vendredi 22 décembre 2023

Le mochi

 On peut manger du mochi (prononcé "motchi") tout au long de l'année, mais c'est surtout en hiver que c'est populaire. On peut non seulement en manger, mais on peut également en fabriquer. Mais qu'est-ce que le mochi ? Je vous explique.

Le mochi, c'est de la pâte de riz. On en trouve facilement dans tous les supermarchés, le riz étant un aliment de base dans toute l'Asie. Il se présente en général sous forme de lamelles dure, qu'on ramollit en les faisant cuire. Tous les hivers, je me régale en me préparant du shiruko : c'est une sorte de bouillie d'azuki (les haricots rouges sucrés) avec du mochi dedans (deux morceaux le plus souvent). Manger un shiruko en buvant un amazake (boisson chaude à base de riz), c'est ma consolation d'hiver, quand je grelotte en pensant avec nostalgie aux touffeurs estivales. On peut aussi placer le mochi sur une sorte de brasero pour le faire griller. Mais quelle que soit la façon dont on le consomme, le mochi est mou et collant, très mou et très collant. Chaque année, le 31 décembre (une date où on en mange beaucoup), plusieurs personnes âgées trépassent, étouffées par un morceau de mochi qui fait la boule dans la gorge. Morfal comme je suis, je ferais bien de me méfier, moi aussi. Et surtout, ne donnez jamais de mochi à un chat ! Sauf si vous voulez vous en débarrasser, quoi. Pour vous donner une idée du calvaire que connaitra le pauvre animal, lisez donc Je suis un chat de Natsume Sôseki, qui contient une hilarante scène dans laquelle le chat-narrateur se débat avec un morceau de mochi collé dans sa gueule.
Le mochi de base est blanc, mais on en trouve des plus ou moins aromatisés, verts ou roses, avec des noisettes ou des graines de sésame, etc. Le mochi se retrouve dans différents plats, sous différentes formes, une des plus délicieuses étant le daifuku, un mochi sucré fourré avec des fruits ou de la pâte de fruits, comme le ichigo daifuku, un mochi avec une fraise fraiche à l'intérieur. Il existe d'autres façons d'accommoder le mochi, je ne les connais pas toutes.
Voilà pour ce qui est des présentations.
Le mochi est donc un aliment traditionnel, et sa fabrication traditionnelle n'a pas disparu. Elle se pratique encore souvent en décembre dans certains sanctuaires, et le public est invité à y participer. Quand l'occasion s'est présentée, je ne me suis pas fait prier.
On cuit d'abord le riz (je ne sais pas quelle variété de riz, je crois que c'est du riz glutineux), et on le dépose encore tout chaud dans un grand mortier en bois ou en pierre. Là, plusieurs personnes le malaxent à l'aide de grosses masses de bois jusqu'à ce que le riz commence à prendre la forme d'une pâte. Ensuite, on le bat vigoureusement. Un assistant attrape la pâte à la main pour la faire pivoter entre chaque coup, et je suis d'ailleurs étonné qu'il n'y ait pas plus d'accidents que ça. En tout cas, c'est à ce moment-là que le public peut prendre part au processus. Le pilonnage ne semble pas requérir une technique précise, il suffit de taper comme un bourrin, ça défoule et le dimanche matin, voilà qui remplace bien un entrainement de kendô. Les personnes alentour peuvent scander des encouragements, ce qui engendre une certaine synergie de groupe, c'est plus fun.
Il faut mouiller le riz de temps en temps de façon à ce que la pâte ne colle pas trop, ou bien tremper la masse dans une bassine, et petit à petit, on voit cette grosse boule de riz se transformer en mochi homogène. Je crois qu'en étant ainsi broyé, le riz libère des arômes particuliers, en tout cas ça n'a pas exactement le même gout que du simple riz. Le gros pâton de mochi est ensuite remis aux stands où on en fait des boulettes irrégulières, qu'on assaisonne. Le jour où j'y étais, il y avait différents accompagnements au choix : azuki, kinako (poudre de soja), nattô (voir article précédent), radis râpé (mais pas les petits radis de nos jardins français, hein, ici c'est du daikon, gros radis blanc), ou encore miso. Les files d'attentes sont un peu longues, mais dès que la livraison de mochi arrive, on avance rapidement.
Pour nous faire patienter, un homme joue à faire des formes avec des baguettes de bois assemblées par des cordelettes, en improvisant une sorte de chanté/parlé que le public répète en chœur. Je n'ai pas filmé cette partie, parce que j'avais juste envie de profiter de l'instant avec mes yeux, mes oreilles, je voulais être dans le présent, savourer l'instant.
Vient enfin de moment de déguster. Et le mochi qui vient juste d'être fait comme ça, c'est bien évidemment excellent, un délice, le meilleur mochi ! Tellement bon que j'ai fait la queue trois fois pour gouter un maximum d'assaisonnements (j'ai zappé le nattô, puisque j'avais déjà ingurgité ma ration au petit-déjeuner).

Outre le régal, j'ai aussi et surtout adoré l'atmosphère. Tout le monde qui mange du mochi sous les arbres aux couleurs de l'automne, sous l'azur de l'infini, dans cette ambiance traditionnelle et familiale, c'était un pur moment de bonheur qui m'a rappelé mes premières expériences du Japon, quand je suis arrivé dans ce pays, il y a quelques années.

dimanche 3 décembre 2023

Washoku

 Par un hasard du calendrier, mon emploi du temps, ultra-chargé depuis plusieurs mois, s'est quelque peu allégé ces derniers jours. J'ignore si ça va durer, alors j'en profite.
Je trouve enfin du temps pour faire tout ce que j'ai à faire, mais surtout, pour ne rien faire. Du temps pour moi. L'autre jour, je me suis offert un cadeau d'un luxe suprême : une sieste ! Ça ne m'était pas arrivé depuis un bail (je ne compte pas les endormissements dans le train), et j'aurais bien du mal à vous décrire le bienêtre, physique et psychique, que ça m'a procuré. Mais là n'est pas mon sujet aujourd'hui.
On m'avait donné un billet gratuit pour aller voir une expo sur la gastronomie japonaise, le washoku. Je n'y serais pas allé sans cette invitation, mais puisque l'occasion se présentait, je l'ai saisie. Le thème ne m'intéressait pas particulièrement, mon objectif principal était de déambuler et par-dessus tout de sortir la tête de mon écran. Expo parcourue rapidement, pas l'expo du siècle, mais qui m'a quand même donné envie de partager quelques images avec vous.
L'expo commence par l'aliment universel : l'eau. D'où elle vient, les principales marques, etc. Parmi les plus vendues au Japon, deux marques françaises : Évian et Contrex. Sont présentés ensuite tous les ingrédients qui composent les repas traditionnels : champignons et autres légumes, algues, les différentes sortes de riz bien sûr, le soja, le saké, etc. Et puis les poissons, évidemment : le thon, le fugu (ce fameux poisson empoisonné, je vous en avais parlé ici)... Tout est passé en revue, c'est très complet. L'ensemble est souvent illustré par des reproductions en plastique hyper-réalistes, que les Japonais adorent, et qu'on retrouve en devanture de nombreux restaurants. L'expo se termine avec les apports des cuisines venues d'autres pays, Chine en tête. La plus grosse surprise vient du menu des repas de fête de l'empereur : on y trouve principalement de la cuisine... française !
Tout cela m'a donné sacrément envie de retourner dans un ryokan, non seulement pour me laisser fondre dans un onsen, mais aussi pour savourer la cuisine absolument parfaite qu'on peut déguster dans ce type d'établissement. Je vous ai souvent montré à quoi ça ressemble, ici, ou pour ne vous donner que les liens les plus récents, mais bien entendu, vous ne pouvez pas vraiment savoir tant que vous n'avez pas gouté.









Petite digression, pour revenir au washoku après : ces derniers mois, je me suis retrouvé avec le système digestif complètement déréglé. En cause, le fait que je n'aie pas, en général, le temps de me poser à table le midi pour avaler un repas équilibré, que je me nourrisse de bouffe industrielle (celle des superettes, la pire), et puis les fioles de produits dopants - légaux - que je m'envoie pour tenir le rythme des journées, et qui défoncent le corps, les excès dont je me rends coupable (produits trop sucrés par exemple), etc. Bref, mon estomac et mes intestins ont tourné maboul et ont commencé à fonctionner de façon totalement aléatoire. Quelques médicaments m'ont aidé à réguler tout ça, mais je ne voulais pas abuser du chimique. Je me suis donc mis à avaler du yaourt à boire tous les matins, des produits enrichis en bio-machin et en lacto-truc. Bien, mais insuffisant. Alors en désespoir de cause, je me suis tourné vers le produit ultime pour renforcer la flore intestinale : le nattô. Le nattô, ce sont des haricots de soja fermentés. Ses bienfaits au niveau du système digestif sont très réputés. Mais avant même d'en ingurgiter, rien qu'à l'aspect, vous avez compris que vous ne vous lancez pas dans une expérience anodine. J'en avais déjà mangé plusieurs fois, en particulier dans les ryokan, où c'est communément servi au petit déjeuner. Je ne peux pas dire que j'en raffole, mais dans le contexte, ça passe, disons que ça fait parti du folklore. Mais quand même, quand je me suis vu acheter du nattô au supermarché, ça m'a fait bizarre, j'ai compris que je franchissais un cap, un pas de plus dans l'ouverture d'esprit interculturelle. Et me voilà donc chez moi, à me préparer ma barquette de haricots gluants tous les matins, la mort dans l'âme (comment ça, je dramatise ?!). Je le reconnais : au bout de quelques jours, les effets bénéfiques se sont fait ressentir, bien au-delà de mes espérances. J'ai donc continué, exactement comme on suit un
traitement. Et vous savez quoi ? Non seulement je me suis rapidement habitué, mais j'ai fini par apprécier. Après tout, l'odeur n'est pas pire que celle de mon cher munster, et le gout n'en est pas si éloigné.
En tout cas, je n'ai maintenant plus beaucoup de limites, et je peux à présent explorer le washoku dans ses aspects les plus extrêmes. Et si vous venez chez moi un jour, vous savez ce que je vous servirai au petit déjeuner !

jeudi 5 octobre 2023

Macadam massacre

 Ce billet fait suite à celui intitulé Massacre à la tronçonneuse, publié le 19 avril 2022, et que vous pouvez relire ici. En très résumé, j'y racontais qu'on avait rasé le petit bois en face de mon balcon pour construire des maisons. Et voilà le résultat... tadaaaa !! :







Comme vous voyez, ce n'est pas encore tout à fait fini, il reste quelques carrés inoccupés, mais vous vous en doutez, ces espaces vacants ne sont pas destinés à devenir des jardins potagers. En guise de légumes, au total, ce sera dix-neuf maisons qui seront sorties de terre. Ah, il doit être content, le maire de Nagareyama ! Dix-neuf maisons toutes neuves, ça fait dix-neuf familles heureuses ! Et puis ça va contribuer à renforcer l'image de la ville : Nagareyama est la municipalité qui connait le "développement" (j'expliquerai ces guillemets plus bas) le plus important de tout le Japon, il y a même un livre qui est paru pour analyser le "miracle Nagareyama". Non, vraiment, de quoi être fier. Mon amertume ne peut être que le fruit d'une misérable aigreur chronique, je fais sans doute partie de ces rabat-joies qui passent leur temps à contester et à rouspéter. Allez hop, circulez, il n'y a rien d'autre à dire.
Et pourtant, j'ai des choses à dire.

On m'objectera peut-être que je râle parce qu'on a construit des maisons - où je n'habite pas - et que si à la place on avait construit des bâtiments dont je puisse profiter, je ne m'atermoierais pas autant sur la disparition de ces arbres. Il y a du vrai, je le reconnais. Si on avait construit une bibliothèque par exemple, ou un équipement sportif, je ne peux pas dire que je serais fou de joie qu'on ait éradiqué la verdure de mon panorama, mais au moins, je me consolerais à peu près en me disant qu'on a édifié un bien commun, dont tout le monde pourra bénéficier.
Le fait est que bâtir des maisons individuelles constitue aujourd'hui un non-sens absolu. D'après le site d'information nippon.com, il existe au Japon plusieurs millions de maisons inhabitées (vous avez bien lu), et le nombre de logements disponibles ne cesse de croitre alors que la population est en baisse constante. Par ailleurs, le prix moyen des maisons neuves augmente inexorablement (au moins dans la région de Tôkyô). Comment expliquer ces paradoxes ? Pourquoi ne pas investir dans une maison qui existe déjà, quitte à la rénover ? Les causes sont bien entendu complexes et multiples, mais il serait vain de chercher la raison du côté du confort de vie, sachant que d'une part les ménages s'endettent de plus en plus pour acquérir leur logement (alors que l'idée de contracter un prêt leur est désagréable, pour plus de 60% d'entre eux), et que d'autre part lesdites maisons neuves sont construites de plus en plus loin des infrastructures de service (les gares en particulier). Par ailleurs, ces maisons sont dépourvues de jardin (pas de bronzette en chaise longue, pas de barbecue, pas d'enfant qui s'égaye sur la pelouse), et l'envie de s'isoler dans un espace bien à soi n'est pas non plus concrétisée puisqu'on compte souvent un espace de deux mètres tout au plus entre ses propres murs et ceux du voisin, et que logiquement, une telle promiscuité réduit fortement le sentiment d'intimité. Selon moi, l'explication est liée à des facteurs psychosociologiques : une maison individuelle neuve est un marqueur de réussite sociale, et représente un moyen de se situer - aussi bien pour soi-même que vis-à-vis d'autrui - au sein d'une société. "Je travaille beaucoup, je suis riche." Dès lors, il ne peut s'agir d'autre chose que d'un caprice d'ostentation bourgeoise.
On m'objectera peut-être encore que rénover des maisons n'est pas dans la tradition japonaise. En effet, j'en parlais dans un article sur les maisons de mon quartier, la culture de l'impermanence porte à détruire et reconstruire plutôt qu'à rénover. Mais la culture nait de personnes bien réelles, et ces personnes sont en droit - si elles n'en n'ont pas le devoir - de remettre en cause leurs habitudes par cette simple question : est-ce bon ou pas ? Même si la notion de bon ou de mauvais sera envisagée à travers le filtre culturel (j'en ai déjà parlé, je ne vais pas revenir là-dessus), le fait même de se poser la question ouvre le champ des possibles. Le monde et les cultures se transforment de concert. 
Le désir d'une maison individuelle neuve est d'autant plus une idée malvenue qu'à notre époque, ce type de logement est devenu une aberration. En effet, l'empreinte écologique d'un tel chantier est énorme, et je ne parle pas seulement du fait de raser des arbres pour faire de la place aux constructions. Les matériaux nécessaires et les besoins en énergie sont bien plus importants pour une maison individuelle que pour loger autant de personnes dans un immeuble. Mais les immeubles, c'est pour les pauvres, le prestige n'y est pas. Or, il suffit de s'informer un tant soit peu, il suffit d'ouvrir un journal ou à défaut sa fenêtre pour savoir que le monde a changé. Culturel ou pas, nous ne pouvons plus nous permettre ce genre de caprice.
Le changement climatique est en marche. António Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, a même déclaré en septembre que "l'effondrement climatique [avait] commencé." Nous savons que nous ne pourrons plus le stopper, à tel point qu'on parle maintenant, c'est le nouveau mot à la mode, "d'adaptation". On sait parfaitement qu'on ne pourra plus échapper à la catastrophe en cours, il ne reste plus qu'à s'y adapter. Deux exemples, parmi les mesures à prendre pour adapter les villes au monde qui se présente : végétaliser le plus possible les zones urbaines (ah, tiens, le maire de Nagareyama est passé à côté de cette info, c'est dommage). En effet, seuls les espaces verts sont à même d'absorber la chaleur excessive, le goudron ne fait qu'accentuer la montée des températures (je vous donnerai plus bas des liens pour vous informer plus précisément). Autre exemple : les toits de tous les bâtiments devraient être blancs (ah, tiens, les architectes qui ont sévi devant chez moi n'ont pas eu accès à cette info, encore dommage). Quand on voit que ces gougnafiers osent sans vergogne afficher sur les façades des maisons en construction que leurs travaux sont neutres en carbone, et que leur slogan est (je vous traduis) : "La force de la forêt" ! C'est ça, prenez-nous pour des truffes, ça nous donnera au moins l'illusion de vivre sous un arbre.
De nos jours, on a suffisamment de recul sur tous les programmes de "compensation carbone" de type "un arbre coupé = un arbre planté" pour connaitre leur fiabilité. D'abord, beaucoup des sociétés qui proposent ce genre de compensation ne respectent tout simplement pas leurs engagements. C'est juste du flan. Ensuite, on sait à présent que la majorité des arbres plantés dans ce cadre ne survivent pas. Eh oui, on ne gère pas le vivant comme on gère un stock de stylo dans un magasin, c'est autrement plus complexe. La seule destinée de ces plans est de nous vider un peu plus les poches pour nous vendre de la conscience tranquille, et surtout de maintenir le vivant dans une logique marchande.
C'est un des grands aspects du problème : notre économie repose entièrement sur l'extractivisme. Tout ce que nous consommons, absolument tout, vêtements, nourriture, énergie, logement, transports, et tout ce que nous produisons, absolument tout, se fait en prélevant des ressources dans notre environnement. Le souci, c'est que nous prélevons bien plus vite que la Terre ne se régénère. A l'heure où j'écris ces mots, six des neuf limites planétaires (à ne pas franchir pour maintenir les conditions d'habitabilité de la Terre) ont déjà été largement dépassées, et deux de plus sont en passe de l'être. Utiliser plus qu'on ne produit mène fatalement à une impasse. Dans un espace limité, cette dynamique conduit inévitablement à se cogner aux murs. Comme le dit Aurélien Barrau, il n'est pas nécessaire d'être bardé de diplômes pour comprendre ça : le développement à l'infini sur une planète finie est impossible, et il y a forcément un moment où le système cesse de fonctionner. Mais l'économie productiviste ne prend pas en compte ces limites. Connaissez-vous un seul chef d'entreprise, un seul, dont la ligne soit : "mon objectif, c'est de gagner moins d'argent que l'année dernière" ? Inconcevable, dans ce système. Le Produit Intérieur Brut est l'unique étalon, et son essence est le développement, et donc à terme, l'effondrement. Même si on ralentissait notre économie, on ne ferait que ralentir le processus mais la direction serait identique, c'est le principe même de cette économie qui nous condamne. Notre système économique a besoin d'être remplacé. Il faut laisser à la Terre le temps de se régénérer en inversant la courbe de la consommation et de la production, c'est la seule voie viable. Par exemple, travailler moins pour prélever moins.
Je ne suis pas anti-progrès. Je ne nie aucunement les avancées qu'ont pu produire, en leur temps, le commerce et le développement. Oui, la technologie nous apporte beaucoup, chaque jour, oui, des peuples qui n'avaient pas accès aux ressources essentielles comme l'eau, ou à l'éducation, ont maintenant une vie plus digne, oui, notre horizon s'est élargi. Mais voir les avancées dont l'humanité bénéficie depuis un siècle et demi (en gros) ne doit pas nous masquer les contreparties que l'industrie engendre. Tout ce que nous avons acquis, nous risquons de le perdre. D'ailleurs, il serait plus juste de dire que nous allons le perdre. Quand l'économie arrivera en bout de course, et les premiers signes sont déjà là, le système s'effondrera, c'est inévitable, et le bienêtre de milliards de personnes sera en péril. Un exemple concret : j'ai voulu aller à la mer en juillet dernier, mais j'ai dû renoncer parce qu'il y avait une alerte aux coups de chaleur (hyperthermie), et les autorités sanitaires avaient prévenu qu'il risquait de ne pas y avoir assez d'ambulances pour tout le monde. Quand un pays n'arrive plus à fournir les services de base à sa population (l'alimentation, l'accès aux soins et la sécurité), c'est là une des définitions d'un effondrement civilisationnel. Rien que pour la semaine du 16 au 23 juillet, 22 647 personnes ont été transportées aux urgences pour cause d'hyperthermie, et 65 en sont mortes. C'est un record depuis que ces statistiques existent. Et je n'habite pas dans un pays du tiers monde, mais dans une des plus grandes puissances économiques mondiales.
L'espèce humaine a fait de gros progrès, mais peut-être pas de la bonne façon, et le temps est venu de nous remettre en cause si nous ne voulons pas payer le prix cher de nos erreurs. Car peut-on encore appeler progrès l'éradication massive des insectes, des arbres, de certains mammifères ? Peut-on appeler progrès l'élimination de la vie ? Les conséquences sont dramatiques. Les canicules, les incendies, les sècheresses, les phénomènes météorologiques extrêmes, à défaut de lire le journal nos dirigeants ont-ils allumé la télé cet été ? Les scientifiques sont unanimes : tout ce qui était prévu est en train d'advenir, et ne va aller qu'en s'accentuant. Et tout cela est dû, ça ne fait plus aucun doute, à l'activité humaine.
Oh, à propos de doute : si, bien sûr, vous trouverez encore quelques climato-négationnistes qui pensent que les scientifiques exagèrent afin de créer un climat de peur pour... pour quoi, déjà ? Pour vendre des livres ? Ou parce qu'ils ne croient pas au génie humain et à notre capacité à trouver "la solution" ? Il ne s'agit pas de cela, et je suis convaincu que tous les auteurs qui publient des livres sur le changement climatique et ses conséquences préfèreraient ne pas avoir à écrire sur ce thème. Sérieusement, vous savez d'où vient le climato-négationnisme ? (je n'utilise plus le terme de climato-scepticisme, car ceux qui soutiennent ces théories ne font pas que douter, ce qui à la limite pourrait être sain, ils nient des mesures scientifiques, ce qui revient à nier le réel observé). Bref, ceux qui nient s'inscrivent dans la droite ligne de ce qu'on appelle la fabrique du doute. En voici une illustration très précise : dans les années 80, quand les scientifiques ont commencé à pointer le rôle des énergies fossiles dans le réchauffement climatique, les grandes entreprises pétrolières ont engagé leurs propres experts pour faire leurs propres recherches. Et ces experts sont arrivés aux mêmes conclusions que les scientifiques indépendants ! Ceci est acté, reconnu, il y a eu des tas d'enquêtes là-dessus, et même les grands patrons concernés ne démentent pas, devant l'accumulation de preuves. Alors bien sûr, ils n'ont pas rendu public leurs résultats, mais à la place, ils ont commencé un grand travail de lobbying : faire de l'influence auprès des leaders économiques et politiques pour insinuer le doute dans les esprits. Un travail de fond, subtil, invisible et puissant. En fait, ils ont agi exactement comme l'industrie cigarettière dans les années 70, quand la responsabilité du tabac dans le développement des cancers est apparue. "On n'est pas sûr, ce n'est pas si simple, le cancer est multi-factoriel, il faut d'autres études..." Pour ces gens-là, gagner du temps c'est gagner de l'argent. C'est grâce à la fabrique du doute menée par les grandes industries que vous entendez certains personnages médiatiques déclarer qu'il y a déjà eu des réchauffements dans le passé (c'est vrai mais rien de cette ampleur), ou que certaines données nous manquent (c'est vrai mais les grandes lignes sont fiables), etc. C'est grâce à la fabrique du doute que la courbe des émissions de gaz à effet de serre continue de monter.
Cependant, les citoyens commencent à ouvrir les yeux, et Emmanuel Macron ne peut plus faire comme si rien ne se passait. Alors il joue les étonnés : "qui aurait pu prédire la crise climatique ?" Imbécile ! Les experts l'ont prédite depuis au moins les années 70, avant même ta naissance ! Vous connaissez le rapport Meadows ? Des économistes américains, qu'on ne peut pas soupçonner d'être des gauchistes aux cheveux longs, des anarchistes fumeurs de joints, des utopistes révolutionnaires, non, de vrais économistes élevés à l'économie de marché, se sont interrogés, dans une étude qui a fait date, sur les limites de la croissance. Le résultat est sans appel : on va droit dans le mur. Ce sont des capitalistes pur et dur qui le disent ! Et Macron de renchérir, devant l'ONU je crois, qu'il fallait ralentir la prise de mesures pour la protection de l'environnement ! Alors que tous les climatologues martèlent à cor et à cri qu'il faut accélérer les mesures, que c'est maintenant qu'il faut opérer un virage d'urgence ! On est mal barré, au sens propre comme au figuré. Et, pour continuer avec les déclarations de Manu l'imbécile, son récent "J'adore la bagnole" est d'une stupidité sans nom à l'heure où il faudrait limiter au maximum l'usage des voitures particulières.
Je comprends l'idée sous-jacente à la bêtise du président français et à celle du maire de Nagareyama : il faut protéger l'économie. Il faut "se développer". Mais de quel développement parle-t-on ? Sûrement pas de celui des espaces verts. Sûrement pas le développement de l'agriculture qui nous nourrit. Leur développement, c'est la croissance du système qui, précisément, affame certains d'entre nous aujourd'hui et nous affamera tous demain. Le développement, c'est le développement de l'économie extractiviste. C'est d'ailleurs un des arguments fréquemment avancé par les climato-négationnistes : "l'industrie automobile est un pilier majeur de notre économie, lui mettre des bâtons dans les roues c'est se tirer une balle dans le pied". Les investissements pétro-gaziers, Patrick Pouyanné, le patron de Total Energie, appelle ça "la vie réelle". Mais elle aura l'air de quoi, cette économie, quand l'agriculture sera tellement dévastée que les légumes seront devenus rares et chers, et qu'il faudra faire le choix entre manger une salade ou payer son loyer ? Même en France, il y a déjà des gens pour qui ce dilemme est une réalité. La vie réelle que Pouyanné refuse de voir, c'est que cet été, l'Iran a été obligé de se mettre à l'arrêt pendant deux jours parce qu'il faisait plus de 51°C et que même pour les personnes en bonne santé, c'était dangereux de sortir. L'entêtement des politiques et de leurs alliés économiques révèle une triste vérité : ceux que nous élisons sont incapables de changer de paradigme. Ce n'est pas la disparition du ticket de caisse qui nous sauvera. Le monde réclame un changement radical que nos dirigeants (et leurs copains) ne sont absolument pas capables d'envisager. Juste à titre d'illustration, relisons ce qu'écrivait le délicieux Carlos Ghosn, cité par le philosophe Jean-Pierre Dupuy : "Dans ce monde où les frontières s'estompent, un impératif émerge avec toujours plus de force, identique en tous points de la planète : la performance. C'est une langue universelle. Qualité, coûts, délais : elle se parle de la même manière au Japon, en Europe ou aux Etats-Unis. La performance est un devoir." Et Jean-Pierre Dupuy de commenter un peu plus loin : "Mais que se passera-t-il lorsque chaque famille indienne ou chinoise roulera sur les autoroutes asiatiques ? Le système climatique mondial n'y résistera pas. Nous le savons à coup sûr. La responsabilité de ce capitaine d'industrie est immense, mais il est incapable de voir plus loin que le bout de son nez."
Je voudrais me permettre une petite digression au sujet des industriels : certains d'entre eux ont parfaitement compris les changements qui s'amorcent et leur inéluctable évolution, ils ne les nient pas et les anticipent à leur façon : en Australie et aux Etats-Unis, ils ont commencé à privatiser les ressources en eau afin de transformer ce bien essentiel en marchandise, dans le but d'en tirer un profit financier. Ils savent pertinemment que l'eau est irremplaçable et va, elle aussi, se raréfier. Ils prétendent, cynisme suprême, qu'il faut donc donner de la valeur à l'eau pour nous forcer à l'économiser, sinon on court à la catastrophe. En d'autres termes, ceux qui nous ont foutu dans la mouise jusqu'au cou se présentent aujourd'hui comme les sauveurs de l'humanité. Ils ont si bien réussi leur tour de passe-passe qu'ils ont même rallié certains partis écologistes à leur cause. En Europe, on n'en est pas encore là, mais des projets comme les mégabassines constituent clairement des galops d'essai dans cette direction. On fonce vers le bord de la falaise.
De toute façon, le changement va advenir, quoi qu'il arrive. La fin de l'abondance n'est pas qu'une punch-line de communication politique, c'est surtout une grosse claque qu'on va se prendre. La question est de savoir si on anticipe et accompagne ce changement, ou bien si on le subit. Dans le deuxième cas, ce sera beaucoup plus violent. Quel changement ? Les fruits et les légumes plus chers, je l'ai dit, mais aussi, quand on prend la douche : "ah, zut, l'eau est encore coupée ! C'est la troisième fois cette semaine", mais aussi les villes côtières qui disparaissent du fait de la montée des eaux (certaines iles sont déjà largement rongées, mais c'est loin des pays riches, alors les puissants s'en foutent), certains ports vont devenir inutilisables, ce qui signifie un commerce international beaucoup plus compliqué, mais aussi des morts par milliers à cause de la pollution de l'air (au moins 238 000 personnes sont décédées en 2020 en Europe à cause des particules fines, ce n'est pas assez ? C'est encore trop loin, l'Europe ?), mais aussi les maladies provoquées par les virus contenus dans le pergélisol qui est en train de fondre, mais aussi les maladies provoquées par les virus transmis aux humains par des animaux dont on a rogné le territoire (il se pourrait que ce soit l'origine du coronavirus), mais aussi les tensions internationales - et donc les conflits, autrement appelés guerres - dues à la raréfaction des ressources, mais aussi bien d'autres choses. A ce propos, le pergélisol ne libère pas que des virus inconnus, il dégage aussi du méthane, qui contribue notablement au réchauffement de l'atmosphère, participant ainsi à l'effet d'emballement (l'effet d'emballement, en gros, ce sont des effets qui alimentent d'autres effets, accélérant le processus, ce que les experts appellent une boucle de rétroaction positive).
Dans les conséquences concrètes, il y a aussi une grande difficulté à circuler, due à la raréfaction du pétrole. Parce que parmi tout ce que nous prélevons sur la planète, il n'y a pas que le vivant, il y a aussi des choses comme le pétrole, qui est notre principale source d'énergie. Or, le pétrole, on a passé le pic de production. Dorénavant, il en reste moins à extraire que ce que nous avons déjà brulé. En même temps, vu tout ce qu'on a déjà consommé, on comprend qu'il nous reste pas mal de réserves. D'aucuns pourraient penser que c'est cool, parce que ça va régler le problème des gaz à effet de serre. Moins de pétrole, moins de pollution. En vérité, pas du tout, pour deux raisons : d'une part, même si demain on arrêtait totalement de bruler du carbone, les gaz à effet de serre lâchés dans l'atmosphère continueraient de faire augmenter la température (pour des raisons techniques que je ne vais pas détailler), et d'autre part, le temps qu'il nous reste pour agir est bien trop court, nous ne pouvons pas attendre la fin du pétrole. Mais n'empêche, on utilise du pétrole partout, pour tout. L'ordinateur ou le téléphone portable sur lequel vous lisez ce texte, les vêtements que vous portez en ce moment, ce que vous avez mangé aujourd'hui, tout a nécessité du pétrole pour être produit. Comment on va faire quand il n'y en aura plus ?
Ah, oui, je sais : la technologie va nous sauver. Par exemple, si on a trop chaud, il suffit de mettre la clim', non ? C'est ce que le maire de Nagareyama a décrété : il y a quelques mois, il a fait installer des climatiseurs dans les gymnases de la ville. Ben oui, c'est clair qu'en été, il crève de chaud dans les gymnases, et ça peut passer pour une bonne idée. Mais vous imaginez un peu la quantité d'énergie qu'il faut pour refroidir un gymnase ?! Sans compter que dans certaines zones urbaines, il y a tellement de climatiseurs qui tournent que ça fait augmenter la température de l'air extérieur. C'est littéralement le serpent qui se mord la queue. Mais qu'on se rassure, on va bien trouver des sources d'énergie qui respectent l'environnement. Vous avez déjà entendu ces discours, n'est-ce pas ? Mais quelle source d'énergie ? Pour l'instant, nous n'avons pas l'embryon d'un début d'idée d'une énergie qui pourrait remplacer le pétrole. Certains promeuvent le nucléaire, mais sans tenir compte de trois grosses difficultés que pose cette énergie : les risques, les déchets, et les besoins (énormes) en eau, eau qui est en train de devenir une ressource précieuse. Quant aux énergies dites "vertes", éoliennes et solaires notamment, on sait maintenant qu'elles ne peuvent pas être la solution. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais pensez seulement que pour fabriquer une éolienne, il faut du pétrole, et vous aurez un aperçu de l'impasse. C'est mathématique : l'énergie produite par une éolienne ne peut pas produire une éolienne. Par ailleurs, l'histoire nous apprend qu'à chaque fois qu'une nouvelle source d'énergie est apparue, elle ne s'est pas substituée à la précédente, elle s'y est additionnée : nous utilisons la nouvelle source d'énergie pour produire davantage, pas pour produire mieux. Non, le vrai problème n'est pas tant la source d'énergie que ce que nous en faisons. Imaginons qu'on trouve une source d'énergie qui n'ait aucun impact sur le vivant (je rappelle que cette source est totalement imaginaire). Quelles seraient les conséquences ? C'est évident : les industriels en profiteraient pour produire plus et laver plus vert leurs activités destructrices. Les tronçonneuses pourront afficher un beau logo "sans émission de carbone". On pourra construire des autoroutes "qui respectent la nature". On pourra manger du MacDo bio. Réfléchissons : ce que nous devons remettre en cause, c'est notre façon de consommer, ce que nous désirons. La technologie ne nous sauvera pas.
Qu'on me comprenne bien, je n'accuse personne, et sûrement pas les citoyens que nous sommes. D'abord, je suis loin d'être un modèle, et j'ai moi aussi mes mauvaises manies. Nos gouts et nos appétences sont téléguidés par tout un système de production/consommation dont il est très difficile de s'extraire. Ainsi, la bouffe industrielle est bourrée de sucre parce que le sucre nous rend dépendant, je suis bien placé pour le savoir, addict au glucose que je suis. Si nous désirons tel ou tel produit, c'est parce que la publicité sait à merveille créer des besoins, et plus elle est efficace, moins nous en sommes conscients. Si nous sommes au bord du gouffre, ce n'est pas par gout du suicide, mais parce que nous subissons les effets secondaires du système qui nous a apporté tant de confort. Les gardiens de ce système tentent de se défausser en nous culpabilisant, et en nous faisant croire qu'on ne s'adonne pas assez "aux petits gestes" (vous savez : privilégier le vélo, manger moins de viande, éteindre la lumière et couper la console, voire enfiler un col roulé...). On nous parle de sobriété à l'heure même où on organise des festins de luxe au château de Versailles avec le roi d'Angleterre. Non, nous ne sommes pas la cause, nous sommes les victimes. Ou si nous sommes à remettre en cause, c'est pour avoir créé un monstre dont le contrôle nous échappe, exactement comme le docteur Frankenstein avec sa créature. Ce monstre, c'est à nous de le détruire, et les petits gestes n'y suffiront pas. Même si tout le monde, absolument tout le monde, adoptait la totalité de ces petits gestes, cela ne contribuerait que pour 10% à la baisse des émissions de gaz à effet de serre (je n'ai plus les chiffres exacts en tête, je vous laisse le soin de fast-checker mes propos). Autant dire qu'on est loin du compte. Nous devons instaurer un changement structurel, et ce changement ne viendra pas de ceux qui tirent profit de la situation actuelle. Vous imaginez Pouyanné déclarer : "OK, j'ai pris conscience de mes responsabilités, je vais démanteler Total Energie" ? Ceci dit, nous devons quand même faire pression sur les décideurs, c'est une partie du processus dont nous avons besoin. Écrivons à nos maires : "Pourquoi autorisez-vous la construction de maisons individuelles dans votre commune ?" Anticipons leur réponse : "On n'y peut rien, il faut bien répondre à la demande". Non, il ne faut pas répondre à la demande. S'ils n'y peuvent rien, c'est qu'ils ne méritent pas leur mandat. Il existe des lois. Si quelqu'un veut venir chez vous pour tuer votre chien, il n'a pas le droit parce que des lois vous protègent. Il n'y a pas de fatalité, les lois et l'économie ne sont pas naturelles, ce sont des constructions sociales, et nous avons le pouvoir de les changer, nous en avons même le devoir, par respect pour nos enfants, pour les enfants du monde entier. Si les dirigeants le voulaient vraiment, il serait simple pour eux de changer ce qui doit l'être. Et s'ils refusent de le faire, nous devons les y forcer. Par exemple, un décret : tous les bâtiments construits dorénavant devront avoir un toit blanc ; et il suffit de signer le papier, c'est tout. C'est possible.
Il y a beaucoup de choses que nous pouvons exiger, même si la demande ne sera pas exhaussée, parce que si nous sommes nombreux à réclamer des changements, ces changements prendront place dans les esprits, et c'est très important. Par exemple, nous devons songer à interdire les SUV en ville ou même, pourquoi pas, interdire totalement leur vente. Franchement, qui a besoin d'une voiture si grosse ? Ici, au Japon, on voit beaucoup de SUV, comme si les Japonais avaient six enfants par famille (ils sont en général seuls dans leur véhicule). Là aussi, il ne s'agit que d'un caprice d'ostentation bourgeoise. Autre mesure qui changerait radicalement la vie : réfléchir sérieusement à l'interdiction de la publicité. Quoi, le système économique s'effondrerait ? Non : UN système économique s'effondrerait. Celui qui nous a foutu dedans. Mais il y a d'autres façons d'envisager les échanges commerciaux. A ce sujet, écoutons les experts comme Timothée Parrique, ils ont plein d'idées.
Quoi, nous sommes des khmers verts ? Non, nous cherchons seulement à protéger la vie, et ce n'est pas une formule poétique, c'est au sens littéral du terme. Le monde qu'on a connu touche à sa fin, inventons-en un autre. A tous ceux qui s'écriraient : "j'ai bien le droit d'avoir une grosse voiture ! De faire construire une maison ! De voyager en jet privé !", la réponse est : non. Non, tu n'as pas le droit de t'accaparer l'air que nous respirons et les terres qui nous nourrissent.
Je le répète : le changement va venir, et nous devons nous y préparer. L'étape la plus importante est de s'informer. Tout ce que je dis ici, je ne l'ai pas inventé, je ne fais que transmettre la parole de personnes qui étudient ces phénomènes depuis des années, qui travaillent au quotidien avec ces données. Au nom de quoi pourrais-je me permettre de les remettre en cause ? Quelle légitimité ont ceux qui doutent de ces experts ? Écoutons les scientifiques, ils savent de quoi ils parlent. Je vous mets ci-dessous une liste de liens. Ce ne sont que des vidéos (parce qu'en tant qu'exilé, c'est le moyen de m'informer le plus accessible pour moi), mais libre à vous de pousser plus loin la réflexion en lisant des livres, en assistant à des conférences, des débats publics, etc. S'informer puis informer. Mieux nous connaitrons le sujet, mieux nous saurons répondre à ceux qui nous disent encore "qu'on n'est pas sûr, qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on nous raconte, que le GIEC exagère", ce genre de clichés propagés par les tenants du statuquo. Informons-nous pour lutter contre la fabrique du doute. Ensuite, quand on aura pleinement pris conscience de ce qui est en train d'advenir, nous pourrons plus facilement - et même très naturellement - changer nos valeurs, notre regard sur le monde. Non seulement ceci nous aidera à encaisser les coups durs à venir, mais aussi et surtout parce que changer notre regard sur le monde c'est changer le monde. Nous n'avons plus le choix.
Au Japon, où j'habite, la population est encore très loin de la prise de conscience. Il faut dire que les journaux parlent à peine de cette actualité. Tout au plus, on remarque que le Japon - aussi - vient de connaitre son été le plus chaud depuis que les relevés des températures existent, mais sans faire le lien avec l'activité humaine, et sans comprendre que ce sera pire l'année prochaine, et encore pire l'année suivante. On reste au stade du "oh, il a fait chaud cet été !" comme un constat qui n'a rien d'alarmant. Je n'ai de cesse d'inviter mes apprenants à réfléchir à ces sujets. C'est ma manière d'agir, parce que sinon, en tant qu'expatrié, je suis très limité dans mes actions, même si je fais mûrir, moi aussi, ma réflexion, et que je m'interroge sur d'autres moyens d'agir.
Allez, assez bavardé, voici les liens.
Commençons par le plus beau d'entre tous, Aurélien Barrau, qui a fortement inspiré ce billet. Honnêteté, précision de la langue, poésie, toutes ses conférences et interventions sont admirables, je vous en propose une ici, mais à vous de découvrir davantage cet homme si ses mots vous touchent :
Jean-Marc Jancovici, dit Janco, est sans doute le plus médiatique, il passe fréquemment à la télé et à la radio, et a publié une BD qui marche pas mal. Je ne partage pas tous ses points de vue (sur le nucléaire notamment) mais il a le mérite d'être clair et vaut la peine qu'on l'écoute attentivement.
Vincent Mignerot est un grand spécialiste des énergies, et s'intéresse non seulement à leur aspect technologique mais aussi à ce qu'implique, philosophiquement, notre rapport à la consommation d'énergie. Il est passionnant.
Arthur Keller analyse entre autre pourquoi nous ne parvenons pas à nous détacher de nos habitudes mortifères, et les récits que nous pourrions mettre en place pour faire évoluer notre rapport au monde.
Timothé Parrique est économiste. Je n'ai pas eu la chance de lire son livre, mais il explique, dans ses conférences, que la notion de décroissance ne nous conduit pas à une vie d'Amish, comme menacent les imbéciles, mais qu'au contraire, elle est la seule voie viable. C'est une autre manière d'envisager l'économie. La décroissance est l'unique chemin qui pourra limiter les conséquences de la catastrophe déjà enclenchée.
Si vous vous intéressez aux glaciers et aux banquises, écoutez donc Heidi Sevestre. Ça fait froid dans le dos, si j'ose dire. Pour oser la contredire, il faudrait connaitre la glaciologie mieux qu'elle, bon courage.
Il y a encore beaucoup d'autres experts à découvrir, la liste est longue, je vous laisse faire vos recherches : Aurore Stéphant (spécialiste des matières premières), Emma Haziza (spécialiste de l'eau), Valérie Masson-Delmotte (climatologue), etc.
Je vous recommande vivement les entretiens et les chroniques de Paloma Moritz sur Blast, le ton est toujours très juste et tous ses invités savent bien de quoi ils parlent.
La chaine Limit est également une source d'informations incontournable, car Vinz, l'animateur, prend le temps d'aller au fond des choses avec ses invités.
Si les gens qui parlent vous ennuient et que vous préférez les reportages, vous pouvez visionner ces deux-ci, par exemple, ça vous donnera probablement envie d'en savoir plus.
C'est encore trop rébarbatif ? Alors plongez-vous dans la fiction, et vous verrez bien ce qui nous attend. La série L'effondrement semble être un reportage venu du futur, et le docu-fiction de BFM TV, même s'il a ses faiblesses, a le mérite de s'adresser à tous tout en étant très bien documenté.
Si vous en voulez encore, j'en ai d'autres à vous recommander, contactez-moi.
Mais je vais m'arrêter là pour aujourd'hui.
Et pour la route, en extra, non pas une vidéo mais un livre : Propagande de David Colon (Flammarion). Un must pour comprendre d'où vient la fabrique du doute, et comment elle fonctionne.

Oh là là, je suis parti du panorama de mon balcon et je me suis lancé dans une grande diatribe incontrôlée contre la bétonisation du monde ! Et encore, quand je me relis, je pense à toutes les choses que j'aurais pu ajouter. Pour finir de rendre sympathique le chantier devant mes fenêtres, je ne peux pas passer sous silence les coups de marteau, la scie circulaire, l'entrechoquement des échafaudages métalliques, et toutes ces joyeuses nuisances sonores qui se font entendre (ce n'est pas fini) dès 8h, sept jours sur sept (apparemment, il n'existe pas de loi interdisant à un patron de faire travailler ses ouvriers le dimanche, non mais pis quoi encore, ce serait un frein à l'économie, comme si les gens avaient besoin de repos !). Bref : les oiseaux me manquent.
Mais ce que je veux vraiment vous dire, pour conclure, c'est que je n'avais pas du tout envie d'écrire tout ça. J'aurais 1000 fois préféré vous dire que la vie va continuer comme avant. J'aurais tellement aimé. Mais ce ne serait pas honnête. Non, la vie ne va pas continuer comme avant, tout va devenir plus compliqué. L'avenir est austère, miséreux, sans espoir. Nous pouvons juste essayer de limiter la casse, nous pouvons tous participer à l'atténuation de la catastrophe. En ce qui me concerne, vous inviter à visionner ces vidéos et à réfléchir, ouvrir le débat, vous proposer de partager nos réflexions, c'est ce que, à ce jour, je me sens le plus capable de faire, et même si ça ne sert à rien ça aura au moins servi à me dire que j'aurai essayé. Crier tout seul peut être terrifiant, alors je lance mes mots vers vous dans l'espoir d'être entendu. Ma chère famille, mes chers amis, chers inconnus qui peut-être me lisez, tenons-nous la main. Ça fait moins peur.

vendredi 8 septembre 2023

Summer Nights

(avant-propos : dans les titres des articles de ce blog, je fais souvent des clins d'œil à des chansons ou des films. La référence de celui-ci n'est pas à chercher du côté de Shakespeare et son "Songe d'une nuit d'été", mais plutôt du côté de John Travolta, à vous de trouver. Désolé, on a la culture qu'on peut.😅)
Je ne vais pas vous refaire tout le topo, mais en été, dans les matsuri, on danse le bon-odori. J'en ai souvent parlé, autrefois, et vous pouvez vous rafraichir la mémoire avec ces deux articles ici et , et à partir de là, vous pourrez encore accéder à d'autres articles. Alors si vous ne savez pas du tout de quoi je parle quand je parle de matsuri et de bon-odori, je vous invite à relire ces anciens billets, ça vous évitera d'être trop perdu.
Mais quand même, sans trop vouloir me répéter et pour vous aider : les matsuri sont des fêtes traditionnelles, et le bon-odori est la danse qu'on y pratique en été.
La plupart des matsuri ont été suspendus pendant 3 ans pour cause de coronavirus, et bon sang, ce que j'étais triste, chaque année, de ne pas pouvoir y assister. Mais ça y est, la pandémie est terminée (en vérité, pas du tout, mais en déclarant officiellement que c'est terminé, le gouvernement peut stopper le remboursement des vaccins et faire des tas d'économies à droite à gauche, alors c'est pratique à défaut d'être vrai), et les matsuri ont repris.
Et moi, je suis retourné danser, plus que jamais, youpi ! Voici donc le résumé des matsuri de cet été.

A la mi-aout (encore une référence impromptue à une chanson populaire !), il y a la fête d'O-bon (prononcé à peu près comme "eau bonne"), qui est en gros l'équivalent de notre Toussaint. Les morts reviennent parmi les vivants, et on les honore en dansant. Mais célébrer les ancêtres pendant une semaine seulement serait un peu frustrant, alors tant qu'on y est, on pratique les danses consacrées - le bon-odori (odori signifiant danse) - pendant tout l'été, et surtout en juillet et en aout. J'ai appris les rudiments de ces danses à l'époque pré-covid, pour les oublier après. Avant de me relancer dans la ronde, j'ai donc ressenti le besoin de me dégourdir les pattes et de me remettre à flots, alors à l'approche de l'été, j'ai participé à quelques cours de danse bon-odori. En particulier, je me suis rapproché d'un cercle de danseurs très, très calés, la Kôchôkai, et j'ai eu beaucoup, beaucoup de mal à suivre. Dans le bon-odori, il y a les danses de base, qu'on voit partout, mais aussi des chorégraphies considérablement plus élaborées, et c'est ce type de danses qui est enseigné dans ce cercle. En vérité, on pratique ces danses particulières dans assez peu de matsuri, alors le fait de ne pas avoir réussi à suivre ne m'a pas du tout handicapé pour la suite. Je pense que je continuerai à m'entrainer avec la Kôchôkai tout au long de l'année avec pour visée la participation, l'été prochain, à des matsuri plus importants. Si j'arrive à assimiler une ou deux chorégraphies en un an, ce sera déjà pas mal !
Et puis enfin, dès début juillet, les matsuri ont été annoncés un peu partout, et j'ai pu faire mon choix - souvent au hasard - des endroits où me rendre les samedis et dimanches soirs. On trouve parfois des matsuri en semaine, mais je travaille souvent jusqu'à 20h ou 21h, voire plus tard, alors je suis coincé (les matsuri commencent vers 18h et finissent vers 21h). A vrai dire, normalement, je travaille aussi régulièrement le samedi soir, mais cet été, j'avais réservé mes weekends pour sortir car j'en avais vraiment besoin. Je suis essentiellement resté dans le nord de Tôkyô parce que c'est plus pratique pour moi, sans m'interdire occasionnellement des visites plus éloignées de mon domicile.
Je connais maintenant à peu près 6 ou 7 danses, ce qui me permet de m'intégrer à la fête sans être le moins du monde frustré. Les Japonais n'en connaissent pas forcément plus, d'ailleurs. Alors comment font-ils pour danser ? En général, tout le monde apprend sur le tas : on regarde les danseurs les plus doués sur la yagura (l'estrade centrale) et on copie. Beaucoup de mouvements se retrouvent d'une danse à l'autre, avec quelques variantes, et c'est l'enchainement qui diffère, la façon dont les motifs gestuels sont agencés (je parle là des danses de base, pas de celles qu'on pratique à la Kôchôkai, qui intègrent des mouvements peu communs). 
A une chanson correspond une danse qu'on répète en boucle.
 En outre, c'est assez rare mais il arrive qu'une même chorégraphie serve pour plusieurs morceaux différents. Donc, plus on danse et plus il devient facile de danser : il "suffit" bien souvent d'assembler dans le bon ordre les mouvements-clés, et à défaut d'être immédiatement gracieux, ce sera au moins dans le rythme. Plus facile à dire qu'à faire, cependant. J'ai encore beaucoup de réticence à me lancer sur les morceaux que je ne connais pas, et à apprendre sur place comme les locaux. Même s'ils ne le dansent pas tous, les Japonais connaissent le bon-odori depuis qu'ils sont petits, ça fait partie intégrante de leur culture. En ce qui me concerne, la première fois que j'en ai entendu parler, c'était dans un animé, quand je bossais dans le doublage, j'avais presque 40 ans. Autant vous dire que c'est une coutume qui est loin d'appartenir à mon univers naturel ! Je ne me sens donc pas très à l'aise quand il s'agit de m'insérer dans la ronde sans avoir répété des heures et des heures auparavant. Pourtant, il m'est arrivé, de temps en temps, de prendre confiance en moi et de tenter d'imiter les Japonais. Je crois que je ne m'en suis pas trop mal tiré, surtout qu'évidemment, je ne prenais le risque que sur les chorégraphies faciles. Mes mouvements n'étaient pas forcément beaux, mais à peu près corrects, je pense.
Certaines danses ont une signification. Tanko Bushi p
ar exemple, qu'on pourrait traduire par "la mélodie de la mine de charbon", représente les gestes des mineurs : le mouvement quand on creuse avec une pelle, puis on porte un sac sur l'épaule, on recule (ça, ça ne veut rien dire, c'est juste un des motifs récurrents du bon-odori), puis on pousse le chariot, et enfin on tape dans les mains, ce qui marque généralement le début et la fin de la boucle. Et on recommence. De même, sur la chanson des fleurs, on mime avec les mains l'éclosion des fleurs, ce genre de choses. Je me suis toujours demandé à quoi on pouvait comparer la tradition du bon-odori, pour vous aider à vous faire une image, et la réponse est venue de Sophie L., mon amie d'enfance. En vérité, ce qui s'en rapproche le plus en France, c'est le fest-noz breton (ou le fest-deiz, pour sa version diurne). OK, si vous ne connaissez rien à la culture celtique, ça ne va pas beaucoup vous aider, mais ça a l'avantage d'être plus proche de vous géographiquement, ça devrait vous parler un peu plus. C'est populaire dans le sens littéral du terme, on organise des bon-odori au cœur des villes et des villages : sur la place, devant le temple, dans le parc, sur le terrain de sport, etc. C'est gratuit, tout le monde peut venir et tout le monde danse ensemble : hommes et femmes, jeunes et vieux, pas de séparation. On rencontre par ailleurs souvent des personnes handicapées, physique et/ou mental, qui rejoignent la farandole. Beaucoup de personnes portent un yukata, kimono léger, ou un jinbei, ensemble veste et bermuda, mais on peut venir en tenue de ville, pas de souci, personne ne vous regardera de travers. Le matsuri est une fête, et certaines personnes arborent un masque, le démon, le chat ou le renard étant les personnages les plus fréquents. Les masques ne se portent pas sur le visage (il fait trop chaud, et ce n'est pas commode), mais plutôt sur le côté de la tête.
Parallèlement au bon-odori, on conçoit mal un matsuri sans yatai. Les yatai sont des stands où on peut acheter à manger ou à boire. Les plats typiques des matsuri sont les yakisoba (nouilles de sarrazin sautées), les yakitori (brochettes de poulet), les takoyaki (sortes de petites brioches grillées fourrées au poulpe), les kakigôri (glace râpée, autrement dit un granité, pour ça je vous renvoie à ma page Instagram, ou à l'article précédent sur le résumé de l'été). Il y a aussi des yatai qui ne vendent pas de nourriture mais qui proposent des jeux pour les enfants : tir à la carabine, pêche miraculeuse, etc. Par cet aspect, les matsuri se rapprochent donc assez de nos fêtes foraines françaises, en bien plus artisanal. Par contre, un point qui s'oppose radicalement aux fêtes françaises, c'est que bien que les Japonais soient de grands buveurs de bière, je n'ai jamais vu le moindre débordement lié à l'alcool, jamais de bagarre ou d'incident, jamais d'agressivité ni même de tension.
Il y a un mystère à propos du bon-odori pour lequel je n'ai actuellement aucune piste de réponse : qui décide des musiques et élabore les chorégraphies ? Beaucoup de chansons sont anciennes, et on peut supposer une transmission traditionnelle dont les origines se perdent dans les méandres de la culture, mais pour les chansons modernes ? Car en effet, on alterne allègrement les styles : on peut passer du grand classique Tokyo Ondo, qu'on entend dans à peu près chaque matsuri, à Dancing Hero, un tube disco japonais délicieusement kitsch devenu, lui aussi, un grand classique. Cette année, le nouveau grand tube à la mode, c'était un vieux morceau de Boney M, Bahama Mama. Je déconne pas. Boney M. Sérieux. Je ne connaissais pas cette chanson, et je ne sais pas d'où les mystérieux décideurs ont déterré cette perle, qui n'avait pas sa place dans les matsuri des années précédentes. En tout cas, je me suis éclaté sur Bahama Mama, j'adore. Je vous mets la chanson plus bas, ce serait dommage de s'en priver.
Bon, en tout cas, ça y est, maintenant vous connaissez le principe : la chanson commence (et pour plus de commodité elle est annoncée au micro), ceux qui veulent danser prennent place dans le cercle et on tourne dans le sens antihoraire autour de la yagura (l'estrade, vous suivez ?). Mais si personne ne danse, c'est vraiment triste, alors comment faire pour inciter le public à participer, alors qu'évidemment, peu de gens connaissent toutes les chorégraphies ? C'est bien simple : en général, la playlist est constituée d'une dizaine de morceaux maximum, qu'on passe et repasse en boucle (on peut donc entendre Bahama Mama cinq ou six fois dans la soirée !). Sur la liste, il y en a bien au moins deux ou trois qui sont connus, et pour le reste, le nombre de répétitions permet aux novices d'assimiler les mouvements. D'ailleurs, afin de prolonger le plaisir, dans certains matsuri, les chansons sont systématiquement diffusées deux fois de suite (surtout si la playlist est courte).
Trop heureux de pouvoir sortir à nouveau, je me suis rattrapé de mes frustrations des années corona, et je me suis rendu dans pas moins de treize matsuri en à peine deux mois. Je préfère en général les petits matsuri, à l'ambiance plus familiale et plus chaleureuse, mais on trouve aussi de grands matsuri très sympas. A force, on finit par croiser des têtes connues. Ainsi, il y a cet homme d'un certain âge que j'avais déjà repéré il y a quelques années et que j'ai revu au moins trois ou quatre fois cet été. Il faut dire qu'on le remarque : certes, il danse très bien, mais avec des mouvements un peu grandiloquents, et pour tout dire m'as-tu-vu. Car c'est une des choses intéressantes dans le bon-odori : nous avons beau tous effectuer la même chorégraphie, la personnalité de chacun n'en est pas pour autant totalement étouffée. Il émane de nos corps ce qu'on peut ou ce qu'on veut y mettre. Nous restons des individus, et nous dansons ensemble. Je trouve ça très beau, en fait.
En multipliant ainsi les matsuri, j'ai multiplié les expériences et enrichi ma vision de la culture japonaise. Je me souviens par exemple de ce matsuri dans le parc de Morishita, où il y avait tant d'ados. Ils étaient surexcités, mais ils n'étaient pas là pour foutre le waï. Au contraire, ils essayaient vraiment de danser, certes en riant à gorge déployée, mais avec application. Ils observaient attentivement les ainés et s'efforçaient de danser correctement, patauds et hilares. Ils suivaient nos mouvements avec de grands sourires, ils braillaient des "Hey !" pendant les chansons, et ils nous tapaient dans les mains à la fin de chaque morceau, l'ambiance était vraiment chaleureuse. J'ai connu ce type d'atmosphère également dans d'autres matsuri, mais c'est à Morishita que ça m'a le plus marqué, sans doute parce que c'était la première fois que je voyais ça. En plus, pour une fois, il y avait une excellente sono, ce n'est pas si souvent !
Dans ma ville, Nagareyama, il ne se passe généralement pas grand-chose. Seul le matsuri devant le centre commercial d'Ootakanomori est vraiment notable, mais pour le reste, il faut bien chercher pour trouver un évènement festif. Et dans mon quartier plus précisément, à Edogawadai, là ce n'est pas qu'il ne se passe rien, c'est qu'il y a franchement plus d'animation dans un cimetière (j'exagère un brin, mais un brin seulement). Quand j'ai vu qu'on montait une yagura à côté de la gare, j'ai donc été bien surpris, surtout par la taille respectable de cette installation. Pour une fois qu'il avait l'air de se passer quelque chose dans mon quartier, je ne voulais pas rater ça. Quelle surprise ! Je crois que c'est le matsuri le plus grand que j'ai vu cette année ! Il y avait des milliers de participants et au moins une trentaine de yatai, dont certains proposaient des mets que je n'avais jamais vus. Et tout ça à moins de 10 minutes à pied de chez moi ! Là aussi, super ambiance, super souvenir.
Un autre souvenir sympa : Ô-chan, un de mes apprenants, un garçon de 13 ans que je connais depuis qu'il a 5 ou 6 ans, joue du taiko, le tambour traditionnel qui accompagne systématiquement le bon-odori. Je l'avais déjà entendu jouer il y a trois ans dans un petit matsuri, mais à l'époque il était débutant. Il a eu le temps de s'entrainer, et cette fois-ci, il a joué dans un matsuri qui accueillait plusieurs centaines de personnes, à Arakawa, et j'ai pu constater ses progrès. C'était vraiment un plaisir particulier de danser au son du taiko de mon cher étudiant.
Multiplier les expériences ne signifie pas multiplier les bonnes expériences et à ma grande surprise, j'ai pu assister à un matsuri tout pourri. C'était dans une galerie marchande, à Akabane, et la sono était complètement défectueuse, ce qui fait que dès que les taiko démarraient (c'est-à-dire dès le début de la chanson), on n'entendait plus la musique. En plus, l'espace pour danser était vraiment étroit, et encombré par des gamins qui chahutaient. Un matsuri raté de A à Z, je n'imaginais pas que ça puisse exister, me voilà informé.
Les matsuri étant avant tout des fêtes de quartier, on y croise assez peu d'étrangers, surtout s'il s'agit d'un petit matsuri. Quand il y a des étrangers, rares sont ceux qui portent un yukata, et parmi ceux-ci encore plus rares ceux qui dansent. Alors quand un étranger se ramène en yukata et danse, comme votre humble serviteur, forcément, ça se voit, et je trouve souvent une petite mémé parmi le public pour m'acclamer. Je suis lucide : ce ne sont pas tant mes talents de danseurs qui me valent ces louanges, mais ma qualité d'étranger dansant en yukata. N'empêche, c'est mignon, et on échange parfois quelques paroles, et toujours de grands sourires. Bref, je me fais parfois un peu remarquer, et un soir, à Nerima, un membre du staff organisateur est venu nous voir, ma compagne et moi, pour nous proposer de monter danser sur la yagura. J'ai répondu non merci c'est gentil mais 
sans façon non pas question no way n'insistez pas j'ai dit non c'est non. Puis il m'a attrapé par le bras avec - toujours - un grand sourire et 15 secondes plus tard j'étais sur la yagura. En fait, ils étaient tellement gentils, tous, que ça aurait été malotru de refuser, et je sentais que ça leur faisait plaisir, alors ça m'a fait plaisir aussi. Juste avant de monter les marches, on a dit à ce monsieur que c'était notre première fois, qu'on était un peu nerveux, et il a proposé de prendre le téléphone de ma demoiselle pour faire une vidéo. Vidéo que vous avez peut-être déjà vue sur Instagram, et que voici à nouveau plus bas. Mon heure de gloire à Nerima !
Voilà, en résumé, mon été de bon-odori ! Je pourrais vous en raconter encore, vous raconter les pompiers qui viennent saluer de façon très protocolaire le staff à la fin, vous parler des danses propres à chaque quartier, vous parler des danses qu'on pratique avec un éventail, ou des danses spéciales pour les enfants, ou encore vous parler des démonstrations de taiko auxquelles j'ai pu assister, dont le son résonne jusque dans la poitrine, mais cet article est déjà très long, et j'espère qu'il vous a intéressés. N'hésitez pas à me laisser vos réactions par mail ou dans les commentaires.
Pour terminer, voici une petite vidéo avec des images de tous les matsuri auxquels j'ai participé cette année. Ce n'est qu'un simple bout-à-bout sans prétention, l'objectif est de vous montrer plus concrètement à quoi ressemblent ces matsuri. En plus, je vous propose un petit montage avec des extraits des démonstrations de taiko.
A l'année prochaine !