L'hiver traine sa langueur, et j'ai envie de vous faire part de quelques mots qui expliqueront en partie mon silence sur ce blog depuis début décembre. Des maux divers...
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais peu avant Noël, je me suis coincé le dos en faisant un mouvement simple, ni brusque ni inhabituel. Je ne me suis d'abord pas inquiété de cette douleur, mais celle-ci s'est rapidement amplifiée, à tel point que le jour de Noël, je ne pouvais tout simplement plus marcher, ni me tenir debout, ni me tenir assis. J'ai aussitôt reconnu les symptômes d'un mal dont j'avais déjà souffert, la sciatique. Sauf que quand je vivais en France, mes crises de sciatique passaient en quelques jours, souvent avec l'aide d'un médicament dont j'ai malheureusement oublié le nom. Mais là, non. Ça n'est pas passé. Non seulement la douleur est devenue terriblement insupportable, mais elle ne montrait aucun signe de rémission, au contraire. Entre Noël et le Jour de l'An, j'ai eu beaucoup de cours à encadrer, et je m'y suis rendu en avançant plié en deux comme un vieux bossu et en faisant des pauses tous les cinquante mètres. J'ai peut-être l'air de prendre ça à la rigolade, mais je vous jure que je n'exagère pas. En vérité, ma souffrance était telle qu'elle m'obnubilait, et que je ne pouvais penser à rien d'autre. Même réfléchir était devenu trop difficile pour moi.
Après le Jour de l'An, la plupart des services - y compris les services médicaux - et des magasins - y compris les pharmacies - sont en arrêt pendant plusieurs jours, il m'a donc fallu patienter. Et patienter quand on a une aiguille à tricoter géante qui vous rentre dans les reins et qui descend dans toute la jambe en vous crevant la hanche, la cuisse, le genou et le mollet pour aller se planter jusque dans votre cheville, je peux vous dire que ça use le moral.
Quand j'ai enfin pu consulter un orthopédiste, celui-ci m'a fait passer une IRM et m'a prescrit un traitement, soi-disant super fort. Il y a une chose intéressante avec les médicaments japonais : la plupart des expatriés connaissent leur inefficacité, et pourtant ces médicaments s'avèrent tout à fait efficaces sur les Japonais, voilà qui est étrange. A l'inverse, les Japonais qui viennent en France, pour peu qu'ils aient été mis en garde par leurs compatriotes venus avant eux, emportent dans leurs bagages leurs propres médicaments, car les nôtres leur donnent mal au crâne ou au ventre. Comment expliquer que nos traitements soient trop forts pour eux, et les leurs trop faibles pour nous ? J'ai posé la question à ma sœur ainée, qui travaille dans l'industrie pharmaceutique. Il semblerait qu'il n'y ait aucune explication rationnelle. Le dosage d'un produit pharmaceutique est en lien avec la corpulence du patient, pas avec son passeport, et, à part les sumôtori, les Japonais ne sont ni plus gros ni plus chétifs que les Occidentaux. Je me suis demandé s'il n'y avait pas là un phénomène proche de l'effet nocebo chez les Japonais, c'est-à-dire que le fait de croire qu'ils ingèrent une substance active (elle l'est, certes, mais normalement pas au point de créer de tels troubles) accentue leur ressenti. A l'opposé, je ne sais pas comment on pourrait nommer l'effet qui rend inactive une molécule chez les Occidentaux, juste parce qu'on la considère comme inactive. Serions-nous dotés du système digestif des autruches ?
Tout ça pour vous dire que si le docteur m'avait prescrit des bonbons à la place des médicaments, ça aurait au moins eu le mérite de me faire plaisir. En tout cas, ça n'aurait pas été moins efficace. Par ailleurs, quand vous achetez des médicaments au Japon, on ne vous vend pas la boite mais la dose exacte correspondant à la prescription. Pas question, donc, de doubler les doses, à moins de raccourcir la durée de votre traitement. Comme il devenait pénible d'arpenter les rues à quatre pattes, j'ai fini par acheter une canne, et je suis allé voir un ostéopathe. Comme beaucoup de monde, je croyais que l'ostéopathie était une variante de la kinésithéraphie, je ne savais pas encore que ses bénéfices n'étaient pas scientifiquement démontrés, et qu'il s'agissait là d'une médecine dite alternative, c'est-à-dire une pratique de charlatan. Et en effet, l'ostéopathe m'a un peu manipulé, étiré, vaguement massé pendant 45 minutes et ça n'a rien changé à mon martyre.
Un effet secondaire et imprévisible de mon handicap a été que je ne pouvais plus me raser. Quel rapport, me direz-vous. Eh bien pour se raser, il faut se tenir environ 10 minutes devant le lavabo, et qui plus est, penché en avant. Totalement impossible pour moi. J'ai donc laissé pousser ma barbe et mes cheveux pendant plusieurs semaines. Un jour, alors que je portais un pantalon noir dont un pan se rabat devant et donne l'effet d'une robe, je suis passé devant un miroir. J'ai vraiment eu un choc. Quand je me suis vu avec ma barbe grise, ma canne et ma robe noir, j'ai immédiatement eu l'image de l'abbé Pierre ! Même l'œil pervers, tout y était ! Il ne manquerait plus qu'un MeToo me tombe dessus...
Je suis retourné voir l'orthopédiste, qui était surpris de constater que ses bonbons avaient eu autant d'effet qu'une balle de revolver dans le thorax de la créature de Frankenstein. Il a donc de lui-même doublé les doses (il a dû comprendre que j'étais une autruche), en me disant qu'avec ce traitement de cheval, si mon mal ne disparaissait pas, il faudrait songer à une opération. J'ai répondu gloups.
Enfin, j'ai commencé à aller mieux. Ça n'a pas été fulgurant et je n'ai pas sauté de joie, d'ailleurs je n'ai pas sauté du tout, je ne pouvais pas, mais c'est vrai que j'ai commencé à moins souffrir, j'ai même réussi à me raser. Très heureux de retrouver une certaine mobilité, je suis retourné au kendô. Je n'avais pas pratiqué depuis début décembre et ça me manquait. Oh, je n'étais pas naïf quant à ma condition, et je savais bien que j'étais loin d'être au maximum de ma forme, mais j'avais juste envie de bouger. Je suis allé saluer le sensei et lui expliquer les raisons de mon absence, et lui dire que j'avais l'intention d'essayer de participer en douceur à l'entrainement, juste pour voir. J'ai ensuite commencé à faire, tout seul dans mon coin, quelques suburi, c'est-à-dire des exercices de base destinés à affirmer la technique. OK, pas de problème. Je suis ensuite passé aux haya-suburi, c'est-à-dire des mouvements plus rapides sollicitant une certaine vivacité des jambes. Là, j'ai bien remarqué que je n'étais pas stable du tout. Puis, toujours tout seul et toujours pour voir, j'ai lancé un men-uchi, c'est-à-dire le principal mouvement d'attaque, assez dynamique, visant l'adversaire à la tête. Et je me suis étalé par terre comme une crêpe. Ce qui se passe, c'est que pour lancer ce mouvement, il faut propulser le corps en avant en s'appuyant sur la jambe gauche. Or, les muscles de ma jambe gauche ont totalement fondu. Je ne pouvais rien faire. Au bout de dix minutes, je suis rentré chez moi, fin de l'entrainement de kendô.
En fait, comme je souffrais attrocement depuis décembre, je me suis appuyé le moins possible sur le côté gauche et, cette jambe travaillant donc peu, mes muscles ont diminué de volume. L'orthopédiste l'avait remarqué et il a mesuré la circonférence de mes cuisses : il a noté 5 cm de différence ! J'ai donc récemment entamé un programme de remusculation de mes jambes, et n'ai pas repris le kendô. Il faut que je patiente.
Voilà où j'en suis aujourd'hui. J'essaye d'aller au spa aussi souvent que possible. Les bains à jet massent assez puissamment, je pense que c'est bon pour le drainage lymphatique. Et je me force à aller dans le bain électrique. Kesako ? On est dans l'eau jusque sous les bras, assis dans une alcôve, et on reçoit des petites décharges électriques au niveau des reins, pile-poil là où mon mal prend sa source. Moi, j'appelle ça le bain Claude François. Les muscles se contractent, ça fait comme un massage sans contact. Je reconnais que ça, associé au jacuzzi et à d'autres douceurs relaxantes, ça porte ses fruits.
J'ai encore mal quand je marche, mais je n'ai plus besoin de la canne. On peut dire que je vais un tout petit peu mieux de jour en jour, mais ce n'est pas flagant. La douleur permanente m'avait cruellement sapé le moral, et là aussi, je remonte la pente, même si j'ai encore parfois des coups de mou.
Comme vous le voyez, pour moi, la période des fêtes, ça n'a pas été la fête. Rassurez-vous, il y a tout de même eu de bons moments. Par exemple, ma sœur m'a envoyé un colis pour Noël, et parmi les cadeaux, j'ai trouvé un vrai et beau camembert de Normandie ! Et comme le colis a mis beaucoup de temps à arriver, il était bien fait et bien coulant, le clacos ! A travers lui, on pouvait humer la terre et les vaches ! Voilà qui a fait mon bonheur pendant une semaine. Et au registre gastronomique, j'ai également pu prendre ma revanche de la galette des rois ! Figurez-vous que dans les boulangeries Paul (il y en a plusieurs à Tōkyō), on trouve une excellente galette, aussi bonne qu'en France. L'année dernière, je m'y étais pris trop tard pour en acheter une, et j'avais une frustration à assouvir. Et un Lulu qui rumine sa galette pendant un an, ça devient un vrai fauve ! Je n'ai pas acheté une part, j'ai acheté une galette entière pour moi tout seul ! J'ai essayé de me restreindre un peu afin que ma kanojo puisse y gouter aussi, mais à part ça, je l'ai dévorée comme un lion affamé (la galette, pas ma kanojo). Et comme je suis sauvage mais gentil quand même, j'avais caché la fève dans sa part (parce que cacher la fève dans sa propre part, ça fait pas une grosse surprise).
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