jeudi 25 août 2016

Kendô
Le kendô (ou kendo) est l'art martial hérité des samouraïs. Ce nom signifie "la voie du sabre", la voie étant ici à prendre au sens spirituel du terme, bien sûr. En gros, ça consiste à toucher son partenaire avec un sabre en bambou soit à la tête, soit au buste, soit à la main.
J'ai pratiqué le kendô pendant dix ans en France, et pour diverses raisons j'ai dû arrêter juste après avoir passé mon deuxième dan. Mais le kendô me manquait terriblement, et je me sentais bien nostalgique à chaque fois que j'y pensais. Alors quand il s'est agi d'aller habiter au Japon, il n'a pas été question que je parte sans mon armure.

J'ai trouvé un club à la fois près de chez moi et près de l'école, à une vingtaine de minutes à pied. Le maitre, Sumiyoshi-sensei, m'a accueilli très chaleureusement. Début juin, j'ai donc ré-enfilé l'armure pour la première fois depuis cinq ans, et ça fait tout bizarre, on se sent bien empoté. Le Nagareyama-shibu est un petit club très familial où les enfants viennent pratiquer avec leur père (les mères, en général, regardent !). Il y a une vingtaine de pratiquants. Je suis, bien entendu, le seul gaijin, l'étranger, et comme les gens du club ne parlent pas très bien anglais et que mon japonais est encore limité, je suis souvent un peu à l'écart, mais je trouve toujours quelqu'un pour me raccompagner en voiture après l'entrainement (parce que se trimbaler l'armure de 15 kg dans le sac, ça rend le trajet nettement plus pénible !). Et si personne ne se propose, c'est Sumiyoshi-sensei lui-même qui me raccompagne. C'est un monsieur d'un certain âge, mais il a une telle classe, une telle élégance, je trouve qu'il a une très belle allure. Comme je n'avais pas de shinai au début (le sabre en bambou), il m'en a passé un à lui : "c'est un vieux shinai, mais si vous voulez bien l'accepter..." Il avait écrit mon nom dessus. Il est la gentillesse faite sabre.
Il y a trois entrainements par semaine. En fonction de mon emploi du temps, j'essaye d'y aller au moins une fois, c'est déjà bien. Au kendô, la politesse consiste à se donner à fond pour son partenaire. Si on s'économise, on lui manque de respect. Et je peux vous dire que dans ce club, tout le monde a été très poli avec moi, dès le début ! Un combat, c'est comme une rencontre. On se cherche du bout du shinai, c'est un dialogue. Il faut comprendre son partenaire, il faut sentir ce qu'il est, ce qu'il veut dire. Il faut lui exprimer qui on est, il faut entrer en contact avec lui. Pour faire du beau kendô, on doit attaquer franchement, honnêtement. Généreusement.
Les jeunes, ados ou pré-ados, ont presque tous un niveau supérieur au mien, mais leur technique n'est pas encore bien stabilisée, ce qui me permet d'expérimenter des attaques, de tenter des coups risqués. Avec les adultes, j'essaye juste de faire ce que je peux, c'est-à-dire pas grand-chose, mais ça ne m'empêche pas de prendre énormément de plaisir. Le problème, c'est qu'après cinq années d'interruption, les mêmes défauts sont aussitôt réapparus : "Relâchez vos épaules", "Ne levez pas autant la jambe", "Poussez vers l'avant", etc. Parfois, pendant tout l'entrainement, je me concentre sur un point particulier, mes épaules par exemple, et il m'arrive d'être assez satisfait, de trouver que globalement, mon niveau n'était pas trop mauvais ce jour-là. Et puis à la fin de l'entrainement, quand je vais saluer le maitre, il me lâche toujours un truc genre : "Vous devez absolument relâcher vos épaules..." Désespérant.

Maitriser son propre corps demande beaucoup de temps...
Et c'est justement une des choses qui me plait dans le kendô.
On réapprend à marcher, et on se rend compte qu'on a beaucoup trop de bras et beaucoup trop de jambes ! Il faut coordonner son corps et son esprit avec le sabre, c'est presque comme de la danse. D'ailleurs, il y a des miroirs pour corriger sa position. Quand j'ai commencé en France, un de mes professeurs me disait : "Pour faire bien, il faut faire beau." En d'autres termes, pour que tes mouvements soient efficaces en combat, ils doivent être harmonieux à voir. Ça demande une concentration extrême, et la difficulté est que cette concentration, il faut la maintenir en mouvement, tandis qu'on fournit un effort physique intense, et qu'on doit s'adapter aux mouvements du partenaire. A force d'exercice et de répétition, les gestes s'inscrivent dans le corps et deviennent automatiques, mais il faut apprendre à lâcher prise. Si on réfléchit, on perd un temps fou et le partenaire a déjà porté son attaque. Pour ne plus avoir l'esprit encombré par la maitrise de son corps, ou plus précisément le corps encombré par l'esprit, il faut faire le vide. Je trouve que la pratique du kendô a beaucoup à voir avec celle du zazen, la méditation bouddhiste. Arrêter de réfléchir pour descendre au fond de son être intime. Ça, c'est pour le côté centripète. Car quand on est libéré des contraintes de la pensée rationnelle, on se replace parmi les choses du monde, c'est le côté centrifuge. C'est pas des blagues. Si on arrive à s'ouvrir suffisamment à soi-même, on se connecte aux autres. Votre cerveau devient comme une maison où on ouvrirait grand toutes les fenêtres, l'air qui y circule est le même à l'intérieur et à l'extérieur, il n'y a plus d'intérieur et d'extérieur. Vous êtes alors en harmonie avec ce qui vous entoure. Et si le partenaire bouge, vous bougez avec lui, instinctivement, naturellement. Celui qui marque le point est celui qui a le mieux réussi à relier son moi intime avec son environnement. Tout ça peut sembler très théorique, voir un peu trop mystique, mais quand on s'entraine avec des pratiquants expérimentés, c'est flagrant : on bouge à peine, mais vraiment à peine, et le partenaire a déjà anticipé votre mouvement et riposté. Un de mes anciens profs me disait : "C'est dans les yeux. On sent les choses." On retrouve cette disposition d'esprit dans La pierre et le sabre, un livre magnifique qui raconte la vie du célèbre samouraï Miyamoto Musashi. Deux combattants se mettent en garde, se scrutent. Mais l'un des deux a une garde très forte, c'est-à-dire que bien que parfaitement immobile, il ne laisse mentalement aucune ouverture à son adversaire. L'autre reconnait la force du premier et s'avoue vaincu. Il y a des scènes similaires dans les films de Kenji Misumi (en particulier dans La lame diabolique, je crois). Le plus beau combat, c'est celui qui n'a pas lieu. La victoire, c'est une attitude mentale avant d'être un geste physique.
En ça, le kendô est aussi une transfiguration de la vie. Tout ce qui est en nous transparait dans nos actes, et si nous n'avons pas la bonne disposition d'esprit d'abord, nous ne pouvons pas atteindre notre objectif. Les seules limites sont dans notre tête. Ça ne veut pas dire que les limites n'existent pas, mais ça signifie que la réalité, c'est nous qui la construisons. J'ai déjà ressenti, furtivement, ce genre de chose en combat : je savais que j'avais marqué le point avant même de bouger. Et comme les deux partenaires cherchent à se porter mutuellement une attaque, il faut être suffisamment convaincu de sa propre réalité pour l'imposer à l'autre. C'est très proche des conceptions constructivistes de l'école de Palo Alto, tout ça. La réalité n'est pas extérieure et figée, elle est en devenir à chaque instant, c'est nous qui lui donnons forme. On rejoint même certains principes de la physique quantique, et quand on marque un point, c'est un peu la "réduction du paquet d'ondes" ! Le kendô, c'est la théorie du grand tout incarnée dans un sabre.
Mais pour arriver à un tel niveau de maitrise, il faut des années de pratique. Pour l'instant, j'apprends juste à marcher. Je marche, je cherche l'accomplissement suprême, en suivant la "voie du sabre"...

samedi 20 août 2016

Le mont Fuji
L'appeler "Fuji-yama" est une erreur de prononciation. Dites plutôt "Fuji-san", ou tout simplement "mont Fuji". En préparant mon projet, j'étais plutôt sûr de moi, mais quand j'ai fait part de mon envie de gravir la montagne la plus élevée du Japon à mon entourage, tout le monde s'est inquiété pour moi. De quoi vous saper le moral avant même de partir. Toujours est-il que depuis Tôkyô, il faut environ 2h30 de bus pour rejoindre la cinquième étape. Il existe sans doute un sentier qui part de tout en bas du mont, mais je ne sais pas s'il y a beaucoup de furieux pour l'emprunter ! Pour le commun des mortels, la randonnée commence donc à la cinquième étape (ou cinquième station, ou cinquième niveau), où tout est aménagé : boutiques, parkings, boutiques, restaurants, boutiques...

L'air est déjà bien plus frais qu'en vallée, d'autant plus que ce 15 aout, on était en plein nuage, on n'y voyait pas à 10 mètres. La météo grisâtre n'a pas pour autant découragé les marcheurs, et entre ceux qui reviennent et ceux qui s'apprêtent à partir, il y avait foule en bas du sentier. Il faut dire que l'accès au site n'est autorisé que pendant juillet et aout, deux mois pendant lesquels le monde entier se rassemble pour honorer l'Olympe nippon. Français, Américains, Vietnamiens, Chinois, Hindis, Allemands, le mont Fuji est une véritable tour de Babel, et à vue de nez, je dirais qu'au moins la moitié des visiteurs ne sont pas Japonais.

C'est donc sous une bruine épaisse que j'ai commencé mon ascension, en fin de matinée. Les nuages m'ont accompagné pendant une longue partie du trajet, mais l'humidité n'est pas le plus difficile à endurer. Je suis plutôt habitué aux montagnes françaises, du côté de saint Hilaire-du-Touvet, par exemple ! Sur ces chemins, parfois ça monte raide, parfois c'est plus tranquille, parfois c'est même presque plat, et parfois même ça redescend un peu. Le mont Fuji est un volcan conique, ce qui signifie que pour atteindre son sommet, il n'y a pas à tortiller : ça monte raide du début à la fin. S'il y a bien des passages plus ardus que d'autres, où il faut mettre les mains pour s'aider, il n'y a pas de moment facile. Une fois que vous êtes parti, il n'y a plus de répit.

En montagne, le temps change très vite. Une éclaircie apparait, et une minute plus tard vous êtes sous une averse. Vous voyez la ville en bas, mais dix secondes après, vous distinguez à peine vos chaussures. La cape de pluie est indispensable, mais ça n'empêche pas l'humidité de pénétrer votre corps spongieux pour le rendre encore plus lourd.

Il m'a fallu environ quatre heures pour atteindre la huitième étape, où j'avais réservé mon gite (il y a une vingtaine de gites répartis sur le trajet). Je suis pourtant plutôt en forme, plutôt sportif, et en plus, ça faisait deux semaines que je courais pratiquement tous les jours pour me préparer. Malgré ça, je peux vous dire que j'en ai sué pour y parvenir ! Il y a plus d'un moment où je me suis demandé si je serai vraiment capable d'arriver en haut. Et encore, j'ai eu de la chance : je n'ai pas souffert du mal des montagnes. La raréfaction de l'oxygène peut entrainer des troubles assez graves : essoufflement et/ou fatigue excessifs, maux de crâne, douleurs musculaires... J'ai même vu un randonneur rendre son repas sur le bord du chemin. On vend d'ailleurs, à chaque gite d'étape, des bombes aérosol d'oxygène, que les marcheurs en difficulté inhalent pour refaire le plein. J'ai compris pourquoi tout le monde s'était inquiété pour moi avant mon départ. Le mont Fuji, ce n'est pas une promenade de santé ! On y croise pourtant quelques personnes âgés et des enfants, à chacun son rythme. Quand vous voyez ça, pas question de rebrousser chemin.


Le portique qu'on traverse en atteignant le gite s'appelle un torii, on en trouve essentiellement à l'entrée des sanctuaires shintôs. Le torii matérialise le passage entre un espace profane et un espace sacré. Etant donné l'adoration spirituelle que les Japonais vouent au mont Fuji, il n'est pas étonnant que de nombreux toriis jalonnent la route vers le sommet.






Arrivé au gite, on respire un bon coup. Pas moyen de faire sécher ses affaires, on est entassés comme des sardines, trempés à la fois par la sueur et par la pluie, on a les muscles trop chauds mais froid jusqu'aux os, c'est loin d'être un moment de bonheur, mais on est tellement content d'être là ! J'ai eu la chance qu'en soirée, le ciel s'éclaircisse notablement, ce qui m'a permis de contempler une magnifique mer de nuages. En fait, sous l'effet de l'épuisement, on a même un peu l'impression de voler à travers l'éther...



Après une bonne nuit de sommeil, de 19h à minuit, j'ai avalé un petit déjeuner et me suis préparé lentement à affronter la suite. Même de nuit, le mont Fuji reste une véritable autoroute piétonne ! Tout le monde a sa lampe frontale, on marche en file indienne. L'étrange procession des lucioles qui se balancent à un rythme douloureux s'étend à perte de vue tout le long du sentier, aussi bien vers l'amont que vers l'aval. C'est comme une rivière d'étoiles. De temps en temps, quand la brume épaisse vous enveloppe, vous êtes aveuglé par votre propre lumière, qui fait apparaitre devant vos yeux un vaporeux voile de gouttelettes dansantes. J'avais en tête la chanson des nains dans Bilbo le hobbitThe Misty Montains Cold... L'ambiance était tellement inédite pour moi, tellement singulière, que je ne peux la qualifier autrement que de surréaliste.

On marche encore peut-être une heure, peut-être deux... Des milliers de secondes. Chaque pas demande un effort violent. Et puis en arrivant à un refuge où la foule s'étiolait dans un râle de soulagement, j'ai compris que j'avais atteint le sommet. J'ai trouvé une sorte de banc qui faisait face au vide obscur de la nuit infinie. Je me suis assis, enveloppé dans ma cape de pluie ruisselante, puis après avoir grignoté quelques lembas, le pain elfique (bon, en vérité, des barres de céréales, mais pour moi c'était tout comme des lembas), j'ai somnolé, recroquevillé et tremblotant.

Puis devant mes yeux fatigués, juste en face de moi, le ciel a commencé à s'éclaircir des premières lueurs du jour. Derrière moi, les marcheurs se sont rassemblés pour contempler le spectacle dans un silence religieux. Très lentement, le Soleil est apparu, faisant changer le décor de minute en minute. Ses rayons jouaient avec les nuages, avec le relief, redessinant sans cesse la ligne d'horizon. C'était beau, si beau. Je me suis mis à pleurer, des larmes toutes chaudes sur mes joues toutes froides. Tout ce chemin accompli, c'est le chemin que j'ai choisi, c'est ma force, le long chemin qui m'a mené jusque là. J'y ai consacré toute mon énergie, et ça y est, j'y étais. Le tableau mouvant qui s'offrait à nos regards n'en finissait pas de nous proposer de nouvelles images, des exclamations d'admiration jaillissaient parfois. Un nouveau jour était né.




 



Un proverbe japonais dit que celui qui n'a pas gravi le mont Fuji une seule fois est un fou, et celui qui l'a gravi deux fois est un fou. Ça me semble assez juste.
J'ai ensuite fait le tour du cratère, partout autour les paysages étaient enivrants d'imagination. Plus bas, la végétation reprenait ses droits dans des nuances de vert aux courbes chatoyantes. La mer miroitait non loin. Un vent glacial balayait la crête, revigorant. Il était temps de redescendre.

samedi 13 août 2016

Toujours l'été...
Ça y est, je suis en vacances ! Depuis vendredi soir, et pour une semaine... Et j'ai bien l'intention d'en profiter. Ceci dit, je n'ai pas attendu les vacances pour profiter de l'été. A quoi donc ressemble l'été au Japon ? Voici quelques instantanés.
Les dernières gouttes de la saison des pluies sont tombées doucement fin juillet, et si l'humidité est toujours très présente, on ne peut plus vraiment compter sur les averses pour rafraichir l'atmosphère. Parfois le soir, quand je rentre chez moi, au moment où j'ouvre la porte, je sens me sauter à la figure la grosse vague de chaleur qui grossissait tranquillement dans l'appartement tout au long de la journée, comme un gâteau dans le four qu'on aurait oublié d'éteindre. Je ne peux pas laisser toutes les fenêtres ouvertes en mon absence, alors c'est l'étuve ! Je n'aime pas tellement la climatisation, et je ne l'ai jamais utilisée à la maison. A l'école par contre, toutes les salles de classe ont une baie vitrée qui donne plein sud, impossible de se passer de l'air conditionné. La nuit, je dors avec la fenêtre ouverte, non seulement pour respirer un peu mieux (bien que le vent soit chaud), mais aussi pour m'endormir au son des grillons.
Et dans la journée, la vie se déroule au son des cigales. Le chant des cigales japonaises, assez différent de celui des cigales françaises, c'est pour moi le symbole de l'été nippon. Dès que la chaleur s'installe (fin juin à Nagareyama, un peu plus tard à Tôkyo), on entend partout ce bruit très particulier, du petit matin à la tombée du jour. De sacrées bestioles, les cigales d'ici, au moins 4 ou 5 centimètres de long. Sur les troncs d'arbres, on les remarque à peine, mais quand elles volent, c'est presque aussi gros qu'un moineau !


Quand je suis trop écrasé par le Soleil, dès que je peux, je file au bord de la mer. La plage, ça fait toujours un peu vacances, et l'eau est tellement chaude ! Moi qui suis pourtant sacrément frileux, j'y entre comme dans la baignoire ! Parfois, on peut trouver des endroits où seuls les habitués se rendent, c'est tranquille comme tout.

Et parfois, c'est plutôt la grande plage classique où les gens viennent en famille. Ce jour-là, à Kujûkuri, il y avait énormément de vagues, comme vous pouvez le voir.
Je me suis bien amusé dans les rouleaux, mais c'est vrai que c'est un peu dangereux, et quand on est pris dans la machine à laver, on ne peut plus rien faire. D'ailleurs, au bout d'un moment, les sauveteurs ont fait sortir tout le monde de l'eau, baignade autorisée jusqu'aux genoux seulement ! Un peu frustrant, alors du coup j'ai bronzé. Non, en vérité j'ai cramé. Une écrevisse bien cuite est moins rouge que moi le soir venu.
















Je n'allais pas conclure cet article sans vous parler de bouffe, il faut bien que je fasse honneur à mon surnom de Monster...
Pour essayer de se rafraichir en été, inutile de boire l'eau du robinet, elle est bien trop tiède, et les glaçons fondent super vite. D'ailleurs, il m'arrive de prendre 3 ou 4 douches par jour sans utiliser l'eau chaude, pour essayer de faire descendre la température de mon corps. Pour m'hydrater de l'intérieur, plutôt que les glaçons fondus, je préfère me laisser tenter par les parfums inédits que le Japon propose, comme le Fanta à la pastèque par exemple.
Mais surtout, il est absolument in-dis-pen-sable de manger des glaces ! C'est un gros plaisir que je m'offre presque tous les soirs. Voici un florilège des esquimaux les plus exotiques qu'on peut trouver ici. Macha, azuki (haricots rouges), macha + azuki, etc.




Ai-je besoin de préciser que j'adore l'été au Japon ?

samedi 6 août 2016

Tout n'est pas rose.
Depuis que je tiens ce blog, je ne vous ai parlé que des aspects positifs de ma vie au Japon. Il y a à cela principalement deux raisons. La première est que les sentiments de plénitude, voire d'exaltation, de joie et de sérénité sont effectivement ceux qui dominent mon quotidien. La seconde raison est que l'essentiel de ma vie sociale étant lié à ma vie professionnelle, il est délicat d'émettre des critiques ouvertes à ce sujet sur un blog public. Pourtant, il n'existe pas de société idéale, et au Japon comme ailleurs, tout n'est pas rose. Vous comprendrez que je ne peux pas vous donner d'exemple précis, mais par souci d'honnêteté, je vais essayer de vous parler un peu des aspects plus sombres des relations sociales au Japon.
Dans toute l'Asie, la notion de face est proéminente. Bien sûr, dans le monde occidental aussi, personne n'aime "perdre la face", c'est-à-dire voir son image sociale dégradée. De même, bien souvent, on préfère éviter de faire perdre la face à un interlocuteur, et on choisira, autant que possible, la voie diplomatique pour régler un différent, plutôt que l'attaque frontale. Au Japon, c'est pareil, mais de façon bien plus amplifiée. La notion de face fait partie intégrante du ciment social. En Europe, l'individuel a tendance à primer sur le collectif, alors qu'au Japon, on est plutôt en recherche d'unité. On pourrait expliquer cette propension par la géographie insulaire du pays, ou par son histoire (le Japon est resté fermé à l'Occident jusqu'au 19ème siècle), mais je crois que ce serait réducteur, d'autant plus que cette importance de la face est également très présente dans d'autres régions de l'Asie, en Chine par exemple. Au Japon, les relations sociales sont fortement dominées par un désir de convergence. Cela n'empêche pas d'avoir sa propre opinion, même si cette opinion est totalement opposée à celle de son interlocuteur, mais disons que cette dynamique compassionnelle refrène l'envie d'exprimer, de façon claire et directe, une divergence de point de vue. Cette accordance apparente permet d'empêcher les conflits d'éclater, et de préserver une forme de paix sociale. Personne ne cherche à dominer autrui, et l'honneur de tout le monde est protégé. Mais le revers de la médaille est que les circonvolutions interactionnelles mises en oeuvre pour maintenir cette stabilité peuvent conduire à ce qu'en Occident on qualifierait d'hypocrisie. Combien de fois ai-je tenté d'exprimer à mes interlocuteurs qu'ils faisaient - peut-être - erreur ? Mais dès que mon désir de remettre en cause une opinion, une pratique, etc., devient trop flagrant, les portes se ferment, et les arguments qu'on m'opposent frôlent l'incohérence, n'importe quoi du moment que ça m'amène à fermer ma bouche. Quoi qu'il arrive, il faut toujours sauver les apparences, faire semblant que tout va bien. Ce besoin de préserver la face à tout prix peut parfois mener à des situations complètement artificielles, voire mensongères. Et surtout, il est difficile de régler les problèmes si l'on passe son temps à faire comme s'il n'y avait pas de problème... Bref, certaines situations délicates ne trouvent pas d'issue, et c'est bien dommage. Une fois de plus, ceci n'est pas l'apanage des Japonais, et j'ai connu, en France, des gens qui à force de vouloir ne regarder que le côté positif des choses finissaient par être sourds à la douleur de leurs amis.
Si on ajoute à cette volonté de préserver la face l'importance accordée au respect de la hiérarchie, je vous laisse imaginer à quel point les rapports sociaux se compliquent. Pour qu'une société puisse marcher, il faut que ses individus, sans aller jusqu'à marcher au pas, marchent plus ou moins dans la même direction. En France, où les individualités sont exacerbées, il est impossible aux gouvernements de droite comme de gauche de faire la moindre réforme, car chaque corporation défend son bout de gras dans une vision sectaire qui exclut totalement l'intérêt de la collectivité. Au Japon, on a bien conscience qu'il faut composer avec son voisin, même si cela n'arrange pas toujours ses affaires personnelles. Pour ça, on suit la direction indiquée par le chef, qu'il soit chef d'Etat ou chef de bureau. Notre regard occidental traduit cette attitude par "soumission à l'autorité." Il y a de ça, pour faire simple, mais c'est bien le fait de mettre son ego dans sa poche qui fait du Japon un des pays les plus sûrs du monde, avec une économie qui reste forte malgré la conjoncture globale. Le taux de chômage est très bas, et on voit dix fois moins de personnes sans abri dans les rues de Tôkyô que dans celles de Paris. Les transports en commun sont toujours à l'heure, il n'y a pas d'agression dans la rue, l'économie des loisirs permet à chacun de se défouler de la façon qui lui convient, etc. Les Japonais acceptent de faire des sacrifices sur leurs désirs personnels pour pouvoir en retour bénéficier d'une vie confortable et sécurisante. Pas d'autre moyen, donc, que d'obéir au chef. Même si le chef dit des conneries (ça c'est la même chose dans tous les pays, les chefs ne sont pas plus intelligents qu'ailleurs). Le revers de la médaille ? Un exemple : en 1945, lors des bombardements de Tôkyô, les habitants avaient pour consigne de ne pas sortir de chez eux sans injonction des autorités. L'ordre d'évacuation n'est jamais arrivé, les gens ne sont donc pas partis à la recherche d'un abri, et 100 000 personnes sont mortes dans la seule nuit du 9 au 10 mars.
En résumé, pour moi qui suis tout en bas de l'échelle sociale au Japon, ma principale difficulté est de toujours devoir acquiescer, même face aux injonctions les plus absurdes, sans pouvoir émettre la moindre objection, sans même pouvoir faire semblant de remettre en cause la moindre décision venue d'en haut. Sans pouvoir discuter.
Pour l'instant, j'essaye de comprendre ce fonctionnement, ses tenants et ses aboutissants, de façon, si ce n'est neutre, au moins profonde et sincère. Il est trop facile de juger avec son cerveau d'Occidental, et je ne voudrais pas commettre la même erreur qu'Amélie dans Stupeur et tremblements. Parler d'hypocrisie ou de soumission à l'autorité, c'est un réflexe normal, mais il sera plus long, plus difficile, et sans doute plus enrichissant, avant d'émettre un jugement aussi tranché, de chercher à pénétrer les codes de la société japonaise dans tous ses recoins et ses subtilités.
La difficulté n'entrave pas mon bonheur, elle en fait partie.