jeudi 7 septembre 2017

Un été à Tôkyô (1)
Les vacances sont finies, et afin d'économiser mes sous, je ne me suis pas éloigné de la région. Que peut-on bien faire de son temps, l'été à Tôkyô, quand la chaleur vous terrasse et que la saison des pluies s'avère particulièrement féconde ? Des tas de choses ! Tellement de choses que je vais vous raconter ça en deux fois. Première partie, donc.
D'abord, avec un rythme de travail comme celui qu'on a quand on bosse dans une entreprise japonaise, la priorité des vacances est de se reposer ! J'ai réappris à dormir au-delà de 6 heures du matin (j'ai tellement l'habitude de me lever tôt que 6h, pour moi, c'est déjà un peu la grasse mat'). Et j'ai fait des siestes... parfois, jusqu'à trois dans une même journée ! Mon corps avait besoin de refaire le plein d'énergie, et j'ai essayé de prendre soin de moi en faisant du sport, jogging, piscine, et toujours kendô.
J'ai aussi essayé de prendre soin de moi intellectuellement en visitant des musées, et je peux vous dire que ça fait du bien de pouvoir déambuler en prenant son temps. Parmi mes visites marquantes, il y a eu le Yûshûkan, le musée de la guerre. Pour moi qui aime bien réfléchir aux questions de la subjectivité, de l'influence de la culture sur la notion de vérité, du relativisme de la perception, etc., ce musée est l'endroit rêvé. D'abord, il est situé dans l'enceinte du sanctuaire Yasukuni, qui fait régulièrement polémique car y est honorée la mémoire de certaines personnes considérées comme des héros au Japon, et comme des criminels de guerre dans d'autres pays, notamment en Chine. Ça, c'est juste pour vous situer le contexte, pour vous mettre dans l'ambiance. Le musée en soi est dans cette veine : c'est le point de vue du Japon qui est présenté, et rien d'autre, et on se demande d'abord si on nage en pleine mauvaise foi partisane, avant d'en venir à se questionner soi-même sur sa propre perception de l'Histoire, c'est-à-dire sur ce qui constitue en partie notre identité culturelle. Après tout, en quoi la version des Occidentaux serait-elle moins construite que celle des Japonais ? Evidemment, il faut beaucoup prendre sur soi pour accepter de se défaire de ses préjugés et entendre un discours qui va totalement à l'encontre de nos certitudes. Pour donner un exemple précis : je ne sais pas par quelle chance, dans l'immensité de ce musée, je suis tombé sur un minuscule écriteau évoquant le massacre de Nankin, probablement la seule référence à cet évènement dans tout le Yûshûkan. Il y est inscrit, en gros, que l'armée japonaise a su gérer avec clairvoyance et détermination une situation compliquée par le fait que de nombreux militaires chinois s'était infiltrés parmi la population, déguisés en civils. Ce ne sont donc pas des civils qui ont été massacrés, mais le fourbe ennemi. Chez nous, on appelle ça du révisionnisme. Maintenant, essayez de considérer qu'en chaque civil - en particulier dans un pays occupé - se cache un patriote déterminé à défendre sa liberté, et vous comprendrez mieux, en effet, la menace que peut représenter la population envers la force occupante. En décalant ainsi votre perspective, votre point de vue aura déjà commencé à glisser un peu, il vous faudra cependant fournir encore beaucoup d'efforts pour être totalement à l'écoute du discours de celui que vous êtes habitué à considérer comme le coupable, le monstre, mais de toute façon, vous n'êtes pas obligé d'aller jusque là. Une simple dose de relativisme dans vos certitudes, c'est déjà très enrichissant. C'est un sujet très complexe à appréhender, mais le Yûshûkan offre matière à réflexion.
Dans les autres expos que j'ai visitées, en vrac, il y avait aussi une rétrospective sur l'art contemporain en Asie du Sud, et une expo sur les poissons des grandes profondeurs, et là, la notion de monstre est certainement bien moins subjective ! Elles ont vraiment des sales têtes, ces bestioles ! De telles créatures, on n'en voit en général que dans les films de science-fiction. On peut voir en particulier la reproduction grandeur nature d'un calmar géant, qui fait immanquablement penser à la fameuse attaque du Nautilus chez Jules Verne.
Dans la série "animaux marins", mais plus proches de nous, j'ai aussi visité un aquarium, le Japon en regorge. Il s'agissait de l'aquarium Sunshine, à Ikebukuro, qui a la particularité d'être situé en haut d'un building, et la partie extérieure offre un paysage assez inhabituel, avec des bassins transparents laissant apparaitre les tours de la capitale, contraste saisissant entre la nature animale et les constructions humaines. La partie intérieure est plus classique mais tout aussi charmante, du moment qu'on tolère de voir des animaux enfermés pour que les p'tits nenfants apprennent qu'à l'état sauvage, les poissons ne sont pas carrés et panés. Ou sous forme de sushis, en l'occurrence. N'empêche, une visite à l'aquarium en plein été, ça rafraichit.
Pour se rafraichir, on peut aussi visiter une obakeyashiki, ces maisons hantées typiquement japonaises (je vous en avais déjà parlé l'année dernière, cliquez ici). On a beau être des grands garçons et des grandes filles, et savoir que tout ça, c'est pour rire, certaines de ces attractions sont vraiment terrifiantes, et personne, je dis bien personne, n'en mène large, ni à l'entrée, ni à la sortie. C'est tellement flippant qu'on se demande pourquoi on s'inflige ce genre de stress !
L'été, il y a aussi plein d'évènements particuliers, comme par exemple ce festival sur la culture d'Okinawa, où on s'en met plein la panse en écoutant de la musique okinawienne. Trop cool.

Il y a aussi ce festival de cinéma en plein air où j'ai emmené mes amis voir un film français, French Cancan de Jean Renoir, avec Jean Gabin dans le rôle principal, et Philippe Clay, génial, 100% pure culture française ! Moi qui ne suis pas un fan de Jean Renoir, j'ai bien apprécié de me plonger dans un spectacle où pour une fois, je maitrisais les codes. Et quelle émotion que de savourer dans son contexte la version originale de La complainte de la butte... Mes copains japonais, francophiles pour la plupart, eux aussi ont aimé, pour eux c'était... exotique !
L'été, c'est également la saison des matsuris et des feux d'artifice. Alors qu'à Nagareyama, il ne se passe jamais rien, cette année, j'ai vu un matsuri défiler juste en bas de chez moi, mais vraiment juste en bas, on ne peut pas imaginer plus pile poil juste en bas de chez moi, même que c'est là qu'ils ont choisi de faire une pause.
Du coup, je suis descendu faire quelques photos, et j'ai croisé le directeur de mon bureau de poste qui participait au transport du mikoshi, l'autel portatif ! Il y avait aussi un mikoshi pour les enfants, et là pim poum, je suis tombé sur un de mes élèves ! Moi qui ne connais personne à Nagareyama... Bon, sa mère m'a demandé comment ça se faisait que j'avais mis C à son fils en français (sur A-B-C), c'était délicat, mais je m'en suis bien sorti : "Naaan, mais c'est pas important les notes, ce qui compte c'est qu'il participe et qu'il s'amuse bien !" (il participe pas du tout et il s'amuse pas du tout).

Je suis allé voir les lanternes flottant sur la Sumida, un agréable petit moment de poésie et de douceur.
J'ai assisté au feu d'artifice de Kita-Senju (un quartier au nord de Tôkyô), et c'est seulement en arrivant à la gare que j'ai compris à quel point ce rendez-vous était populaire. Une foule hallucinante s'étendait depuis la sortie de la gare jusqu'aux abords de la rivière ! Certes, le feu d'artifice était très beau, avec notamment des fusées qui explosaient en faisant des dessins dans le ciel, mais le plaisir que procure ce genre de spectacle vient aussi du fait de participer à ce moment de liesse populaire, où les femmes portent des yukata (kimono d'été) dont la beauté ne finit pas de me ravir, et où les hommes, même ivres morts, ne sont pas agressifs (je sais, vu de la France, ça doit paraitre à peine croyable).
Par contre, le grand feu d'artifice de la Sumida, on l'a raté. On était une dizaine de potes, tous en tenue traditionnelle (yukata pour les hommes ou les femmes, et jinbei pour les hommes), et on s'est pointés assez tôt sur le site, mais comme il pleuvait des cordes, les quelques endroits à peu près abrités pour assister au spectacle étaient bondés, impossible de trouver une place pour se poser tranquillement. Alors Wada-san a proposé d'ouvrir le 80's Café rien que pour nous, c'est l'avantage d'avoir un copain gérant de bar ! On s'est donc fait une soirée privée au 80's, et le grand feu d'artifice de la Sumida, on y a assisté en direct à la télé en dégustant des pizzas, bien au sec ! Et puis après, Wada-san a sorti un petit ampli, on s'est branché sur YouTube, et on s'est improvisé un karaoké rien qu'à nous. Le pied.
Voilà pour aujourd'hui. Je vous raconterai bientôt la suite de tout ce qu'on peut faire l'été à Tôkyô.

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