L'été n'est pas encore terminé, mais la haute saison s'éteint doucement, laissant la place à celle des typhons, qui arrivent les uns après les autres. Il fait toujours très chaud, mais ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. J'ai choisi en toute connaissance d'habiter dans une région du globe où les mois de juillet et d'aout sont torrides, et même si c'est parfois difficile, j'assume. Laissez-moi vous raconter un peu cet été 2024. Et comme j'ai envie de vous raconter plein de choses, ça va être un peu long, alors posez-vous et prenez votre temps. C'est l'été !
Dès le mois de juin, j'ai cessé de dormir dans mon lit pour dormir sur mon lit, et assez rapidement, avec le ventilateur braqué sur moi, fenêtres grandes ouvertes. Je n'aime pas beaucoup le climatiseur, car l'idée de respirer un air artificiel m'est assez désagréable. Ceci dit, il m'est arrivé de craquer au milieu de la nuit. Le ventilateur, brassant de l'air chaud, ne suffit pas toujours à nous rafraichir, et quand on se réveille en sueur à 2 heures du matin, l'oreiller trempé, il faut parfois se résoudre à fermer les fenêtres et allumer l'air conditionné pour trouver le sommeil et être capable de travailler le lendemain.
J'ai pris l'habitude, avant de me coucher, de sortir sur mon balcon prendre l'air quelques minutes. Un soir, savourant la douceur de la brise apportant une relative fraicheur (comparé à l'intérieur de l'appartement), je me suis dit que l'idéal serait de dormir sur mon balcon. Après tout, pourquoi pas ? Eh oui, pourquoi pas ! Hop ! j'ai sorti mon futon, mon oreiller et ma couette, et j'ai dormi à la belle étoile ! Comme quand j'étais petit, dans le jardin de ma grand-mère, en admirant la Lune et les astres scintillants. Merveilleux. J'avais disposé de l'encens répulsif contre les moustiques, et pas un seul n'est venu m'embêter. Il parait d'ailleurs qu'il y avait moins de moustiques, cette année, à cause de la chaleur extrême. J'ai vu aussi beaucoup moins de mantes religieuses. C'est dommage ; c'est beau, une mante religieuse. Vous savez quoi ? J'ai super bien dormi, dehors. A tel point que j'ai renouvelé l'expérience à deux ou trois reprises. Pas trop chaud, pas trop froid, vraiment parfait. J'ai adoré.
S'il est difficile de se passer totalement de la clim', il est absolument impossible de se passer d'un ventilateur. Ce serait comme se priver de chauffage en plein hiver. Dans la rue, dans le train, beaucoup de personnes sont munies d'un mini-ventilateur portable, qu'elles tiennent face à leur visage pour essayer de ne pas fondre sur place. En ce qui me concerne, je préfère l'élégance du geste de l'éventail. J'en ai toujours un dans mon sac. On voit aussi de plus en plus des sortes de gros colliers qui vous maintiennent la nuque au frais. Ça se présente comme ces blocs qu'on met dans la glacière, mais en forme de boudin arrondi. Je n'ai jamais essayé, mais ça doit être pas mal. Dans le train par contre, sur certaines lignes, la clim' est parfois beaucoup trop forte, et même si le froid soudain qui vous saisit quand vous pénétrez dans le wagon peut sur le coup sembler le bienvenu, on se retrouve rapidement à greloter, surtout si on est déjà dégoulinant de transpiration. C'est à tel point qu'on trouve maintenant des wagons à la climatisation modérée, de façon à ne pas avoir l'impression d'entrer dans un réfrigérateur.
Pour se rafraichir, le mieux est encore d'aller à la piscine, mais je vous ai déjà raconté ça dans mon précédent article, je ne vais pas revenir sur ce sujet.
Il y a aussi les salles de cinéma, climatisées, ça va de soi. Je suis allé passer une nuit dans mon cinéma favori, à Ikebukuro, où sont diffusés des films qu'on ne voit pas ailleurs en général. Des vieux films français, des films de monstres japonais, tout ce qu'on appelle le cinéma de genre, tendance art et essai. Là, c'était trois films d'horreur, de 23h à 5h30, vraiment excellents. Je ne connaissais pas l'actrice anglaise Mia Goth, elle est époustouflante (si vous avez l'occasion, regardez donc Pearl). Par contre, pour enchainer avec une leçon en ligne une fois rentré chez moi le matin, c'était moins évident. Au cinéma, j'ai surtout vu un film japonais que je vous recommande chaudement : Mononoke (à ne pas confondre avec Princesse Mononoke de Hayao Miyazaki). Il s'agit de la déclinaison ciné d'une série télé, et on a rarement vu des images d'une telle beauté dans un dessin animé japonais. A chaque plan, on a envie de demander au projectionniste de faire un arrêt sur image pour se perdre dans les milliers de détails. Les couleurs vives sont étourdissantes, les décors, plus symboliques que réalistes, nous plongent dans un imaginaire totalement onirique, la poésie qui nait de l'ensemble est envoutante.
Chercher le frais, ça peut aussi se faire en se rapprochant de l'océan. Pour moi, l'été est synonyme de mer, et chaque année, je m'offre une journée de break sur la plage la plus près de chez moi (non : la moins loin !). C'est un peu compliqué parce qu'il n'y a pratiquement pas de bus, et depuis la gare, il faut effectuer les 10 derniers kilomètres en autostop. Alors que le stop n'est pas du tout dans la culture locale, j'ai rarement galéré, et discuter avec des gens du coin est toujours sympa. Même des femmes seules acceptent de me prendre, et certaines vont jusqu'à faire un détour de plusieurs kilomètres pour m'emmener à destination. Je ne reste pas forcément très longtemps sur le sable. J'ai juste besoin de me poser paisiblement, de jouer un peu avec les vagues, de sentir l'iode, d'écouter le grondement des rouleaux. Cette année, j'y suis allé en semaine, il n'y avait donc presque personne, les bars provisoires étaient en cours de démontage, ça sentait la fin de saison, un petit parfum de nostalgie, triste et doux. Et avant de rentrer, j'aime aller manger des fruits de mer dans un restaurant calme et lumineux, en regardant l'horizon azur. Mes rituels. Alors que le ciel assez nuageux le matin était passé à légèrement voilé durant la journée, me permettant de profiter du soleil et de prendre quelques couleurs, en arrivant chez moi, le temps s'est soudainement obscurci et il s'est mis à tomber des trombes, prémices du typhon qui s'approchait. J'ai vraiment eu de la chance, ce jour-là.
Côté kendō, le trimestre a été clôturé par une petite cérémonie où les enfants ont reçu leurs distinctions (grade ou compétition). Après, comme l'année dernière, ils ont cassé des pastèques, que nous avons ensuite mangé dans une ambiance familiale et chaleureuse. Pour autant, les entrainements de kendō ne s'arrêtent pas pendant l'été, mais pour éviter les grosses chaleurs, on pratique le asa-geiko, littéralement "entrainement du matin", c'est-à-dire de 6h à 7h. Il faut être motivé mais c'est super agréable. Et le 1er septembre, la rentrée a été marquée par un barbecue, dans une ambiance toujours aussi familiale et chaleureuse.
Avec tout ça, on pourrait penser que je me suis bien reposé cet été. En vérité, il n'en est rien, j'ai continué à travailler comme d'habitude. J'ai même travaillé le dimanche matin après mon entrainement de kendō, puisque j'avais bloqué mes samedis soirs pour aller danser (je vous raconterai ça plus tard). J'ai également encadré un stage intensif pendant trois jours, intéressant mais épuisant. Toutefois, j'avais réservé un court séjour dans le sud, histoire de souffler un coup, et je m'étais organisé pour me mettre en congé. Mais la veille du départ, ce que je pressentais et craignais est arrivé : séjour annulé pour cause de typhon. C'est un euphémisme de dire que j'étais vraiment dépité. Même si je m'y attendais, j'ai eu un choc en recevant le mail d'annulation. Trois jours de vacances, ça ne me semble pas une dinguerie, quand mes amis français prennent au moins deux semaines. Certes, je suis au Japon, mais rien ne m'oblige fondamentalement à me tatamiser ( = à devenir japonais), et le besoin de se reposer me semble humain, et pas forcément lié à ma nationalité. Du coup, j'ai passé la journée du lendemain coincé chez moi, à broyer un noir qui n'avait rien à envier à celui du ciel tourmenté, tempêtueux et détrempé. J'ai pensé à mon ami d'enfance qui s'est fait enlever un poumon, à une amie très chère qui s'est fait enlever un sein, et je me suis dit qu'on ne sait pas ce qui peut m'arriver demain. Même si j'adore mon boulot, j'ai aussi besoin de m'en éloigner pour pouvoir profiter pleinement de la vie avant de mourir. Une vie, une seule.
J'ai reporté ce séjour d'un mois, mais septembre étant également riche en typhons, rien ne garantit que je pourrai partir. Si je pars, je vous raconterai, sinon, je n'aurai rien à raconter.
Le typhon passé, le soleil est revenu cogner dur. Puisque je m'étais mis en congé, autant essayer d'en profiter, et j'ai enfourché mon vélo. J'ai refait la balade que j'avais faite il y a trois ans, jusqu'à la baie de Tōkyō. C'est toujours aussi sympa et terriblement éprouvant. Mais malgré le plaisir de pédaler, je ne pouvais me défaire d'une certaine amertume en songeant à mes vacances escamotées.
J'aurais tellement, tellement aimé m'échapper. Mais non, pas le choix. Pas toujours de la chance.
Alors on danse.
Mais ça, ce sera pour un prochain billet.
Il y a quelque chose que je n'aimais pas du tout en France, c'est que je trouvais que l'été ressemblait au printemps, et que le printemps ressemblait à l'hiver, et que l'hiver ressemblait à l'automne. Au Japon, les saisons sont si marquées que le temps qui fait nous fait sensiblement éprouver le temps qui passe. Une vie, une seule.
Vous vous souvenez de votre oncle ou du cousin de votre grand-père, qui revenait d'un voyage à Jakarta ou à Chicago, quand vous étiez petits ? On fermait les rideaux et il nous faisait une soirée diapo. Un pêle-mêle un peu foireux comme ça, c'est ce que je vous propose de découvrir ici.
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