mercredi 29 avril 2020

Un sac de franponais

En ces temps confinés, je n'ai évidemment pas beaucoup d'activités, et donc pas grand-chose à vous raconter sur la vie au Japon. Qu'à cela ne tienne, c'est l'occasion de partager avec vous quelques clichés de franponais que j'ai en stock !
Commençons par une petite série sur les sacs et sachets. Parfois, il m'est arrivé, pour prendre ces photos, d'entamer la conversation avec les porteurs de ces sacs, et de leur traduire le texte (quand c'était possible !). La plupart du temps, les gens ignorent la signification de ce qui y est inscrit, ils ignorent même que c'est du français.












(Merci à Elliott pour la photo de la queue de lapin !)
Pour finir, voici quelques inclassables. Petite explication : en japonais, il n'y a pas de R, ou plutôt, le R est très roulé et les Japonais ont beaucoup de mal à faire la différence entre R et L...

Si l'état d'urgence est amené à se prolonger, vous aurez bientôt droit à d'autres séries du même style.

vendredi 17 avril 2020

Distance sociale

Début mars, au moment où je vous décrivais les conséquences de l'arrivée du coronavirus au Japon, la situation devenait doucement inquiétante, alors qu'en France on ne parlait même pas encore de confinement. Les choses évoluant très vite, cet article est déjà obsolète et nécessite une petite mise à jour. Voici donc.
Les établissements scolaires ont donc fermé deux semaines plus tôt que prévu, et pendant ce qui semble un long temps, ceci a été la seule mesure prise pour endiguer l'expansion du virus. Fermé pour les élèves, s'entend. Nous, professeurs, avons donc passé deux semaines répartis dans l'école, chacun dans sa salle de classe, un masque sur la truffe, à nous désinfecter sans cesse les mains, et à nous occuper comme nous pouvions, perplexes devant cette situation inédite.
Puis à ces coronavacances ont succédé les vraies vacances, les vacances de printemps. C'est le moment où en France, vous avez été invités à rester à la maison. Le nombre d'infections était soudain devenu catastrophique chez vous, alors qu'au Japon, pourtant un des premiers foyers après la Chine, ce nombre restait incroyablement bas. Tandis que le monde entier se calfeutrait, le retour des beaux jours et la saison du hanami poussaient les Japonais à prendre l'air. Moi, je suis allé visiter le château d'Odawara, et cette sortie m'a fait le plus grand bien. J'ai marché au bord de la mer, je me suis imprégné de Soleil et empli d'air frais. Je me doutais que ça ne durerait sans doute pas ainsi, et je voulais en profiter tant que je pouvais. A l'instar des Japonais, je commençais à nourrir une sérieuse méfiance envers les chiffres officiels, mais m'enfermer dans un appartement de 3 m² alors que personne ne me le demandait aurait relevé davantage du masochisme paranoïaque que de la prévention sanitaire. J'ai pu apprécier le soufre de Kusatsu onsen, les sakura ont fleuri, que du bonheur.
Enfin, sous la pression internationale, le gouvernement a fini par se résoudre à reporter les Jeux olympiques. Soudainement, le nombre d'infection a décollé. C'était donc ça. Il n'y avait plus de raison de manipuler les statistiques, et des chiffres un peu plus réalistes ont commencé à sortir. Les Japonais ont ainsi pu prendre conscience de l'ampleur de la crise, surtout quand Ken Shimura, un célèbre comédien, est mort du coronavirus.
J'ai ensuite retrouvé le chemin de l'école. Les mesures de distanciation sociale ont bien sûr été reconduites, et les masques hygiéniques qui jusqu'ici n'étaient que recommandés sont devenus obligatoires. En raison de la pénurie dans les magasins, il a fallu passer commande sur internet. Mais à part ça, nous avons commencé à préparer la rentrée comme si de rien n'était. Réunions, accueil des nouveaux profs, réunions, répartitions des tâches, planification des cours, réunions... J'avais l'impression que nous étions hors du monde, dans une espèce de bulle artificielle (dans le sens de "mensongère"). Pourtant, il a bien fallu accepter de regarder la réalité en face : il était inenvisageable de reprendre les cours normalement. La cérémonie d'accueil des nouveaux élèves a été maintenue, mais la direction a décidé de ne pas faire revenir les enfants à l'école ensuite.
Qu'est-ce que cette cérémonie d'accueil ? On pourrait dire que c'est un peu comme la rentrée, mais en fait c'est plus compliqué que ça. Vous savez peut-être que les Japonais sont très attachés aux notions de rituel et de protocole. Moi aussi, dans une (largement) moindre mesure. On n'imagine pas commencer quelque chose (un repas, une réunion, un nouveau travail, une nouvelle école...) sans l'annoncer officiellement. Pour les élèves déjà présents auparavant, pas de problème, mais impossible de débuter les leçons pour les nouveaux élèves sans les avoir officiellement intronisés en tant que membres de l'école. Cette cérémonie est très solennelle et même, je l'avoue, assez émouvante. Sauf que cette année, on a dû considérablement alléger le contenu, réduit à son strict minimum. Dans le gymnase, toutes les chaises étaient espacées d'un mètre. J'ai vu la photo d'une cérémonie équivalente pour accueillir les nouveaux employés dans une entreprise, et là, les chaises étaient carrément séparées de deux mètres, ça fait vraiment bizarre. A l'école, c'était bien entendu masque obligatoire pour tout le monde et désinfection des mains à l'entrée. Dès que les parents ont quitté les lieux, on a complètement désinfecté le gymnase, et même les chaises ont été passées à l'antivirus.
Soit dit en passant, même si, comme je l'ai dit, les chiffres sont probablement faussés, quand on voit les précautions prises, on comprend que le virus ait du mal à s'implanter dans le pays !
Suite à cette cérémonie, les enfants n'ont donc pas fait leur rentrée normale. A la place, nous avons changé tous nos plans pour concevoir des cours en ligne. Je passerai rapidement sur l'incompétence de nos supérieurs hiérarchiques qui n'ont jamais réfléchi à ce que signifie et ce qu'implique l'enseignement à distance. Pour ma direction, on peut faire un cours en direct devant un écran d'ordinateur pour une soixantaine d'élèves en même temps, sans avoir le moindre retour - ni par micro, ni par webcam, ni même par chat - sur ce que les enfants reçoivent (ou pas), pas de problème, on y va. Au lieu de saisir les réelles opportunités que nous ouvrirait ce contexte imposé, nos supérieurs nous obligent à reproduire en ligne la situation didactique d'une salle de classe alors que la configuration n'a évidemment rien à voir. Tout ça parce que ces imbéciles obtus sont incapables de se remettre en cause, qu'ils sont convaincus qu'ils ont toujours raison, et qu'ils éprouvent une angoisse incommensurable à l'idée de changer de paradigme. Je ne m'étendrai pas davantage mais l'incompétence qui nous gouverne me fait parfois fulminer. C'est pas toujours facile de changer le monde !
En plus, pour rappel, une des raisons pour lesquelles j'ai quitté mon ancien travail (dans le doublage), c'est que j'en avais assez de passer mes journées tout seul devant un ordinateur. Une salle de classe, je n'ai rien trouvé de mieux pour reprendre contact avec l'humanité. Mais aujourd'hui, je me retrouve à passer mes journées tout seul devant un ordinateur...
Entre temps, l'état d'urgence a été décrété dans sept préfectures dont celle de Chiba, où j'habite et travaille. Rien de commun toutefois avec le confinement tel que vous pouvez le vivre. La loi japonaise ne peut pas interdire aux citoyens de circuler librement, aussi les autorités ne peuvent que préconiser certaines mesures. Les commerces non indispensables sont invités à baisser le rideau, le télétravail est encouragé, certains lieux comme les hôtels peuvent être réquisitionnés au besoin, ce genre de chose. La dernière fois que j'ai pris le train dans Tôkyô, franchement, on ne voyait pas beaucoup de différences. Si votre entreprise vous demande de continuer à venir travailler, vous n'avez pas vraiment le choix, et quand on connait la difficulté (sus-mentionnée) des Japonais à changer leurs habitudes, on devine que de nombreux employeurs ont du mal à s'adapter. Ceci dit, afin de déclencher les changements nécessaires dans nos modes de vie, si les autorités ne peuvent pas verbaliser, elles disposent néanmoins d'une arme de taille : le nom des sociétés qui ne se seront pas pliées aux principes de la distanciation sociale sera rendu publique. Si vous voulez effrayer un patron japonais, rien de tel qu'une publicité négative.

A Nagareyama de toute façon, virus ou pas, c'est toujours très calme, alors là non plus, je n'observe pas de changement radical, c'est pas moins mort que d'habitude. Dans la rue en tout cas, parce que l'autre jour, je me suis rendu dans le grand et unique centre commercial près de chez moi, et seuls le supermarché et les traiteurs étaient ouverts. Tout le reste était plongé dans une étrange semi-obscurité silencieuse, comme vous pouvez voir sur ces photos. Aux caisses du supermarché, des bâches en plastique transparent étaient tendues entre les clients et les employés, et au moment de payer on se croirait un peu dans une bulle stérile pour enfant immunodéficient. Dans la rue, on entend régulièrement les hautparleurs demander aux gens de rester chez eux. Malgré ça, dans les parcs, on se croirait en vacances : les jeunes jouent au basket, les familles se promènent et les enfants s'amusent sur la balançoire tous ensemble, les employés municipaux tondent et élaguent... Hallucinant. D'ordinaire, j'essaye d'éviter les poncifs sur le Japon mais celui-ci s'impose : terre de contraste...
Nous, à l'école, on nous demande de venir obligatoirement deux fois par semaine, les jours où ces fameux cours en ligne sont dispensés, mais à part ça, c'est comme on veut. L'objectif est d'éviter de nous faire prendre le train. N'y voyez pas là une réelle inquiétude pour la santé des profs, ou encore moins la marque d'une grande générosité : c'est juste la crainte de la publicité négative. Moi, comme j'habite à une vingtaine de minutes à pied de l'école, je compte m'y rendre de temps en temps, c'est tout de même plus facile pour préparer mes cours. Mes trajets actuels se résument donc à la maison-l'école/l'école-la maison, sans passer par la case supermarché puisque j'ai de quoi tenir encore un peu en évitant la société. Et je m'accorde un jogging de temps en temps pour ne pas devenir fou.
Voilà où on en est à ce jour. Cette situation est prévue pour durer jusqu'à après la Golden Week, c'est-à-dire jusqu'à début mai, mais vous savez mieux que personne à quel point les choses peuvent évoluer très vite et pas toujours dans le bon sens. La preuve : au moment où je rédige cet article, l'état d'urgence vient d'être étendu au pays tout entier.
Bon courage à tous, je pense à vous.

samedi 4 avril 2020

Le temps des cerisiers

L'hiver ayant été particulièrement doux cette année, les sakura sont arrivés en avance.
Satané virus oblige, Yuriko Koike, la gouverneur de Tôkyô, a demandé aux Japonais de s'abstenir exceptionnellement de faire le hanami. Mais, même pour une population habituellement réputée docile et obéissante, une telle requête, c'est un peu comme demander aux Parisiens de rester chez eux au lieu d'aller aux Buttes-Chaumont alors qu'il fait super beau... Peu d'espoir d'être entendue, et si c'est vrai qu'il y a eu moins de piqueniques sous les arbres ces dernières semaines, c'était hallucinant de voir tant de gens dans les parcs alors qu'ailleurs le monde entier se calfeutrait.
En ce qui me concerne, je suis d'abord allé visiter le Shinjuku Gyoen, un parc immense que je ne connaissais pas. Nous n'étions pas encore tout à fait au cœur de la floraison, mais les fleurs étaient malgré tout déjà très épanouies. La particularité de ce parc, c'est que les cerisiers qu'on y trouve appartiennent à de nombreuses espèces différentes. Les fleurs présentent donc tout une gamme de nuances allant du blanc éclatant au fuchsia profond, en passant par le rose persan. Les silhouettes des arbres sont également très variées, entre ceux qui dressent de robustes branches vers le ciel azurin ce jour-là, ou bien ceux qui retombent comme sous le poids de leur beauté tels des saules pleureurs chargés des nostalgies passées, présentes et futures que notre cœur embaumé veut bien leur conférer. Ce paysage chamarré est un des plus émouvant qu'il m'ait été donné de voir.
Quelques jours plus tard, je suis allé me promener dans un cimetière. Drôle d'endroit pour un hanami, pourrait-on penser. Oui, mais figurez-vous que j'y ai tout de même vu quelques familles qui piqueniquaient, installées sur les bancs ! Au moins, on peut dire que les lieux sont très calmes. Loin de dégager une atmosphère austère et funeste, le cimetière en question offrait au contraire une sorte de sérénité qui s'accordait finalement assez bien au recueillement auquel invite la contemplation des fleurs. Nous étions alors au pic de la floraison, et il était impossible de faire la différence entre les gens venus se recueillir sur une tombe et ceux qui étaient ici pour admirer les sakura, puisque personne, absolument personne, ne pouvait résister à l'envie de photographier ces merveilles naturelles, le regard étincelant d'admiration.
Pour finir, j'ai fait un petit tour sur les rives de l'étang du parc Inokashira, où naviguent de nombreuses embarcations en forme de cygne. C'était littéralement magique, on se serait vraiment cru dans un conte de fée. Mais le ciel s'est couvert durant cette après-midi, et deux jours plus tard, il a neigé, pour la première fois de l'hiver ! Une petite neige qui a aussitôt fondu, mais quelle rencontre incroyable, les fragiles pétales des cerisiers et les délicats flocons blancs ! Je regrette un peu de n'avoir pas pu immortaliser cette conjonction astrale improbable, mais ces images extraordinaires resteront longtemps imprimées dans le secret de mes yeux.
Les plus belles photographies sont peut-être celles qui n'ont pas été prises, mais voici cependant mes meilleures images de cette année.