Frustré de ne pas avoir pu partir cet été, j'étais resté sur une promesse de repos non tenue et ce sentiment nourrissait en moi une impression d'entracte estivale inaboutie, comme un repas sans dessert. J'ai donc décidé de couper tardivement avec mon rythme en m'éloignant un peu de la capitale pour souffler. Souffler. La différence de température entre octobre et novembre étant impressionnante, ce petit break m'a en effet permis de faire le deuil de la belle saison pour me préparer aux rigueurs hivernales qui s'annoncent.
Le lac Suwa, ou Suwako, se trouve dans la préfecture de Nagano, à 3 heures de car de Tōkyō. Très peu connu des étrangers, il s'agit pourtant d'un lieu de villégiature réputé auprès des Japonais. Un festival, en particulier, fait sa célébrité : il s'agit d'une sorte de course où des hommes dévalent la montagne en chevauchant des troncs d'arbres. Cet évènement doit être impressionnant, et j'aimerais bien y assister, un jour, mais il est aussi controversé pour sa dangerosité, car les blessés graves et même les accidents mortels ne sont pas rares. Ceci dit, on vient aussi - et surtout - à Suwako pour savourer le calme qui entoure le lac. Au cœur de l'hiver, les eaux se figent, sculptant de magnifiques vagues glacées. En automne, ce sont les couleurs de la végétation, les fameux kôyô, qui teintent de toutes les nuances de rouge, d'orange et de jaune les reliefs alentours, comme des boules de coton coloré qu'on aurait parsemées sur le paysage.
Suwako est situé à environ 700 mètres d'altitude, et même si ce n'est pas encore la haute montagne, l'air y est nettement plus vif qu'en plaine, surtout quand le vent sec et mordant sévit, comme au jour de mon arrivée.
J'avais réservé dans un magnifique hôtel-ryokan, et en pénétrant dans le hall d'accueil, je me suis dit un instant que le standing était bien plus élevé que ce à quoi je suis habitué. La chambre, dans le parfait style traditionnel, était vaste et claire, munie d'une immense fenêtre - qui remplaçait pratiquement le quatrième mur - ouvrant sur le lac. Le onsen aux couleurs sombres était équipé d'un petit sauna que j'ai savouré autant que j'ai pu. Dans le vestiaire, un distributeur de jus de coing (pas tout à fait le même coing qu'en France, du coing de Chine) permettait de se réhydrater en faisant le plein de vitamines et autres nutriments détoxifiants.
L'hôtel proposait également des massages, ce qui tombait à point étant donné mon besoin de décompresser. Certes, la thérapeute s'est appliquée à me briser le corps en mille morceaux, mais je n'ai pas regretté car il fallait au moins ça pour me libérer de mes tensions.
Le lendemain, il a plu toute la journée, pas la moindre éclarcie pour compenser l'air givré qui me paralysait les os. Qu'à cela ne tienne, j'ai fait un tour en bateau sur le lac, ouvrant grand mes alvéoles pour faire le plein de fraicheur régénératrice. Inspirer. Les rives du lac regorgent de musées d'art et d'artisanat, et ma kanojo étant une fan d'Emile Gallé, nous sommes allés visiter le musée Kitazawa qui lui est consacré. Dans une région aussi reculée, je m'attendais à ne trouver qu'une modeste exposition, et j'ai donc été surpris par la taille de la collection. J'ai encore visité deux ou trois autres sites hétéroclites avant de rentrer me mettre au chaud.
Le restaurant de l'hôtel était tout aussi haut de gamme que le reste. Uniquement composés de produits locaux et de saison, alliant cuisine traditionnelle et inspiration moderne, tous les repas étaient d'un raffinement émouvant.
Repu de nourriture saine et totalement relaxé, j'ai pu dormir à poings fermés, et j'ai réellement senti mon stress s'évacuer. Je les méritais bien, ces vacances d'été en retard. Il est temps de songer à mes vacances d'hiver.
Souffler, inspirer. Respirer, donc.
J'ai résumé pour vous mon automne à ce séjour à Suwako, afin de ne pas m'éparpiller dans mes récits, mais j'aurais pu aussi vous parler des derniers bon-odori, qui se sont prolongés jusqu'à mi-octobre, ou d'une petite fête de quartier où je suis allé écouter ma kanojo chanter avec son groupe de gospel, et où j'ai également entendu des chants traditionnels de pompiers ; j'aurais pu vous décrire les projections que je suis allé voir sur les murs de l'hôtel de ville de Tōkyō, ou encore la sublime exposition/projection évoquant les Impressionnistes et le Japonisme ; j'aurais pu par ailleurs vous raconter mes galères d'ordinateur qui sont venues compliquer mon mois de novembre, mais tout ça et d'autres choses encore, c'est la vie qui passe. Et "les illusions de la vie tombent une à une comme en automne les feuilles de l'arbre" (John Petit-Senn).
Que j’aime ce récit, tes mots pour le raconter , décrire la splendeur des lieux qu’on ressent sans même y être allé et rêver d’y aller un jour .
RépondreSupprimerToi qui aimes les couleurs d'automne, les paysages de la fin novembre (ou début décembre suivant les années et les régions) te raviraient.
Supprimer