dimanche 24 juin 2018

Les salles de jeux (2)
Le jeu a plusieurs fonctions. Pour l'enfant, le jeu est par exemple un moyen de s'initier à la notion de règle, c'est un élément d'apprentissage social. Pour les plus grands, ados et adultes, le jeu peut offrir une alternative au réel. Outre le plaisir évident de l'évasion qu'il procure, il permet d'inventer de nouveaux mondes et de s'y plonger, avec cet effet, principal ou secondaire selon les jeux et les joueurs, d'éclairer notre réalité d'un nouveau regard. En d'autres termes, après avoir pénétré un autre monde par le biais du jeu, le retour au prosaïque quotidien s'enrichit d'une nouvelle expérience, le jeu apporte un point de vue décalé sur notre monde. Ainsi, un joueur d'échecs, s'il est suffisamment expert, va pouvoir envisager ses stratégies (sociales, professionnelles, ou même personnelles) sous l'angle des coups possibles et des ripostes possibles, sans doute plus habilement qu'une personne non habituée à réfléchir en ces termes, ou en tout cas, avec un état d'esprit particulier, influencé par le jeu. Et ce n'est là qu'un exemple de jeu de plateau, somme toute très abstrait. Les correspondances entre jeu et réalité peuvent être bien plus troublantes quand le jeu demande une certaine incarnation, c'est-à-dire quand on y joue un rôle. Une petite fille qui joue avec ses poupées se projette avec elles, les poupées prennent totalement vie dans son imaginaire. Freud disait d'ailleurs que l'enfant qui joue ne joue pas : le monde des poupées devient comme une sorte de monde parallèle, dans lequel on peut vivre le temps du jeu. Pour les adultes, il est naturellement plus simple de ne pas octroyer à un univers artificiel la même essence, la même matérialité qu'au monde dit réel. Ça y est, j'ai lâché le mot : "dit". Car en principe, un adulte garde toujours un œil sur le réel pendant le temps du jeu, et le jeu ne remplace jamais la réalité. En principe. Mais que se passerait-il si l'effet d'incarnation du jeu était si fort qu'il inhiberait les repères permettant de distinguer jeu et réalité ? Si le monde réel n'était plus que le monde dit réel ? C'est ce qui se passe avec la réalité virtuelle, la VR (en anglais, Virtual Reality).
Je précise, avant de continuer, que je ne suis un expert ni en jeu, ni en psychologie du jeu, ni en ce qui concerne les réflexions philosophiques autour de la notion de réalité. Je ne suis qu'un petit joueur amateur qui s'intéresse depuis longtemps aux liens entre la perception (les informations transmises à notre cerveau par nos organes récepteurs) et la conception du réel qui en découle, sans jamais prétendre enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit. Simplement, je voudrais vous livrer, telles quelles, mes modestes réflexions (tout à fait subjectives) qui font suite à mes quelques expériences de jeu en VR.
Il y a plusieurs formes de VR, mais le principe de base est toujours le même : vous enfilez des lunettes (ou un masque, ou un casque, appelez ça comme vous voudrez) qui vous permettent de voir des images en 3D : vous vous retrouvez au centre d'une scène, qui peut tout aussi bien être constituée d'images réelles que d'images de synthèse. Jusqu'ici, ça rappelle un peu les stéréoscopes de notre enfance, vous savez, ces jouets qui permettaient de regarder des diapos en 3D. Sauf que là, les lunettes sont munies de capteurs de mouvements, et si vous tournez la tête à droite par exemple, vous pouvez voir ce qui, dans l'espace virtuel qui vous environne, se trouve à votre droite, et ainsi de suite. En général, il n'y a pas de restriction : vous pouvez regarder non seulement devant vous et sur les côtés, mais aussi derrière et au-dessus de vous. Si vous regardez vers le bas, là où normalement vous seriez censé voir votre corps, le plus souvent, il n'y a rien, c'est-à-dire que c'est comme si votre corps était transparent, et vous voyez le sol, mais il arrive parfois qu'un avatar vous soit octroyé, en d'autres termes une sorte de double de vous-même, et dans ces cas, une image de buste, de mains, de jambes, peut figurer votre corps virtuel. Je crois que la chose qui m'a le plus impressionné, la première fois que j'ai enfilé des lunettes de VR, c'est la fluidité avec laquelle on peut bouger : tout est en temps réel, les mouvements sont naturels, on a réellement la sensation d'être plongé dans un autre décor. Un simple casque audio vient compléter la perception du monde virtuel dans lequel vous pénétrez.
La VR connait différentes applications. En médecine, on s'en sert par exemple pour soigner les phobies. Si vous avez peur du vide, la VR peut vous aider à affronter vos angoisses de manière progressive et en toute sécurité. La VR est utilisée par les promoteurs immobiliers, pour vous faire visiter votre futur maison (qui n'est pas encore construite). Une agence de voyage peut, grâce à la VR, vous donner un aperçu du séjour qu'ils cherchent à vous vendre. Dans le domaine du jeu aussi, la VR sait se montrer imaginative.
J'ai recensé deux grands types de jeux en VR. Je crois que les geeks (qui s'y connaissent à fond en jeux vidéo) ont des termes bien spécifiques pour désigner tel ou tel type, moi je vous en parle avec mes propres mots. Il y a d'abord les expériences non-interactives. C'est un peu comme un film dans lequel on est immergé. On peut très facilement accéder à ce type d'attraction de chez soi. On trouve en effet des lunettes de VR très bon marché dans lesquelles on insère son smartphone. YouTube regorge de vidéos exploitables de cette façon. Que ce soit des reportages (plongée avec des requins, voyage dans un volcan), des vidéos à sensations (vol en wingsuit, montagnes russes extrêmes, le plus souvent  imaginaires), des vidéos d'horreur, des clips musicaux, etc., le catalogue est riche. Les lunettes que je porte sur la photo ci-contre, je les ai eues gratuitement à la sortie du métro, elles sont en carton, à monter soi-même, c'était un support publicitaire. Rien qu'avec ça, on peut déjà s'offrir quelques jolis moments de plaisir. Depuis, je m'en suis fait offrir un modèle plus résistant et plus confortable. Le problème, c'est que ce type de lunettes n'est sensible qu'aux mouvements de la tête, et pas du corps tout entier (n'oubliez pas qu'il n'y a qu'un smartphone à l'intérieur). Le décalage qui se produit donc entre vos mouvements du corps et ceux que vous percevez avec vos yeux finit par donner mal au crâne.
On peut davantage s'amuser dans une salle de jeu, puisque le corps tout entier est capté, et qu'on peut se déplacer plus librement. Les meilleurs expériences que j'ai connues, c'était la visite d'une maison hantée (on déambule de pièce en pièce et on croise quelques sales bêtes bien flippantes), et un voyage onirique sur un bateau pirate psychédélique. Mais j'ai adoré aussi la balade en balançoire géante au-dessus du quartier d'Ikebukuro (bien que la balançoire réelle ne bouge pas, on s'y croirait tellement qu'on se penche dans les virages !), ou encore l'attraction où on est propulsé dans un canon au-dessus de Tôkyô. Pour accentuer les sensations, un ventilateur vous souffle dessus, ça n'a l'air de rien mais je vous jure que ça renforce drôlement le réalisme.
















Le second type de jeu permet d'interagir réellement avec son environnement. Pour cela, vous êtes muni d'un joystick qui, dans votre champ de vision, peut prendre différentes formes : une arme (épée, pistolet...) un aspirateur rigolo (pour aspirer les trésors que vous trouvez !), des pinces (pour couper le fil du détonateur de la bombe que vous devez désamorcer), etc. Parfois, en guise de joystick, vous tenez dans vos bras une mitraillette en plastique grandeur nature, et dans ce cas, vraiment pas besoin de vous faire un dessin pour comprendre le mode d'emploi. A Tôkyô, les game center où vous pouvez pratiquer ces jeux en VR fleurissent, et même si les prix restent élevés, en cherchant bien, on finit par trouver de petites salles abordables. Parmi ces jeux, il y a des jeux individuels et d'autres qui se jouent en équipe. On trouve bien entendu beaucoup de jeux de tir : vous êtes attaqués par des zombis ou des créatures de l'espace, que vous devez détruire pour éviter le game over prématuré. Il y a aussi des jeux plus stratégiques, où vous devez appliquer la couleur de votre équipe aux piliers du décor tandis que l'équipe adverse cherche à faire de même. Il y a des jeux de courses de voitures, on peut monter un cheval (associés aux images, les mouvements du cheval sont terribles), participer à une messe noire...

En général, vos lunettes sont reliées par un câble à l'ordinateur central, ce qui limite vos mouvements, mais les jeux sont conçus de telle manière que ce n'est pas gênant. Dans les attractions les plus modernes, vous portez une espèce de gilet, et là, la souplesse d'utilisation est maximum, l'effet de réalisme est total. En principe, vous êtes libre de vous déplacer comme vous voulez, sauf que vous ne le faites pas parce que d'une part, muni de vos lunettes, vous finiriez par vous prendre un mur (bien réel !) et d'autre part, vous évoluez dans l'espace du jeu, qui, bien qu'il puisse être assez large, n'en est pas pour autant infini. S'amuser à traverser des murs virtuels pour se manger un mur réel, ce ne serait pas bien malin ! Pour éviter les chocs avec vos coéquipiers, vous pouvez les voir sous la forme de leur avatar. On peut d'ailleurs communiquer avec eux par l'intermédiaire de son micro.
Jusqu'ici, je n'ai jamais été très fort en jeux vidéo parce que j'avais du mal à manipuler les commandes, je paniquais. Avec la VR, les règles du jeu et l'utilisation sont très intuitives, on peut s'amuser dès la première partie. Mais comme pour beaucoup de jeux, c'est avec la pratique qu'on s'améliore, et plus on joue, plus on s'amuse ! Ce qui pour autant, je dois bien l'avouer pour être honnête, ne fait pas de moi un grand joueur, et mes scores restent extrêmement bas. Mais sincèrement, je m'en moque, le plaisir du jeu est pour moi plus important que le résultat.
Le meilleur jeu auquel j'ai pu participer, c'était à JoyPolis, la salle de jeu géante dont je vous parlais dans l'article précédent. On était une équipe de cinq personnes, sur une espèce de chantier, cernés de toutes parts par des zombis pas sympas. J'ai pris un ascenseur pour monter à l'étage, ce qui m'a permis de tirer sur les zombis depuis en haut, c'était super, sauf que les zombis ont fini par arriver aussi par en haut, et que quand mes coéquipiers sont montés dans l'hélicoptère qui venait les chercher, j'étais coincé, pas moyen de redescendre, et argh, game over pour moi.
Avec tout ça, comme vous pouvez vous en douter, la sensation de réel est incroyablement forte. La première fois que j'ai dû franchir une étroite passerelle métallique en haut d'un building, à des centaines de mètres de hauteur, pour attraper l'hélicoptère qui venait me chercher tandis que des extraterrestres me tiraient dessus, je peux vous dire que j'avais les mains moites et les jambes qui tremblaient ! Il n'est pas rare que je lâche des cris quand d'affreuses bestioles s'approchent un peu trop près de moi, et je ne suis pas le seul ! Et quand, à la fin de la partie, on m'ôte les lunettes, j'ai toujours cette étrange sensation, pendant une seconde, cette sensation indescriptible qui me fait dire quelque chose comme "me voilà de retour", cette sensation incroyable de revenir d'un autre monde. On a du mal à réaliser, en observant l'espace vide autour de soi, que c'est ici-même que se sont produites les aventures qu'on vient de vivre. Une partie dure rarement plus d'une quinzaine de minutes, mais c'est si puissant qu'on n'est jamais frustré. J'imagine qu'un joueur qui passerait des heures de suite dans un univers virtuel serait sans doute quelque peu déstabilisé lors de son retour au réel. Je ne serais pas étonné que dans un avenir assez proche, avec la diffusion massive de la VR, des problèmes apparaissent, une espèce de schizophrénie propre aux mondes virtuels. Il faut bien reconnaitre que, vu de l'extérieur, un jeu en VR est vraiment bizarre, et qu'on se demande bien ce que ces gens sont en train de fabriquer. Difficile de réaliser à quel point ces sensations sont fortes et ce plongeon intense tant qu'on n'a pas essayé.
On peut pratiquer la VR chez soi, il existe de plus en plus de consoles de jeux adaptées, et les jeux disponibles sont de plus en plus variés. Un des derniers modèles qui est paru cette année est l'Oculus Go, qui est totalement autonome : pas de smartphone, pas de console de jeu, ni même d'ordinateur. Après avoir lu cet article, vous ne serez pas surpris que votre humble serviteur se demande s'il ne va pas se laisser tenter...

2 commentaires:

  1. Très instructif cet article mon bon monsieur! pour moi qui suis complètement ignorante de cet univers (pour dire: j'ai même jamais joué à la DS, ça existe encore d'ailleurs?!)
    Te connaissant, je comprends ton enthousiasme, surtout dans une maison hantée!(Et devait pas y avoir que tes chauves souris vénérées!)
    Merci pour ce partage...même si je préfère me promener dans la nature et...me faire attaquer par des chèvres plutôt que des zombies!

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    1. Merci pour ton commentaire, Chris. Tu soulèves une question intéressante : vaut-il mieux se faire attaquer par de vraies chèvres ou de faux zombies ? Je ne suis pas encore assez accro à la VR pour préférer l'artificiel au réel, même si ce dernier parait plus risqué, et j'aurais tendance à choisir les chèvres. Mais si on remplace les chèvres par des chiens, la réponse devient tout de suite moins évidente. Une chèvre, ça sent bon la verdure, c'est sympa, c'est un peu exotique et même si ça peut faire mal, quelques bleus c'est finalement pas si dangereux que ça. Mais un beau berger allemand qui vient nous croquer la cuisse ? Mon amour de la nature me pousserait-il à préférer les points de suture à une partie de "L'attaque des zombies" ? Dans ce cas, je crois que mon cœur pencherait en faveur des zombies. Et toi ? Et vous, chers lecteurs ?
      En tout cas, je suis très heureux d'avoir la liberté de me faire manger ET par un vrai chien ET par un faux zombie. Les deux rendent la vie plus... mordante !

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