dimanche 8 novembre 2020

La nuit des masques

Comme vous avez pu le lire dans l'article précédent, tous les évènements culturels sont annulés, et toutes formes de rassemblements découragées. Mais les Japonais ne sont pas aussi dociles que leur image le laisse croire, et ils ont parfois du mal à résister à l'attrait de certaines traditions, quitte à bafouer les recommandations gouvernementales. Par exemple, au printemps, alors que la première vague de corona nous attaquait de plein front, les parcs et jardins ne désemplissaient pas de visiteurs venus admirer les cerisiers en fleurs. Bien que beaucoup plus récente, Halloween est une autre tradition à laquelle les Japonais sont très attachés, leur ancestral gout pour le déguisement s'accordant à la perfection avec cette fête venue des États-Unis.
J'étais vraiment curieux de voir la tournure que prendrait un Halloween sous le signe du corona. Bien entendu, le défilé officiel, rassemblant des milliers de personnes à Shibuya, avait lui aussi été annulé, mais quelle serait l'attitude des Japonais ? Car cette année, le 31 octobre, jour d'Halloween, tombait un samedi. Or, il faut savoir qu'un samedi soir normal à Shibuya, c'est déjà noir de monde, alors si en plus c'est jour de fête... Après tout, Halloween, c'est l'occasion de sortir ses plus beaux masques, même si ceux-ci sont loin de répondre aux normes sanitaires. Sécurité ou festivité, quel camp l'emporterait ? Je suis allé voir.
Comme je m'y attendais, corona ou pas, défilé officiel ou pas, Shibuya brassait donc ce soir-là son habituelle foule compacte, joyeuse et agitée, un peu plus dense que la normale. Dès la sortie du métro, une étrange créature couverte de LED donnait une interview à la télé, ça commençait bien. Mais une fois traversé le célèbre carrefour et pénétré au cœur du quartier, surprise : autant de monde pour si peu de personnes déguisées ! Le costume qu'on voyait le plus, c'était l'uniforme des policiers, et aucun doute possible : il ne s'agissait pas de cosplay ! Les hautparleurs exhortaient (d'après ce que j'ai compris), dans un vacarme absolument vain, la foule à se disperser, et ladite foule s'en battait bien les couilles, pour parler clairement. J'ai tout de même fini par trouver quelques jolis déguisements (voir ci-dessous). Le thème dominant cette année, c'est les personnages de Demon Slayer. Je ne sais pas si cet anime est populaire chez vous, mais je peux vous dire qu'ici c'est un phénomène sans précédent. Je n'ai cependant pas réussi à prendre ces cosplays en photo. Pourquoi ?
Parce que les policiers, eux, n'étaient pas là pour faire la fête. L'œil vif, tels des crocodiles aux aguets, ils patrouillaient inlassablement les rues de Shibuya, des grandes artères aux moindres ruelles. Dès qu'un rassemblement spontané se produisait autour d'un costume remarquable, les gardiens de la paix se précipitaient aussitôt pour balayer les effrontés masqués avec une rapidité telle qu'il était franchement difficile de faire de belles photos. Toutes les photos ci-dessous ont été prises à la sauvette. Bref, l'ambiance était un peu morose. Je n'en veux pas au gouvernement d'essayer de prendre des mesures pour endiguer la propagation du virus, ni aux forces de l'ordre de faire tout leur possible pour faire appliquer ces mesures, mais on ne peut pas s'empêcher d'être déçu. Le corona nous a gâché la fête. Encore.
Un dernier mot sur la fête d'Halloween à l'école. Là, vous ne verrez pas de photo, confidentialité scolaire oblige. Cette année, c'est à nouveau moi qui était chargé de l'organisation, et ça n'a pas été facile de concilier évènement festif et gestes barrières. Le thème que j'avais choisi, c'était l'espace, j'étais donc déguisé en alien type petit-gris, un cousin de Roswell, genre. Tout s'est bien passé, je crois que les enfants étaient ravis, et une semaine plus tard, certains d'entre eux m'appellent toujours alien-sensei ! (ou le prof extraterrestre, si vous préférez) Voilà qui me réchauffe un peu le cœur.