L'année dernière, je vous ai déjà raconté en long et en large le bon-odori, et je vais essayer de ne pas me répéter. Car cet été encore, je suis allé danser dans les natsu-matsuri, ce qui m'a permis de me plonger plus profondément dans ce pan de la culture insulaire. Il faut dire que, ne prenant pas de vacances, la danse est la meilleure échappatoire qui s'offre à moi pour briser ma cadence de travail, comme un contrepoint à la redondance des jours. Un autre rythme, la nuit tombée.
A Noël, je décore mon appartement de guirlandes et de boules on ne peut plus traditionnelles, et cet été, je l'ai décoré aux couleurs des matsuri : calicots typiques des yatai (stands de nourriture), yaki-soba, takoyaki ou kakigōri, et puis pastèque, poissons rouges, veste de matsuri, cochon à encens, lampions, etc. Ainsi, même en étant chez moi, j'avais déjà le cœur en fête.
Mais j'avais beau écouter en boucle les chansons des matsuri, ça ne suffisait pas, évidemment. Tous les weekends, je me suis donc rendu dans différents quartiers, certains que je connaissais, d'autres nouveaux, multipliant les découvertes.
Parmi les expériences renouvelées, je suis par exemple retourné au matsuri d'Edogawadai, à côté de chez moi. J'y ai croisé quelques anciennes élèves de Gyōsei, c'était sympa, même si certaines se rappelaient de moi bien plus que je ne me rappelais d'elles. Edogawadai n'est pas un matsuri très traditionnel. Certes, on avait bien les yatai et la yagura (estrade), mais la sélection musicale, si elle contenait effectivement quelques classiques du bon-odori, comme Tōkyō ondo, comportait surtout des morceaux plus modernes, comme YMCA (oui, c'est très relatif quand je dis "moderne"). L'ambiance était particulièrement jeune, on se serait un peu cru dans une discothèque à ciel ouvert.
Je suis aussi retourné à Nerima, dans le tout petit matsuri où ils nous avaient accueillis si chaleureusement, ma demoiselle et moi, au point de nous faire monter sur la yagura. Cette année encore, on y a eu droit (non, je n'ai pas les images !), et comme ils sont toujours aussi gentils, on y est allés deux jours de suite, le samedi et le dimanche.
Dans les expériences nouvelles, je suis allé à un matsuri organisé sur le toit d'un grand magasin. Je pense que c'était avant tout une grosse opération commerciale, mais le matsuri était malgré tout assez traditionnel, et en plus, il y avait des brumisateurs géants, très rafraichissants.
Je me suis également rendu dans un matsuri qui rassemblait essentiellement des habitués, et qui se déroulait sous une autoroute ! Celui-ci, on ne pouvait pas le trouver par hasard en sortant du métro ou en faisant ses courses. De plus, les danses qu'on y pratiquait étaient assez complexes, difficilement accessibles aux débutants, et par ailleurs, la plupart des danseurs étaient incroyablement doués. Avec un tel haut niveau, je n'ai pas vraiment pu m'intégrer dans la ronde, mais je n'ai pas regretté pour autant d'être venu, car malgré l'étrange austérité du site, c'était vraiment magnifique à regarder.
Bien sûr, il y a eu quelques ratés.
Je pense par exemple au matsuri de Sugamo, où au bout de dix minutes, un orage terrible a soudainement éclaté et il s'est mis à pleuvoir des hallebardes, faisant fuir tout le monde dans la panique. Du coup, l'évènement a naturellement été annulé. Mais pas de problème : comme on était samedi soir, on a pu se rattraper le dimanche soir, au sec cette fois-ci.
Le matsuri le plus frustrant de cette année, je crois que c'était celui de Jimbōchō. Le comité organisateur, sans doute un peu fauché, n'avait pas cru bon d'investir dans une sono qui tient la route. La sono n'a donc pas tenu la route. En urgence, il a fallu trouver une solution de rechange : ils ont diffusé les musiques sur un téléphone portable, et placé des micros face au haut-parleur de ce téléphone ! Ai-je besoin de vous décrire la qualité du son ? On reconnaissait à peine les morceaux, et quand les musiciens frappaient le taiko (tambour), on n'entendait plus qu'une cacophonie innommable. En plus, de tous les matsuri que j'ai connus, ces joueurs de taiko étaient les pires que j'ai jamais vus, on aurait cru leur première leçon, et rares étaient les moments où ils jouaient en rythme. En fait, c'était tellement pourri que c'en était drôle. J'ai bien ri mais quand même, je ne retournerai pas à Jimbōchō l'année prochaine.
Concernant les taiko, justement, il y a toujours un moment où les danses se suspendent pour laisser place à une démo, et c'est souvent époustouflant. Cette année, la démonstration, le concert plutôt devrais-je dire, le plus incroyable auquel j'ai assisté, c'était à Suitengūmae, au matsuri sous l'autoroute, décidément d'une très haute teneur. Vous trouverez quelques images plus bas. Dans cette petite vidéo, je n'ai pas voulu vous montrer des échantillons représentatifs comme l'année dernière (parce que justement, je l'ai déjà fait l'année dernière), mais j'ai laissé tel quel les moments que j'ai enregistrés, parce que le taiko, ça s'apprécie surtout comme ça, dans la longueur et le développement.
Il y a une autre tradition, lors des natsu-matsuri, dont je ne crois pas vous avoir déjà parlé, ce sont les mini feux d'artifice. Le japonais utilise le même mot que pour les feux d'artifice qu'on projette vers le ciel, mais ceux des matsuri se tiennent à la main. Ce sont surtout les enfants qui adorent ça, mais les adultes aussi s'amusent avec. On allume une tige en papier, qui se consume en produisant des étincelles. On n'en trouve pas partout, mais j'ai vu des jeunes dans un parc près de chez moi qui en faisaient bruler, c'était drôlement beau. Au matsuri de Jimbōchō, le comité en avait acheté une grande quantité qu'ils ont distribuée aux enfants (c'était donc là qu'était passé leur budget !), instants magiques que d'assister au spectacle des étincelles dans les yeux des petits. Ils ne pouvaient quand même pas se planter sur tout, dans ce matsuri !
En ce qui concerne les musiques, on retrouve bien entendu les classiques, de Tanko bushi à Kawauchi otokobushi, mon préféré du moment, et des chansons pop. Vous vous souvenez peut-être que la nouveauté de l'année dernière, c'était une vieille chanson de Boney M, Bahama Mama. On a pu l'entendre encore par-ci par-là cette année, mais les organisateurs avaient sans doute décidé de faire dans la surenchère du kitsch, et le "nouveau" morceau (qui tournait quasiment en boucle au matsuri de Shinjuku), c'était Livin' On A Prayer de Bon Jovi. Oh my god, que cette musique est laide ! Autant je m'amusais bien sur Boney M, autant là, ça m'a donné un peu d'acné. Heureusement que je n'ai pas parié mes couilles que je ne danserai jamais sur du Bon Jovi, mais ça m'a rappelé à quel point il ne faut pas se prendre au sérieux. Le bon-odori, c'est une fête populaire, pas un bal de monsieur l'ambassadeur.
Autre nouveauté : une chanson issue d'une attraction de Disneyland Tokyo, Jamboree Mickey. Sur un rythme frénétique, une chorégraphie qui ne l'est pas moins vous épuise en trente secondes. J'ai essayé de suivre, en vain. A se demander si tous les danseurs, enfants compris, n'avaient pas inhalé nasalement des substances énergisantes interdites. Je vous mets le lien (cliquez ci-dessus sur le titre de la chanson), en espérant que vous y aurez accès depuis votre zone géographique. Si vous parvenez à refaire toute la chorégraphie, envoyez-moi la vidéo, s'il vous plait, ça m'intéresse vraiment.
Enfin, on a exhumé une pépite des années 90, Matsuken Samba de Ken Matsudaira, une chanson très festive, qui s'accorde bien, selon moi, avec l'atmosphère des matsuri. En dansant, tout le monde affichait un grand sourire, on sentait le bonheur de faire les fous tous ensemble, un de mes grands souvenirs de cet été.
Et puisque c'est bien ça dont il s'agit, parlons un peu des danses.
L'année dernière, j'avais commencé à suivre des cours avec une association, la Kōchōkai, mais le niveau était vraiment trop élevé pour moi, et après m'être échiné pendant des mois à essayer d'améliorer ma grâce pas du tout naturelle, j'ai laissé tomber. Après tout, les chorégraphies qu'on apprenait là-bas étaient réservées aux initiés, dont je ne fais pas partie, et ne sont dansées qu'en de rares occasions. J'ai préféré me concentrer sur les chorégraphies les plus courantes, en apprenant sur le tas, comme les locaux. Les années précédentes, j'étais très réticent à l'idée de me lancer comme ça, mais j'ai pris confiance en moi, et je maitrise maintenant suffisamment de danses pour me permettre d'en estropier quelques-unes. Si je ruinais toutes les danses, j'aurais sans doute honte, mais comme je me débrouille pas trop mal sur plusieurs morceaux, on ne peut pas me soupçonner de me moquer des traditions japonaises. En fait, j'ai le sentiment d'avoir découvert là le véritable esprit du bon-odori. Le vrai plaisir n'est pas tant de danser sur les chansons qu'on connait, mais d'apprendre de nouvelles danses, et de les répéter jusqu'à ce que ça devienne beau. On regarde les autres faire, on copie les plus doués, et petit à petit, on intègre et on s'approprie les mouvements. Quand on est à l'aise, on peut tenter des gestes plus amples, de petites ornementations des mains, des balancements de la tête, voire même, on peut chantonner en dansant (mais pas du Bon Jovi). Quand on y arrive, c'est là qu'on s'amuse le plus.
Pour apprendre les chorégraphies qui demandent plus de travail, ou si, comme moi, on n'est pas un danseur né et qu'on a besoin de beaucoup répéter afin de ne pas donner l'impression de faire la danse de Saint-Guy, on peut trouver des tas de vidéos sur YouTube. Et puisque votre humble serviteur a trainé ses guêtres dans tout le nord de Tōkyō depuis le début de l'été, il n'est pas impossible que vous voyez ma trombine passer sur certaines de ces vidéos, comme sur celle-ci par exemple (attention, c'est très court, de 2'30 à 2'50 !) :
A force de fréquenter les matsuri, on finit par repérer certaines têtes. Pas précisément dans cette vidéo, mais de ci de là, j'ai repéré un couple de garçons qui dansent avec beaucoup d'élégance, il y a ce sportif qui danse comme s'il faisait un marathon, il y a cette dame que je regarde toujours parce qu'elle me sert de modèle, et puis un jour, j'ai même rencontré un des professeurs de la Kōchōkai, l'association où je prenais des cours !
Ce que je n'avais pas réalisé, c'est que, logiquement, à montrer mon museau partout, j'ai moi aussi fini par être repéré. Un jour que ma demoiselle et moi dansions à Nerima, une jeune fille seule dansait près de nous, et nous avons échangé quelques mots. Que ne fut pas ma surprise quand elle nous a dit : "Ah, vous deux, je vous avais déjà vus à l'asagao-matsuri de Uguisudani ! Je vous avais remarqués parce que vous dansez très bien !" Quelle étrange sensation que de se faire reconnaitre dans la plus grande ville du monde ! Tant pis pour l'humilité, mais je dois confesser avoir ressenti une certaine fierté, toutefois aussitôt relativisée par la ferme conviction que je ne danse pas si bien que ça. N'allez pas imaginer que je suis devenu célèbre dans les natsu-matsuri ou que je suis un danseur hors-pair. Juste, je me fais plaisir. Et ce plaisir, je souhaite vous le transmettre autant que possible, à travers mes mots et mes images.
Afin de ne pas refaire la même vidéo que l'année dernière, j'ai tenté un style différent, j'espère que ça vous plaira.
Voici la vidéo des taiko.
Et puisque j'ai pris des centaines de photos, je vous en propose une sélection dans ce diaporama.
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