lundi 3 septembre 2018

Le bon-odori
Vous le savez sans doute si vous suivez régulièrement ce blog, l'été est la saison privilégiée des matsuri. Il y en a toute l'année, mais c'est surtout en juillet et en aout qu'ils ont lieu. Les traductions les plus communément admises pour "matsuri" sont "fête" ou "festival". Le matsuri est donc un évènement festif, dont l'origine est le plus souvent religieuse. D'ailleurs, la plupart des matsuri se tiennent au sein d'un temple (bouddhiste) ou d'un sanctuaire (shintô). Les matsuri se déroulant aux alentours du 15 aout, en particulier, célèbrent la fête de o-bon, une sorte de Toussaint lors de laquelle on honore les âmes des disparus.
Les formes du matsuri peuvent varier. Jusqu'ici, j'avais surtout assisté à des matsuri où des volontaires transportent un mikoshi, c'est-à-dire une sorte d'autel portatif. Un dieu est censé "résider" à l'intérieur de ce mikoshi, et de temps en temps, en général une fois par an, on juge bon de lui faire prendre l'air, et on fait ainsi circuler le mikoshi à dos d'homme (et depuis quelques années, à dos de femme aussi) à travers les rues du quartier, ce qui permet au dieu en question de saupoudrer de son regard bienveillant quelques bonnes grâces afin que la cité prospère dans la sérénité et à l'abri des malheurs. Les processions de mikoshi sont impressionnantes tant l'énergie qui s'en dégage est forte et positive. Les porteurs scandent des encouragements, le public les suit en frappant des mains, des tambours rythment le tout, c'est un moment de grande synergie. Je vous ai déjà parlé plusieurs fois de ces matsuri, vous pourrez trouver plus d'images en cliquant ici et .
Les Japonais, hommes et femmes, qui viennent assister à un matsuri en été portent généralement un yukata, un kimono léger, c'est un peu le "bel habit du dimanche" version japonaise, la classe version traditionnelle, le raffinement de la simplicité. Les yukata des femmes en particulier, avec la large ceinture (appelée obi), n'en finissent pas de ravir mes yeux. Les porteurs de mikoshi, eux, revêtent un happi, une veste ample dont les motifs représentent leur corporation (temple, association de commerçants, d'universitaires, etc.). Cool et classe à la fois, j'adore.












Parfois, le matsuri prend plutôt des allures de kermesse. Dans ces cas-là, la dimension religieuse de la manifestation est très atténuée, voire tout à fait absente. C'est le cas par exemple du matsuri d'été qu'on organise à l'école, juste avant les vacances. Les stands (appelés yatai) vendent des brochettes, des yakisoba, des kakigôri, des barbe-à-papa ou autres bananes au chocolat, ou bien proposent des jeux (tir à la carabine, pêche miraculeuse, etc.). Et on danse. C'est là où je veux en venir.
Car très souvent, dans les matsuri, on danse. Ces danses traditionnelles s'appellent bon-odori, et cette année, j'ai décidé d'y participer.
Pour le bon-odori, on dresse une estrade au milieu de la place où se tient la fête. Cette estrade est décorée en rouge et blanc, et est destinée à accueillir les danseurs les plus doués, qui donnent le rythme et servent de modèle au public dansant. Parfois, l'estrade possède deux étages, et le deuxième niveau est alors occupé par le tambour. Si l'estrade n'a qu'un étage, le ou les tambours sont disposés à son pied. Pour accompagner ces tambours, il y a toujours une personne qui frappe sur une espèce de petite cloche en forme d'assiette. Mis à part ces instruments joués en direct, la musique est diffusée sur des hautparleurs (qui produisent un son bien pourri, selon mon humble avis). Très rarement, il arrive que des chanteurs prennent le micro et chantent en direct sur un morceau-phare. Encore plus rarement, je sais que certaines scènes accueillent des groupes de musiciens, et le bal prend alors des allures de concert, mais je n'ai jamais assisté à ce type de matsuri. Pour finir, on décore toute la place avec des lanternes en papier (rouges et blanches en général), lanternes que j'associe maintenant systématiquement aux chaleurs de l'été. Autour de l'estrade, les gens qui désirent danser forment un cercle et tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Voilà, le décor est planté.
Si, les années précédentes, j'avais déjà pu apprécier le spectacle des danses bon-odori, je ne m'y étais essayé qu'une seule fois. Porté par la grâce des mouvements et encouragé par leur apparente simplicité, je m'étais glissé parmi la foule ondulante où j'avais tenté d'imiter les mouvements des danseurs pour participer à la fête. L'expérience fut de très courte durée, tant le résultat fut catastrophique. Même si j'aime danser, je n'ai pas une âme de danseur, il faut bien se l'avouer, et je dois décomposer très lentement chaque mouvement et le répéter de nombreuses fois pour le retenir. Ce que j'ai décidé de faire cette année, car la frustration m'avait laissé un esprit revanchard.
Je me suis donc collé pendant des heures devant YouTube, et j'ai répété, répété, répété les mouvements des principales danses bon-odori. Quand je me suis senti prêt, j'ai enfilé mon nouveau yukata et suis retourné au Mitama matsuri, qui fut le premier matsuri auquel j'avais assisté lors de mon premier été au Japon. Oui, oui, celui-là même où je m'étais rendu ridicule deux ans plus tôt. Et cette fois-ci, tout s'est bien passé. Certes, j'étais un peu raide au début, mes mouvements étaient embrouillés, mais le tout restait honorable, et surtout, j'ai pris un gros plaisir à pouvoir participer à la joyeuse célébration qui vibrait autour de moi.
Il existe de nombreuses danses bon-odori, et je suis loin de les connaitre toutes, mais j'en maitrise à présent au moins deux ou trois. Chaque chanson est liée à une danse bien spécifique. Par exemple, quand vous entendez la chanson Tôkyô ondo, vous devez exécuter la chorégraphie correspondante. Pour vous simplifier la tâche, un speaker annonce le morceau suivant. Le souci, c'est qu'en plus des "classiques" qu'on retrouve dans tous les matsuri (avec parfois de légères variantes, ce qui ne simplifie rien), chaque quartier possède aussi ses propres danses. En effet, bien qu'ils soient souvent tenus au sein d'un temple ou d'un sanctuaire, les matsuri sont en général organisés par les comités de quartier (très actifs, me semble-t-il, au Japon). Après le Mitama matsuri, qui rassemble une grande foule venue de toute la ville, j'ai privilégié les petits matsuri, plus conviviaux, plus familiaux, moins anonymes. Et donc, chaque quartier (ou chaque ville, si on s'éloigne de la capitale) aime avoir une chanson locale vantant ses mérites, et naturellement la danse qui lui est attachée. Impossible de les connaitre toutes, en tout cas impossible quand on est grand débutant comme moi, et qu'en plus on se promène de quartier en quartier. La tradition du bon-odori a beau remonter à 600 ans, les chansons actuellement entendues datent toutes du 20ème siècle, et si beaucoup sont assez anciennes, d'autres sont très modernes, voire franchement pop. On trouve même, parmi les danses bon-odori, des chansons consacrées à Doraemon (ce chat bleu tout mignon venu de l'espace) ou Anpaman (personnage de dessin animé très apprécié des enfants mais inconnu en France).
Pendant tout le mois d'aout, j'ai donc sillonné les matsuri du nord de Tôkyô, autour de l'arrondissement d'Ikebukuro, où je passe beaucoup de temps. Chaque weekend, je trouvais un voire deux petits matsuri où aller danser, et progressivement, j'ai pu prendre confiance en moi et m'améliorer. Les Japonais non plus ne connaissent pas toutes les danses, et ils regardent le modèle (les danseurs sur l'estrade) pour essayer d'apprendre. Moi, je ne danse que sur les chorégraphies que je connais bien, ou au moins pas trop mal. J'ai vu, au Mitama matsuri, des touristes se lancer en faisant à peu près n'importe quoi, et venant de la part d'un étranger, on a un peu l'impression qu'ils se moquent des Japonais. Bien sûr, je sais que je ne suis pas le plus doué des danseurs, et ce n'est de toute façon pas le but, mais en tant qu'Occidental, je voudrais que ma danse exprime mon respect pour ma culture d'accueil.
Une des choses qui me plait dans les bon-odori, c'est que c'est un moment de communion. Tout le monde peut participer. Ce sont souvent des femmes âgées qui mènent la danse, mais on peut voir aussi des hommes, jeunes ou vieux, en yukata ou pas, des enfants, tout le monde danse ensemble. Par contre, c'est vrai que dans les petits matsuri où je me suis rendu cet été, il y avait très peu d'Occidentaux, voire pas du tout, et le peu qu'il y avait ne dansaient pas. Ce n'est pas que les étrangers ne soient pas les bienvenus, au contraire, mais non seulement les danses requièrent une certaine initiation, mais en plus les matsuri faisant partie de la culture locale, il faut vraiment être intégré à la vie japonaise pour trouver les informations nécessaires (lieu et date), et oser se lancer. Alors quand le seul Occidental, à savoir bibi, se ramène en yukata et danse avec tout le monde, forcément, ça se remarque. Un soir, deux charmantes mémés qui regardaient les danseurs se sont mises à m'acclamer de leur petite voix, c'était trop mignon. Et puis juste après, ça n'a pas loupé, le speaker est venu vers moi avec son micro pour me poser quelques questions, il m'a demandé de lancer le morceau suivant et m'a fait applaudir par le public ! J'étais un peu gêné mais c'était rigolo, et puis surtout c'était gentil.
Voilà, vous savez à peu près tout sur mes débuts de danseur bon-odori. Et maintenant, place à la danse ! (en vidéo.) (Et je vous le dis tout de suite : non, il n'y a pas de vidéo de moi en train de danser.)

1 commentaire:

  1. Bon tout ça, c'est bien joli, mais EVIDEMMENT qu'on attendait une video de toi en train de danser! :(
    Sinon j'aime bien la/le tambour de la 1ère video plein/e de grâce...

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