On l'a échappé belle... Ou plutôt, vous l'avez échappé belle, parce que moi, finalement, ça ne m'aurait pas affecté plus que ça dans ma vie quotidienne. Enfin si, un peu quand même. Parce que, en tant que prof de français (et donc de culture française), quand je parle de la France à mes apprenants, je leur parle d'une histoire qui s'est nourrie de la mixité, je leur parle du pays des droits de l'Homme, je leur parle de la Révolution française, qui est pour moi un élément fondamental - voire fondateur - de l'identité française. Un peuple qui se dresse face à l'autorité pour réclamer l'égalité. J'aurais eu l'air malin si l'extrême droite était passée.
Mais finalement, oui, le peuple s'est à nouveau dressé pour faire barrage à ces idées abjectes et à ce futur dangereux qu'on voyait poindre avec de gros sabots. L'honneur est sauf, mais quand même, c'est pas bien glorieux. Tant de racistes en France, tant de gens qui ont laissé infuser leur cerveau par des raccourcis racoleurs et des pensées faciles, il y a de quoi s'inquiéter. Je ne suis ni un éditorialiste politique ni un psychologue des masses, aussi je laisserai faire ceux dont c'est le métier, pour analyser les raisons profondes de ce mal-être. Je me dis juste qu'on a sauvé les meubles, mais que la maison continue de bruler.
Au Japon aussi, à Tôkyô plus précisément, il y a eu des élections le 7 juillet. Il s'agissait de désigner le ou la gouverneur de Tôkyô, l'équivalent d'un maire pour une ville (mais Tôkyô n'ayant pas le même statut qu'une ville, on ne parle pas, pour la Capitale, de maire mais de gouverneur). Cette élection a lieu tous les quatre ans. La candidate sortante, Yuriko Koike (prononcé ko-ï-ké) se présentait pour un troisième mandat. Elle a beau ne pas être extrêmement populaire, elle a été largement réélue, les Japonais étant par nature réticents au changement. Il faut dire qu'elle avait pris la précaution de se présenter en tant qu'indépendante et non sous l'étiquette de son parti (le Kômeitô, la droite dure), vu les casseroles que celui-ci se traine. En effet, le monde politique japonais n'est pas plus beau que son équivalent français, et les scandales de corruption et propos outranciers semblent faire parti du quotidien. Ceci dit, même en prenant ses distances avec son parti, c'est tout un poème, cette madame Koike. Par exemple, pour tenter d'endiguer la baisse de la natalité, gros problème au Japon, sa municipalité a lancé une appli de rencontre. Trop fort, l'idée. Surtout que pour s'inscrire, on doit fournir son avis d'imposition. Ben oui : qui aurait envie d'avoir un enfant avec un pauvre ? "Faites des gosses, mais seulement si vous êtes riche." Délicatesse, quand tu nous tiens...
Il faut avouer que pour ce scrutin, Koike n'avait pas beaucoup de concurrence. Enfin si, il y avait au total 56 candidats, ce qui est un record (il y en avait 22 lors des précédentes élections, en 2020). Mais à part une certaine Renho, soutenue par le Parti communiste, peu étaient considérés comme des candidats crédibles. Voici, sur la photo ci-dessous, un échantillon de ces candidats. Regardez donc ce panneau d'affichage : honnêtement, ce n'est pas très différent de ce qu'on trouve en France, n'est-ce pas ?
Oui, oui, il y a bien un candidat qui pose en armure de samouraï ! Et son programme prône un retour aux valeurs de ces guerriers d'antan. Hmm, ça fleure bon le progressisme ouvert d'esprit, résolument tourné vers la modernité, tolérant et pas du tout fanatique. Mais ce n'est pas tout. Regardez encore.
Oui, nous avons là un candidat déguisé comme dans le film The Mask, entouré de filles sensuelles. Et encore, cette affiche est la version soft d'une autre qui avait été censurée, beaucoup plus sexy. Sur d'autres affiches, ce même candidat pose non pas avec un masque vert mais habillé comme le Joker, le méchant de Batman. A son programme : légaliser la polygamie. Trop cool.
Pour bien comprendre la présence de ces candidats pour le moins hétérodoxes, voici un extrait d'un article tiré du site Nippon.com :
"Un groupe appelé "Parti pour la protection du peuple contre la NHK" (note : la NHK est, en gros, l'équivalent de France Télévision, et est régulièrement accusée de harceler la population pour réclamer le paiement de la redevance, ce que je confirme), qui a présenté 24 candidats, propose actuellement d'échanger 24 cadres d'affichage contre un don de 25 000 yens (145 €). Le donateur peut ensuite utiliser les espaces disponibles pour coller 24 images de son choix.
Quelques 1050 cadres ont ainsi été "vendus" de cette manière. Mais parmi eux, certains n'ont rien à voir avec la politique. On peut par exemple voir afficher des codes QR menant à divers sites payants ou encore des publicités pour des services à caractère sexuel."
Il est donc difficile de faire le tri entre les pubs et les candidatures farfelues, et c'est comme ça qu'on trouve aussi des candidats proposant de développer le golf ou le poker. Et, tenez-vous bien, une IA. Sans dec', une Intelligence Artificielle, candidate au poste de gouverneur de Tôkyô. Remarquez, ça vaut bien un Francis Lalanne qui se présente aux élections européennes. A chaque élection, avec ou sans l'aide des ennemis de la NHK, des candidats loufoques apparaissent ainsi sur les panneaux d'affichage, prêts à tout pour attirer l'attention, détournant des urnes ceux qui ne sont déjà pas très motivés pour aller voter.
Qu'on ne s'y trompe pas : la majorité de ces candidatures tiennent plus de la blague ou de l'opération de communication. Mais pas toutes. Lors des dernières élections municipales dans ma ville, à Nagareyama, j'ai vu un monsieur qui se présentait très sérieusement en tant que candidat de la dignité masculine, pour l'abolition des droits des femmes. Il jugeait que notre époque moderne avait accordé trop de privilèges aux femmes, ce qui bloquait l'ascension sociale des hommes, et proposait que les femmes retrouvent leur place au foyer, assignées aux tâches ménagères auxquelles la nature les destine, non mais. Pour agrémenter son tract de jolies images, ce vaillant chevalier sévèrement burné avait ajouté des photos de chat (personne n'a su m'expliquer le rapport avec son programme). Il faut donc croire que ce monsieur aime bien les chats mais pas les chattes. Je tiens à préciser au passage qu'en matière d'égalité homme/femme, d'après un classement mondial daté de 2024, le Japon se situait 118ᵉ (sur 146 pays), et pas au bénéfice des femmes, on s'en doute. La France était 22ᵉ, il n'y a pas de quoi se pavaner non plus.
Concernant l'extrême droite, elle est presque aussi présente qu'en France, mais de façon un peu différente. Le paysage politique japonais étant globalement orienté largement à droite, l'extrême droite affiche un radicalisme qui ferait rougir la famille le Pen. On voit parfois le weekend devant les gares de gros camions noirs ornés du drapeau impérial, sur lequel sont juchés des hommes (je n'ai jamais vu de femme) débitant leur discours dans un mégaphone. Je ne comprends pas tout ce qu'ils disent, mais à l'instar des Arabes ou des Noirs en France, les cibles sont ici les Chinois et les Coréens qui, c'est bien connu, assassinent impunément, etc. Ça, c'est pour les points communs avec leurs compères français. Mais les xénophobes locaux ne cherchent pas du tout la dédiabolisation. Du coup, ils foutent franchement la trouille, y compris (et ça c'est une grosse différence avec la France) aux forces de l'ordre, et la police les encadre toujours de près.
Encore un mot sur les élections au Japon. Une fois de plus, les repères culturels sont aux antipodes de ce que nous connaissons en France. Les Japonais semblent n'avoir aucun scrupule à utiliser les stratégies de la communication commerciale (autrement dit, la publicité) dans leur communication politique. Je sais bien que les personnages politiques de chez nous le font aussi, mais d'une manière qui nous parait plus subtile, pour qu'on ne s'en rende pas compte. Au Japon, lors des campagnes électorales, on peut voir circuler en ville des camionnettes aux couleurs de certains candidats, munies de hautparleurs sur le toit, et qui répètent en boucle le nom du candidat en question, en alternant parfois avec quelques punchlines représentatives de son programme. C'est comme quand vous avez entendu dix fois dans la journée "Du pain, du vin, du Boursin" : que ça vous plaise ou non, vous l'avez en tête. Que le candidat lui-même soit présent dans le véhicule, ou que ce soit juste son équipe, tous font coucou de la main aux braves citoyens de la rue pour montrer comme ils sont sympas avec les gens du peuple. Et si un candidat audacieux daigne descendre de sa camionnette, on tiendra au-dessus de lui un grand écriteau, de façon à être vu de loin, sur lequel il est inscrit quelque chose qu'on pourrait traduire par "en personne". Les braves gens du peuple peuvent ainsi aller le saluer, et se sentir fier d'avoir pu échanger avec ce politicien en personne.
OK, je sais que je ne devrais pas adopter un ton aussi sarcastique voire jugeant pour parler de la culture japonaise, mais j'avoue qu'en France ou au Japon, la plupart des politiciens ne m'inspirent pas un grand respect.
A l'heure où j'écris ces mots, le Nouveau Front Populaire, qui n'avait absolument pas prévu de gagner les élections législatives, se demande encore ce qui lui arrive, s'entredéchire pour choisir qui sera vizir à la place du vizir (pour le plus grand plaisir du calife actuel et de la future calife), et fait honte à toute la France, en particulier à ceux qui se sont bougés le cul pour les faire gagner.
Dites, vous n'avez pas l'impression qu'il y a un truc qui cloche ? Ça fait un moment déjà que je m'interroge sur la pertinence du mode de scrutin que nous utilisons, notamment pour les présidentielles, le scrutin uninominal à deux tours. Il semblerait que d'autres modes soient intéressants à considérer, comme le vote par jugement majoritaire (voir à ce sujet l'excellente vidéo de David Louapre). Je ne suis pas sûr que ce type de scrutin empêcherait l'accession au pouvoir de l'extrême droite, mais il aurait le mérite de représenter plus fidèlement l'opinion de tous, en donnant une chance aux petits partis d'être entendus sans être victimes du "vote utile". Aux dernières élections européennes, j'ai été choqué de voir que certains partis n'avaient même pas de bulletin dans les bureaux de vote, et que si on voulait voter pour eux, il fallait imprimer soi-même son bulletin. Ne sont donc présents dans les bureaux de vote que les "grands" partis. Je l'avais déjà remarqué avant, mais ce qui m'a gêné cette fois, c'est que j'ai - enfin ! - compris que les "grands" partis, ça veut dire "les partis riches". C'est donc l'argent qui mène la vie politique. Ce sont les règles du commerce qui dirigent la République. Ne pourrait-on pas traiter tous les candidats de façon égalitaire ? Je crois que ce serait salvateur pour notre démocratie. Il me semble que les "petits" partis ne sont pas beaucoup passés à la télévision, alors qu'une loi oblige à accorder le même temps de parole à tous les candidats, est-ce bien normal ? Certes, on n'a pas forcément envie d'écouter les discours délirants de certains partis, mais la démocratie ne se nourrit-elle pas de la diversité d'opinion ? Par exemple, quand je suis tombé sur la profession de foi du Parti animaliste, sur le coup, j'avoue avoir lâché un sourire goguenard. Avec un nom pareil, je n'y voyais pas plus de sérieux que chez un candidat samouraï ou The Mask. Et puis par acquis de conscience, j'ai quand même commencé à lire. Et en toute honnêteté, j'ai été surpris de constater le bienfondé et la cohérence de leurs revendications. Je ne suis pas allé jusqu'à voter pour eux, mais je me dis que si les électeurs pouvaient plus facilement accéder à ce type de discours alternatifs, les débats s'en trouveraient enrichis, et les "grands" partis feraient moins les malins.
N'oublions pas que Hitler aussi a été élu démocratiquement, ça mérite qu'on réfléchisse un instant sur le système qui a permis ça, non ?
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