au Japon.











Malgré ça, l'ambiance reste bon enfant. Pas de bagarre, et en dépit de la visite de quelques personnages parfois, disons, bizarres, il n'y pas de problème. Partout sur la pelouse, on fait de la guitare, on joue au badminton, on fait voler des cerfs-volants... C'est ce qu'on appelle une belle journée. Et une belle journée qui se finit bien, ça se finit au karaoke ! Et pour que ce soit encore plus festif, hop, karaoke déguisé !





Ma seule frustration, c'était les fleurs qui n'avaient pas encore libéré toute la magnificence de leur grâce éphémère. Certes, les jours suivants, le beau temps s'est globalement maintenu, mais même si l'on peut savourer la beauté des sakuras au quotidien, difficile de profiter complètement du spectacle quand on travaille. A moins d'opter pour un hanami nocturne, ce que je n'avais jamais fait. Car afin de ne pas en perdre une miette, dès le soir venu, les spots les plus réputés sont illuminés, et c'est alors un nouveau paysage qui apparait.
Là encore, les gens se pressent par milliers, et il faut jouer des coudes pour faire la belle photo que tout le monde veut faire. Bien évidemment, la bousculade n'est jamais agressive, vous l'aviez deviné de vous-mêmes, et la vue qui s'offre à vous en vaut largement la peine.











Le proverbe dit qu'on n'a que trois jours pour admirer les fleurs. En fait, la pleine floraison dure un peu plus que ça, et même si on ne peut pas faire le hanami tous les jours, c'est un vrai régal que de jouir d'une telle splendeur tous les jours. Et quelle merveille que ce sentiment nostalgique qui vous envahit quand les feuilles commencent à sortir, et que les arbres se teintent progressivement de touches de vert. Chaque matin, le temps des cerisiers en fleurs s'efface un peu plus, et je ne connais pas de plus belle tristesse.