Vous êtes plusieurs à vous inquiéter pour moi, alors voici quelques nouvelles pour vous rassurer, et pour vous raconter le coronavirus pas comme dans les journaux mais vécu à mon échelle individuelle. Tout d'abord : je suis en bonne santé. C'est la merde mais je vais bien.
Procédons à un petit retour en arrière pour voir comment tout ça est arrivé.
Tout commence en décembre, en Chine. Quelques malades, puis beaucoup de malades, quelques morts, puis beaucoup de morts... Je suis l'affaire de loin, comme tout le monde, sauf que pour nous au Japon, la Chine n'est pas si éloignée que ça, alors forcément, on garde un œil attentif, surtout que la situation évolue très vite.
Puis il y a ce passager qui a contracté le virus à Hong Kong, et qui le transmet à d'autres passagers sur le Diamond Princess, qui à leur tour le transmettent à d'autres passagers. Plus de 500 personnes infectées en quelques semaines. Là, la vigilance commence à se transformer en légère inquiétude. Un médecin, spécialiste des maladies infectieuses (il est intervenu en Afrique lors des épidémies d'Ebola), monte à bord du bateau et en redescend quelques heures plus tard, en panique. Il poste une vidéo pour alerter de la situation. Dans ce type de cas, explique-t-il, la première chose à faire est de délimiter une zone contaminée, séparée d'une zone saine. Or là, sur le bateau, il n'y a aucune séparation ! C'est comme si tout le bateau était une zone contaminée ! On peut bien faire passer des tests aux passagers, rien ne garantit que s'ils sont sains au moment de l'examen, ils le seront encore le jour suivant. La vidéo est supprimée, pour réapparaitre un peu plus tard. Sans s'accuser, le gouvernement reconnait veiller à ce que "de fausses rumeurs" ne se propagent pas, pour "éviter la panique". Effectivement, les gens commencent à raconter n'importe quoi. Un influenceur prétend qu'en France, on n'attrape pas le virus parce que les Français se protègent avec des huiles essentielles. Et il se plaint ensuite d'être surveillé de près par les autorités qui bloquent ses posts.
Mon problème, c'est que je ne fais pas confiance au gouvernement, mais je ne fais pas non plus confiance à ceux qui ne font pas confiance au gouvernement. Entre contrôle autoritaire et théorie du complot, la vérité se dilue.
Toujours est-il qu'on regarde le nombre de personnes infectées grossir de jour en jour, et la question n'est plus de savoir si ce ballon de baudruche rempli de coronavirus finira par exploser, mais quand il explosera.
Puis avec une gestion aussi chaotique de la crise, ce qui devait arriver arrive : une femme testée négative s'avère être positive une fois rentrée en Australie. Des cas identiques se produisent avec des passagers japonais, qu'on a laissé rentrer chez eux en métro. On débarque les passagers jugés sains, mais 23 d'entre eux n'ont en fait pas été testés. Ça y est, le virus déferle. Les cas se multiplient doucement un peu partout sur le territoire.
Une enseignante qui travaille dans la ville de Chiba est infectée, son établissement ferme aussitôt. Elle habite dans l'ouest de la préfecture de Chiba. Nagareyama, la ville où j'habite, se trouve dans l'ouest de la préfecture de Chiba. Gloups, ça se rapproche. Puis ce sont trois personnes infectées - probablement dans une salle de sport - à Ichikawa (tout près de Nagareyama), ça se précise. A l'école où je travaille, on nous parle de la situation presque tous les jours lors de la réunion du matin. Les enfants et tout le personnel doivent se désinfecter les mains plusieurs fois par jour, et faire des gargarismes (ici, c'est considéré comme super propre).
Bien sûr, le racisme anti-Chinois ne connait plus aucune retenue, bientôt suivi du racisme anti-Coréens. Si les Japonais savaient qu'en Occident, leurs compatriotes sont victimes du racisme anti-Asiatiques...
Ça fait déjà bien longtemps que dans les magasins on ne trouve plus de masque hygiénique ni d'alcool pour les mains. Il parait que les masques ne sont utiles que quand on est déjà infecté, pour éviter de contaminer son entourage. Mais personne n'est capable d'expliquer pourquoi le virus passe dans un sens alors qu'il ne passe pas dans l'autre. Et de toute façon, vu le temps d'incubation du coronavirus, on risque de contaminer beaucoup de monde sans s'en rendre compte, il vaudrait donc mieux porter un masque pour ne pas participer à l'expansion de l'épidémie. Les Japonais en portent souvent, alors objectivement, ça ne change pas beaucoup le paysage, sauf que les masques sont devenus une denrée précieuse. Des petits malins font des réserves pour les revendre dix fois leur valeur sur internet. Rien n'arrête les vautours. Des rumeurs courent sur les réseaux sociaux : on annonce une pénurie de papier hygiénique, de mouchoirs en papier, de couches-culottes et des serviettes hygiéniques. Rien ne justifie une telle crainte, mais c'est trop tard, les gens se précipitent pour en acheter. Résultat : pénurie de papier hygiénique, de mouchoirs en papier, de couches-culottes et des serviettes hygiéniques. Comme ça, les paranoïaques peuvent crier : "Vous voyez qu'on avait raison ! Le gouvernement nous ment !" On parle déjà de pénurie de lait et d'argent liquide dans les distributeurs. Que faire ? Ne pas céder à la panique et se retrouver dans la mouise quand on en aura réellement besoin, ou bien être prudent et faire comme tout le monde, et ainsi participer à la rupture de stock ?
A l'école, il ne reste que deux semaines de cours avant les vacances de printemps, qui marquent la fin de l'année scolaire. Mais la menace semble se rapprocher encore : le mercredi, on nous demande en urgence de préparer discrètement des devoirs, au cas où les élèves auraient à quitter l'école plus tôt que prévu. Le jeudi, le premier ministre Shinzo Abe annonce que toutes les écoles publiques doivent fermer, la priorité étant de protéger les enfants. (Tiens, mais au fait, aucun enfant n'a été infecté !...) Nous ne sommes pas une école publique, mais nous avons la pression. Si le moindre cas apparait, c'est un procès assuré, assuré de perdre. Le vendredi soir, réunion d'urgence : le lendemain, samedi, sera le dernier jour de classe de l'année. "Vous avez ce soir pour tout boucler."
D'ordinaire, avant les vacances, les élèves ramènent progressivement leurs affaires à la maison, c'est échelonné. Mais là bien sûr, on n'a pas eu le temps de s'organiser. Ils quittent donc tous l'école chargés de sacs plus lourds qu'eux, qu'ils trainent par terre dans un bruyant désordre. Quelques parents viennent à la rescousse. C'est peut-être un peu exagéré, mais je pense à ces images de la guerre, lors de l'exode rurale, quand tout le monde fuyait les grandes villes pour aller se mettre à l'abri dans les campagnes. Je pense aussi beaucoup à Terre brûlée, le roman d'anticipation hyper réaliste et ô combien prémonitoire de John Christopher. On a à peine le temps de leur dire "au revoir les enfants". Il n'y a pas vraiment d'émotion, il y a juste une sorte de malaise qui flotte dans l'air et un amer sentiment d'inachevé. Ça fait bizarre de se dire qu'on ne les reverra que dans plus d'un mois, et qu'ils seront passés dans la classe supérieure.
Pour les profs par contre, pas de vacances anticipées : on doit continuer à venir tous les jours, à l'heure habituelle. C'est vrai qu'il y a pas mal de travail à finir, comme remplir les bulletins scolaires par exemple. Pas de quoi cependant nous occuper pendant deux semaines. Mais bon, si on n'a plus rien à faire, il faut aller le dire à la direction qui nous trouvera une belle occupation. C'est pas le ménage qui manque. Pour éviter de se contaminer entre nous, on ne doit pas rester dans la salle des profs, chacun est assigné dans une salle de classe séparée. Ambiance.
On nous martèle les consignes de sécurité, dans et en dehors de l'école. Eviter les rassemblements, tout ça tout ça. La directrice pète un câble : un de mes collègues est musicien et il a prévu des dates de concerts. "Si vous faites ces concerts, pas la peine de revenir ici l'année prochaine" (l'année scolaire, c'est-à-dire dans quelques semaines). Même chose pour un autre qui va dans une salle de sport tous les jours : "Si vous continuez le sport, vous pouvez chercher du travail ailleurs." Elle s'excuse le lendemain. Trop tard, le mal est fait, tout le personnel est furieux.
Sur les réseaux sociaux, des parents rouspètent (pas spécialement ceux de nos élèves, certains parents). Que faire des enfants quand on travaille ? Qui va s'occuper d'eux ? Shinzo Abe a la réponse : "pour vous aider à vous organiser, nous allons ouvrir plusieurs centres de loisirs qui accueilleront votre chère progéniture dans la journée." Des centres de loisirs qui se trouvent pour la plupart... dans des écoles publiques ! C'est rigolo, hein ?
La torpeur s'installe. De plus en plus d'évènements sont annulés, comme par exemple la célébration de l'anniversaire de l'empereur ; de plus en plus de lieux publics ferment leurs portes. A l'école, on est au chômage technique, c'est les coronavacances ! Je prépare des activités pour l'année prochaine, c'est toujours ça de gagné. Et puis à part ça, j'évite de sortir, je préfère me faire livrer plutôt que d'aller au restaurant, je ne vais pas au ciné, pas au karaoké...
Voilà où en est la situation à ce jour.
C'est évidemment susceptible d'évoluer au quotidien.
D'habitude, je rechigne à publier un article sur ce blog si je ne l'ai pas relu 60 000 fois, mais c'est la première fois que j'écris un sujet en rapport avec l'actualité toute chaude, presque en direct. J'espère que je n'ai pas laissé passer trop de coquilles, et si oui, j'espère que vous me pardonnerez.
C'est la première fois aussi que je publie un article sans illustration. Désolé, j'ai pas réussi à prendre le virus en photo.
Mon problème, c'est que je ne fais pas confiance au gouvernement, mais je ne fais pas non plus confiance à ceux qui ne font pas confiance au gouvernement. Entre contrôle autoritaire et théorie du complot, la vérité se dilue.
Toujours est-il qu'on regarde le nombre de personnes infectées grossir de jour en jour, et la question n'est plus de savoir si ce ballon de baudruche rempli de coronavirus finira par exploser, mais quand il explosera.
Puis avec une gestion aussi chaotique de la crise, ce qui devait arriver arrive : une femme testée négative s'avère être positive une fois rentrée en Australie. Des cas identiques se produisent avec des passagers japonais, qu'on a laissé rentrer chez eux en métro. On débarque les passagers jugés sains, mais 23 d'entre eux n'ont en fait pas été testés. Ça y est, le virus déferle. Les cas se multiplient doucement un peu partout sur le territoire.
Une enseignante qui travaille dans la ville de Chiba est infectée, son établissement ferme aussitôt. Elle habite dans l'ouest de la préfecture de Chiba. Nagareyama, la ville où j'habite, se trouve dans l'ouest de la préfecture de Chiba. Gloups, ça se rapproche. Puis ce sont trois personnes infectées - probablement dans une salle de sport - à Ichikawa (tout près de Nagareyama), ça se précise. A l'école où je travaille, on nous parle de la situation presque tous les jours lors de la réunion du matin. Les enfants et tout le personnel doivent se désinfecter les mains plusieurs fois par jour, et faire des gargarismes (ici, c'est considéré comme super propre).
Bien sûr, le racisme anti-Chinois ne connait plus aucune retenue, bientôt suivi du racisme anti-Coréens. Si les Japonais savaient qu'en Occident, leurs compatriotes sont victimes du racisme anti-Asiatiques...
Ça fait déjà bien longtemps que dans les magasins on ne trouve plus de masque hygiénique ni d'alcool pour les mains. Il parait que les masques ne sont utiles que quand on est déjà infecté, pour éviter de contaminer son entourage. Mais personne n'est capable d'expliquer pourquoi le virus passe dans un sens alors qu'il ne passe pas dans l'autre. Et de toute façon, vu le temps d'incubation du coronavirus, on risque de contaminer beaucoup de monde sans s'en rendre compte, il vaudrait donc mieux porter un masque pour ne pas participer à l'expansion de l'épidémie. Les Japonais en portent souvent, alors objectivement, ça ne change pas beaucoup le paysage, sauf que les masques sont devenus une denrée précieuse. Des petits malins font des réserves pour les revendre dix fois leur valeur sur internet. Rien n'arrête les vautours. Des rumeurs courent sur les réseaux sociaux : on annonce une pénurie de papier hygiénique, de mouchoirs en papier, de couches-culottes et des serviettes hygiéniques. Rien ne justifie une telle crainte, mais c'est trop tard, les gens se précipitent pour en acheter. Résultat : pénurie de papier hygiénique, de mouchoirs en papier, de couches-culottes et des serviettes hygiéniques. Comme ça, les paranoïaques peuvent crier : "Vous voyez qu'on avait raison ! Le gouvernement nous ment !" On parle déjà de pénurie de lait et d'argent liquide dans les distributeurs. Que faire ? Ne pas céder à la panique et se retrouver dans la mouise quand on en aura réellement besoin, ou bien être prudent et faire comme tout le monde, et ainsi participer à la rupture de stock ?
A l'école, il ne reste que deux semaines de cours avant les vacances de printemps, qui marquent la fin de l'année scolaire. Mais la menace semble se rapprocher encore : le mercredi, on nous demande en urgence de préparer discrètement des devoirs, au cas où les élèves auraient à quitter l'école plus tôt que prévu. Le jeudi, le premier ministre Shinzo Abe annonce que toutes les écoles publiques doivent fermer, la priorité étant de protéger les enfants. (Tiens, mais au fait, aucun enfant n'a été infecté !...) Nous ne sommes pas une école publique, mais nous avons la pression. Si le moindre cas apparait, c'est un procès assuré, assuré de perdre. Le vendredi soir, réunion d'urgence : le lendemain, samedi, sera le dernier jour de classe de l'année. "Vous avez ce soir pour tout boucler."
D'ordinaire, avant les vacances, les élèves ramènent progressivement leurs affaires à la maison, c'est échelonné. Mais là bien sûr, on n'a pas eu le temps de s'organiser. Ils quittent donc tous l'école chargés de sacs plus lourds qu'eux, qu'ils trainent par terre dans un bruyant désordre. Quelques parents viennent à la rescousse. C'est peut-être un peu exagéré, mais je pense à ces images de la guerre, lors de l'exode rurale, quand tout le monde fuyait les grandes villes pour aller se mettre à l'abri dans les campagnes. Je pense aussi beaucoup à Terre brûlée, le roman d'anticipation hyper réaliste et ô combien prémonitoire de John Christopher. On a à peine le temps de leur dire "au revoir les enfants". Il n'y a pas vraiment d'émotion, il y a juste une sorte de malaise qui flotte dans l'air et un amer sentiment d'inachevé. Ça fait bizarre de se dire qu'on ne les reverra que dans plus d'un mois, et qu'ils seront passés dans la classe supérieure.
Pour les profs par contre, pas de vacances anticipées : on doit continuer à venir tous les jours, à l'heure habituelle. C'est vrai qu'il y a pas mal de travail à finir, comme remplir les bulletins scolaires par exemple. Pas de quoi cependant nous occuper pendant deux semaines. Mais bon, si on n'a plus rien à faire, il faut aller le dire à la direction qui nous trouvera une belle occupation. C'est pas le ménage qui manque. Pour éviter de se contaminer entre nous, on ne doit pas rester dans la salle des profs, chacun est assigné dans une salle de classe séparée. Ambiance.
On nous martèle les consignes de sécurité, dans et en dehors de l'école. Eviter les rassemblements, tout ça tout ça. La directrice pète un câble : un de mes collègues est musicien et il a prévu des dates de concerts. "Si vous faites ces concerts, pas la peine de revenir ici l'année prochaine" (l'année scolaire, c'est-à-dire dans quelques semaines). Même chose pour un autre qui va dans une salle de sport tous les jours : "Si vous continuez le sport, vous pouvez chercher du travail ailleurs." Elle s'excuse le lendemain. Trop tard, le mal est fait, tout le personnel est furieux.
Sur les réseaux sociaux, des parents rouspètent (pas spécialement ceux de nos élèves, certains parents). Que faire des enfants quand on travaille ? Qui va s'occuper d'eux ? Shinzo Abe a la réponse : "pour vous aider à vous organiser, nous allons ouvrir plusieurs centres de loisirs qui accueilleront votre chère progéniture dans la journée." Des centres de loisirs qui se trouvent pour la plupart... dans des écoles publiques ! C'est rigolo, hein ?
La torpeur s'installe. De plus en plus d'évènements sont annulés, comme par exemple la célébration de l'anniversaire de l'empereur ; de plus en plus de lieux publics ferment leurs portes. A l'école, on est au chômage technique, c'est les coronavacances ! Je prépare des activités pour l'année prochaine, c'est toujours ça de gagné. Et puis à part ça, j'évite de sortir, je préfère me faire livrer plutôt que d'aller au restaurant, je ne vais pas au ciné, pas au karaoké...
Voilà où en est la situation à ce jour.
C'est évidemment susceptible d'évoluer au quotidien.
D'habitude, je rechigne à publier un article sur ce blog si je ne l'ai pas relu 60 000 fois, mais c'est la première fois que j'écris un sujet en rapport avec l'actualité toute chaude, presque en direct. J'espère que je n'ai pas laissé passer trop de coquilles, et si oui, j'espère que vous me pardonnerez.
C'est la première fois aussi que je publie un article sans illustration. Désolé, j'ai pas réussi à prendre le virus en photo.
J'ai envie de te dire bon courage... ici (Loire Atlantique) on est assez tranquilles heureusement et puis si on l’attrape ben on attendra que ça se passe, on fait ce qu'il faut bien sûr pour l'éviter et on fait attention aux plus vulnérables mais c'est tout franchement pas de psychose et heureusement.... en attendant y'a aussi la grippe et bien d'autres maladies pas cool... Cyprien a une otite :)
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