samedi 28 mars 2020

Kusatsu onsen

Quatre heures de bus depuis la capitale, il faut vraiment être motivé pour se rendre à Kusatsu onsen. Justement, j'étais motivé. Pourquoi ? Parce que Kusatsu onsen, c'est un peu la Mecque des onsen. Laissez-moi vous raconter.
Kusatsu onsen est une station thermale située en pleine montagne, à une heure de route environ après Ikaho. Alors que j'avais quitté Tôkyô le midi sous un soleil radieux et une douceur printanière, je suis arrivé à destination sous une pluie battante et j'ai aussitôt été saisi par le vent givré descendu des sommets encore blancs. Il restait d'ailleurs quelques congères éparses dans le village, mais le niveau d'enneigement n'était pas suffisant pour maintenir ouverte la station de ski attenante.
La première chose qui marque, dès qu'on descend du bus, c'est cette puissante odeur de soufre qui règne dans toute la ville, ce parfum si caractéristique habituellement qualifié d'odeur d’œuf pourri. J'avais déjà pu sentir la même chose dans certains onsen à Hakone, mais ici, les effluves sont bien plus fortes.
Bon, j'ai connu des ryokan plus luxueux et plus confortables que Iijimakan, c'est le moins qu'on puisse dire. Equipement minimum, lavabo dans le couloir, murs défraichis... Le principal intérêt de cet établissement, c'est que le personnel est très jeune, et l'ambiance est particulièrement détendue. En plus, les repas sont copieux, ce qui, pour un gourmand comme moi, est tout autant appréciable que fatal (depuis cette visite, je me suis mis d'urgence au régime). Par ailleurs, c'est anecdotique mais pittoresque, l'auberge élève un oiseau (je ne m'y connais pas, je crois qu'il s'agit d'une perruche) en liberté. Pîchan - c'est son nom - ne rentre dans sa cage que pour dormir, mais le reste du temps, il se balade à son gré autour de l'accueil et fait copain avec les visiteurs. D'habitude, j'aime pas trop les piafs, mais celui-ci était sympa, c'était rigolo.
Pour ce qui est du onsen en lui-même, je n'en avais jamais testé d'aussi chaud. L'eau qui jaillit est à plus de 50° ! Même pour un Japonais, impossible de se baigner tel quel, et il faut, la mort dans l'âme, ouvrir le robinet d'eau froide pour tenter de faire baisser la température. Pourquoi la mort dans l'âme ? Parce que l'eau de source est chargée de nutriments bienfaisants, et la couper, c'est un peu comme, pour un amateur de vin, couper un grand cru pour l'adoucir. En tout cas, même en ajoutant de l'eau froide, ça reste très difficile de s'immerger dans le bain, et j'ai dû finalement opter pour un autre bassin, alimenté par une source différente, beaucoup plus abordable.
Le lendemain, s'il faisait toujours aussi froid, le ciel était totalement découvert et le soleil inondait l'espace. La première chose incontournable, quand on visite Kusatsu onsen, c'est le yubatake, littéralement le "champs d'eau chaude". Il s'agit de la place centrale de la ville, où une des sources perce la roche pour remplir d'abord un bassin, avant d'être acheminée dans des sortes de canaux en bois, pour enfin se déverser en cascade dans un second bassin. L'eau est très, très chaude, et la vapeur forme d'épais nuages qui masquent parfois la vue, c'est vraiment impressionnant. Cette source est celle-là même qui fournit le premier bain dans lequel j'avais vainement tenté de me plonger la veille. Alentour, d'autres sources font surgir une eau à 95° !
L'odeur du soufre est incroyable. On pense souvent que le soufre est nocif pour la santé, et on l'associe couramment à des images infernales. En fait, le soufre est non seulement bienfaisant pour notre corps, mais il est même totalement indispensable à notre organisme. Ses bénéfices médicaux sont nombreux. Sa mauvaise réputation vient peut-être de son odeur, mais j'avais déjà remarqué qu'on s'y habitue très vite, on peut même sans problème la trouver agréable. Moi, je m'en suis empli les poumons, une vraie cure. L'eau qui coule ici est si fortement chargée en soufre que des concrétions se forment sur la roche, la teintant de ce jaune clair typique. Dans le fond du bassin, par je ne sais quel procédé chimique, tout est recouvert d'un vert émeraude magnifique.
La petite ville de Kusatsu est charmante, avec de nombreux bâtiments en bois. Partout, ce ne sont que onsen et hôtels, le thermalisme est clairement la principale activité de la région. Beaucoup de visiteurs se promènent en yukata, ces kimonos légers, mais, mon dieu, ils doivent avoir super froid aux jambes ! J'ai cru voir que certains yukata qu'ils portaient étaient bien épais, mais comme le ryokan Iijimakan est plutôt du genre modeste (pour ne pas dire loqueteux), je n'aurais jamais pris le risque de m'aventurer dehors en hiver avec mon yukata... Ceci dit, pour se réchauffer les pieds, on peut compter sur les nombreux ashiyu, onsen pour les pieds, gratuits et à disposition un peu partout. Pour faire une pause lors de leur promenade, nombreux sont ceux qui se déchaussent et viennent prendre place autour du bassin en bavardant tranquillement. Moi j'ai choisi une autre façon de me réchauffer : un verre d'amazake, une boisson chaude à base de riz, douce, légèrement épaisse et tellement exquise. On peut aussi déguster des gâteaux cuits à la vapeur (les boites en bois contenant ces gâteaux sont directement posées sur les émanations des sources), ou bien des œufs mollets plongés dans l'eau naturellement chaude.
Dans le genre très surprenant, on trouve aussi un jardin tropical. Poussé par la curiosité, je suis allé le visiter. Il s'agit d'un dôme géant qui abrite une sorte de mini-zoo, hébergeant des animaux qu'on ne trouve habituellement que sous les climats tropicaux. Je ne suis pas sûr, mais je crois que la chaleur produite sous le dôme provient en fait des sources thermales. On y trouve des crocodiles (ou caïmans, je sais jamais), perroquets, serpents, tortues, lémuriens, cabiaïs, etc., le genre de bestioles que j'avais pu croiser lors de mon voyage en Guyane, il y a des siècles de cela. Vous connaissez, je crois, mon opinion sur les zoos. Même si je reconnais que ça fait plaisir de voir ces animaux d'aussi près, je me sens toujours un peu tristoune en sortant. Même les crocos, pourtant pas l'animal le plus sympathique de la Création, font de la peine dans leur petits enclos.
Beaucoup plus séduisant et beaucoup plus local, l'attraction touristique immanquable de Kusatsu, ce sont les yumomi. Je vous ai expliqué plus haut la réticence qu'ont les Japonais à couper l'eau de source. Pour la refroidir, mieux vaut la remuer avec une planche, et tant qu'à faire, en rythme et en chanson. C'est ce dont se chargent traditionnellement les yumomi. J'ai adoré ce mini-spectacle, j'ai trouvé ce chant si émouvant ! Même si là, coronavirus oblige, ces dames portaient toutes un masque. Les visiteurs peuvent s'essayer au touillage de l'eau, l'ambiance est bon enfant. Ah, si seulement j'avais eu une yumomi sous la main pour venir rafraichir mon bain le jour d'avant !
On peut facilement quitter le centre-ville à pied par de petites rues qui montent légèrement en suivant les cours d'eau. Le décor est tout de suite plus bucolique mais la grosse surprise vient de la rivière. En montagne, habituellement, l'eau des torrents est glaciale. Ici, elle est si chaude que de la vapeur s'en échappe en permanence ! Quand il fait froid, rien de tel que de plonger ses mains dans le cours d'eau pour se réchauffer inopinément.
Le soir venu, la ville change de visage. Des illuminations colorent le yubatake, évoquant pour moi ces espèces de lampes psychédéliques des années 70 aux motifs sans cesse changeants. On peut aussi penser aux films de Jean Rollin, ça reste dans mes références. Quand il fait -2°, en pleine nuit sur un petit chemin de montagne, et qu'on enlève ses chaussures pour se baigner les pieds dans l'eau chaude du torrent, tandis que le paysage vibre entre le bleu électrique et le violet byzantin, c'est une expérience surréaliste que je ne suis pas près d'oublier !

Le lendemain matin, grosse surprise au réveil : il est tombé au moins 20 centimètres de neige pendant la nuit ! Et ça continue. Le décor a encore complètement changé. La ville est toute blanche, le ciel tout gris, l'atmosphère toute voilée... et la chaussée très glissante ! Du coup, la station de ski d'à côté à rouvert de façon impromptue.
J'ai beau souffler sur mes mains, elles sont devenues presque insensibles. Je fais un dernier petit tour en ville pour prendre des photos en tremblant de tout mon corps, avant de me réfugier dans le confort rassurant d'un paisible café poka-poka, tout chaud-tout chaud, pour déguster un revigorant shiruko, délicieux potage de haricots rouges à la pâte de riz grillée.
Il sera bientôt temps de reprendre le bus, et pour une fois, je ne suis pas pressé de retrouver une météo plus clémente.



1 commentaire:

  1. genial, tu peux sortir de ton appart!! pas de confinement à Tokyo?
    Ce sejour à la montagne a du vous dépayser et vous faire rudement du bien.
    merci pour cette découverte de Kusatsu onsen.
    des bisous confinés Steph
    et bravo pour ton bilan de 4 années Japonaise.

    RépondreSupprimer