mercredi 12 mars 2025

Traverser le feu

 Le deuxième dimanche de mars, chaque année depuis 650 ans, se tient la cérémonie du feu, au pied du mont Takao. Je ne connaissais pas, je suis allé voir, et j'en suis revenu tout brulé mais pas pour les raisons que vous pourriez imaginer.

Situé à moins de deux heures à l'ouest de Tōkyō, le mont Takao est un spot classique pour les promenades et les randonnées, prisé des urbains en manque de nature comme moi. Au sommet se trouve un temple dont les moines pratiquent une cérémonie très particulière. Cet évènement ne se déroule pas dans l'enceinte du temple en lui-même mais au pied du mont Takao, de façon à accueillir un maximum de fidèles en toute sécurité.

Un immense tas de bois et de branches de pin est dressé sur un terrain dégagé, et la foule s'assemble autour. Au loin, une étrange mélopée monotone se fait entendre, se rapproche, et enfin le cortège apparait d'un pas solennel. On comprend aussitôt que ce à quoi on va assister n'a rien d'une performance circassienne, mais qu'il s'agit bien d'un rite religieux. Le bourdonnement qu'on entendait venait des conques dans lesquelles les bonzes soufflent, et c'est toute l'assistance qui respire au rythme de cette vibration. Les costumes, chatoyants pour les anciens, plus sobres mais élégants pour les disciples, complètent le caractère sacré du moment.
Une fois que tout le monde est en place, les rituels se succèdent, tous totalement impénétrables à nos regards d'Occidentaux. On devine ce qui se passe, plus qu'on le comprend vraiment. Un pratiquant s'avance armé d'une hallebarde qui, j'ai supposé, est destinée à combattre le mal. Il effectue une suite de mouvements en scandant ses incantations, avant de laisser sa place à un officiant armé d'un katana, puis c'est au tour d'un tireur à l'arc de venir chasser le démon. Il tire des flèches en l'air, dont certaines retombent vers le public, mais pas de panique, la pointe est enveloppée de tissu rembourré. Vu le sourire qu'affichait un des jeunes hommes ayant récupéré une flèche, je ne serais pas étonné que cet objet porte bonheur. Un autre rituel consiste à psalmodier en une longue litanie les noms des donateurs du temple. Un autre rituel, encore, se pratique avec une gestuelle des doigts qui m'a semblée très précise, très codifiée, très étrange et pour tout dire, aussi hermétique que fascinante. Ensuite, deux pénitents (à défaut d'autre mot) s'approchent de deux chaudrons, se mettent torse nu et se fouettent vigoureusement avec des feuilles trempées dans une eau, si ce n'est bouillante, au moins terriblement chaude.

Enfin, on enflamme le bucher central. Le feu prend très vite, une épaisse fumée enveloppe les spectateurs et la cendre se dépose sur nous. Les flammes montent facilement jusqu'à 3 ou 4 mètres ; tout autour, les pompiers veillent. Comme dans beaucoup de cultures, je crois, le feu, de par son action destructrice, est un symbole de purification. Même à une dizaine de mètres de distance, la chaleur est vive. Les moines s'activent autour du brasier pour le ratisser et le niveler, et la fournaise est si insoutenable qu'ils ne parviennent pas à rester près du foyer plus de quatre ou cinq secondes. Quand les flammes ont pratiquement disparu, ne subsiste qu'un tapis de braise sur un carré d'une dizaine de mètres de côté.
Les moines enlèvent alors leurs chaussures et se positionnent en file indienne. Le vieux maitre passe en premier. Il piétine d'abord un tas de sel puis se lance, pieds nus donc, en marchant sur les braises. C'est étrange comme à cet instant toute l'assistance retient sa respiration, on peut sentir comme un frisson de respect devant un tel acte de dévotion. De l'autre côté de la traversée, un deuxième tas de sel accueille les fidèles. A leur tour, tous les moines défilent ensuite plusieurs fois. Tout cela s'effectue au son des chants et des conques, et la répétition ad lib des mantras finit par donner une dimension hypnotique à l'atmosphère.
Pour terminer, les moines aménagent un trajet entre les tisons, et les membres du public peuvent tenter l'expérience. Je ne pense pas que le chemin soit encore incandescent, car personne ne semble se presser. Même les enfants peuvent participer, et j'ai vu également des personnes âgées s'avançant avec une canne, et même un homme qui portait son bébé sur son dos ! A mon avis, il s'agit plus d'un geste symbolique et spirituel que d'une véritable ascèse. Sur le coup, ça m'aurait bien tenté, moi aussi, mais quand j'ai vu les centaines et les centaines de personnes qui faisaient la queue, ça m'a coupé l'envie.

Mais alors, si je n'ai pas traversé le feu, comment ai-je pu en revenir brulé, me direz-vous ! Eh bien, j'ai assisté à toute cette cérémonie pendant deux heures sans bouger, debout sous un ciel immaculé et j'ai pris un joli coup de soleil sur la face ! Ma pénitence à moi !😅








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