Mon cher Hervé,
Il faut bien le reconnaitre, vous êtes peu nombreux à lire régulièrement ce blog, mais tu comptes parmi mes plus fidèles lecteurs, et ce depuis le début. Tu t'es toujours montré curieux au sujet de ma vie au Japon, me posant moultes questions, et je sais que l'intérêt que tu portes à mes textes n'est pas lié uniquement à nos liens familiaux. Aussi, j'ai toujours su qu'un jour, tu viendrais voir par toi-même tout ce que je raconte de mon quotidien exilé. Je n'ai donc pas été surpris outre mesure quand tu m'as annoncé ta venue pour cet automne.
Ce n'était que le début de ton séjour.
Quand je travaillais, tu partais en vadrouille tout seul, et tu en as profité à fond. Je ne vais pas faire la liste, mais entre les visites de Asakusa ou du musée national à Ueno, tu ne t'es pas beaucoup reposé. Et en même temps, tu n'as pas cherché non plus à faire la course, à en voir le maximum. Tu as réussi à prendre ton temps, prendre du temps pour toi.
Je savais que tu avais très envie de voir du bon-odori, et ça tombait bien, j'avais prévu d'aller à mon dernier bon-odori de la saison et je t'ai donc embraqué avec moi. Nous voilà chez moi en train de répéter les principales danses, puis nous avons enfilé un yukata, et sommes partis faire du tourisme à Harajuku (le Meiji-jingu, la rue Takeshita et ses looks délirants), avant de ralier le lieu de la fête.
Au début, tu n'étais pas très à l'aise, et ça m'a fait réaliser que la première fois que j'ai participé à un bon-odori, ça faisait déjà quelques années que j'habitais au Japon. Toi, au bout de trois jours, je te jette dans le bain ! Je me souviens qu'il m'a fallu beaucoup de temps avant de me sentir à ma place dans les bon-odori, alors je comprends tout à fait ton désarroi. Mais les mikoshi sont arrivés, ces autels que l'on promène à dos d'hommes pour honorer les dieux. J'adore assister à ces processions, l'énergie qui s'en dégage est incroyablement positive. En plus, avec les tambours sur la yagura, c'était comme si tout un morceau de la Terre vibrait sous nos pieds et résonnait dans nos poitrines. De tous les défilés de mikoshi que j'ai vus, je crois pouvoir affirmer que celui-ci était le plus beau, et que tu aies pu en être le témoin, mon frère, j'en étais tellement ému ! Je te le dis, mon frère, j'ai versé une larme de bonheur. J'ai bien senti que toi aussi, ce spectacle t'avait électrisé, et d'ailleurs, juste après, tu as réussi à lâcher prise et à entrer dans la danse, ce qui t'a permis de participer à ce moment de joie avec tout le monde.
Dans les choses que je tenais absolument à partager avec toi, il y avait bien sûr aussi le plaisir du onsen, et je savais que tu en avais de même très envie. Aussi, j'ai réservé une nuit dans un ryokan que je connaissais à Yugawara. J'avais déjà raconté mon premier séjour dans cette auberge, et ce qui est amusant, c'est que tu m'avais laissé un commentaire disant que tu aimerais vivre ce type d'expérience. C'est un hasard complet, mais c'est donc précisément dans ce ryokan que nous nous sommes rendus, et nous avons eu la même chambre que celle que j'avais eu la première fois ! Entre la cuisine raffinée et la relaxation offerte par le bain chaud, je crois que tu as bien apprécié (malgré l'humeur erratique de ma kanojo qui était avec nous) de ressentir ce que tu connaissais à travers ce blog de façon théorique.
Nous avons partagé encore beaucoup d'autres moments : boire un whisky japonais à Golden Gai, où nous avons croisé le Shinjuku Tiger (figure emblématique du quartier) et échangé quelques mots avec la journaliste Karyn Nishimura, visiter un petit musée du Japon de l'ère Showa (en gros, des années 20 aux années 80), chanter au karaoke, tu as également pu expérimenter la VR, etc. Et, chose très rare puisque d'ordinaire les salles de classe sont fermées aux visiteurs, tu as même eu droit à un échantillon de ma vie professionnelle en participant aux rencontres franco-japonaises que j'organise depuis septembre. En outre, tu as vécu dans ta chair un changement de saison radical et typiquement local. A ton arrivée, nous étions encore en été, torses nus et transpirant à grosses gouttes dans mon appartement, et lors de ton départ, vrai temps d'automne, vent, pluie et fraicheur, en l'espace de moins de trois semaines.
Tu ne t'es pas cantonné à la capitale, et tu es parti seul visiter Kyōto, Nara et Hiroshima, tout ça sans parler un mot de japonais, chapeau bas. D'après tes impressions à ton retour, ce fut peut-être l'acmé de ton voyage.
En ce qui concerne nos moments passés ensemble, pour ma part, je garde un souvenir très fort de mon premier mikoshi. En effet, j'avais assisté un grand nombre de fois à ce type de rituel, comme celui que nous avons vu au bon-odori, et j'avais très envie de me joindre aux porteurs. Mais il ne suffit pas d'en faire la demande, il faut être coopté voire invité. J'ai eu la chance, il y a quelques mois, qu'on me propose de m'intégrer à un groupe, et j'attendais avec excitation la tenue de l'évènement. Le fait de savoir que tu serais là à la date prévue ne faisait qu'accentuer mon impatience. Comme les gens qui m'avaient invité étaient absolument adorables, toi-même, tu aurais même pu prendre part à l'action, si ton genou ne t'avait pas tant fait souffrir. Le jour J venu, nous sommes donc allés au matsuri, et je me suis retrouvé au milieu des porteurs à scander les traditionnels encouragements pendant plus de deux heures. Epuisant mais exaltant !
Merci d'avoir été là, mon frère, pour me soutenir moralement dans ce défi, ta présence a compté pour moi.
Les souvenirs que je garde de ton séjour ici sont nombreux et marquants. Je te revois par exemple faire des ojigi (courbettes de salutation) de façon bien plus appuyée qu'un Japonais le ferait lui-même (même dans les konbini !), ou encore traverser les rues en levant le bras à la façon des enfants japonais (qu'ont dû penser les locaux en te voyant !). Je ne comprends que trop bien cette appétence pour des habitudes qui nous semblent exotiques, puisqu'elles font encore partie intégrante de ma vie.
Il y a encore beaucoup d'autres choses que j'aurais aimé te faire découvrir, comme les sushis à l'oursin (mais au moins, tu as pu manger de l'anguille, c'est déjà pas mal), la glace Cremia (toi qui as tant aimé la soft-cream), j'aurais aimé t'emmener assister à un entrainement de kendô, je suis sûr que ça t'aurait intéressé. En trois semaines, on ne peut pas tout faire mais on a fait déjà beaucoup, et j'en suis comblé.
Ta présence m'a aussi permis d'ouvrir les yeux sur les difficultés pour un Occidental à s'intégrer dans la société japonaise. Je n'y suis pourtant moi-même pas réllement intégré, mais j'en capte une partie des codes, des rouages, des us et coutumes implicites et explicites. Je suis là depuis tellement longtemps que j'oublie parfois à quel point ce n'est pas naturel pour quelqu'un qui vient d'arriver. Le choc culturel peut secouer, je dois m'en souvenir. Merci de me l'avoir rappelé.
Une dernière fois, merci d'être venu jusqu'ici, merci pour tous ces moments inédits, et tant que j'y suis, puisque l'occasion m'en est donnée à travers ce billet, merci pour tout ce que tu m'as apporté dans la vie.
Ton petit frère qui t'aime.
L.
Et quels souvenirs vous avez tissés ensemble 😘😍
RépondreSupprimerDes images intenses qui resteront.💕
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