jeudi 4 avril 2024

Les petites marionnettes

 Le bunraku est un spectacle de marionnettes traditionnel. Depuis longtemps, je me disais que ce serait intéressant d'en voir un, un jour, mais sans jamais chercher sérieusement d'opportunité. Et puis une copine m'a proposé de l'accompagner, et j'ai sauté sur l'occasion.


Le théâtre de bunraku n'est pas réputé pour être facile d'accès. Austère voire âpre, lent et long, amateurs de Guignol, s'abstenir ! Découragés d'avance, beaucoup de Japonais à qui j'en ai parlé n'ont donc jamais assisté à une représentation de bunraku. Et pour les étrangers, c'est encore plus hermétique ! Aussi, pour faire découvrir cette tradition à tous, étrangers comme Japonais, le Japan Art Council a eu la bonne idée d'organiser des sessions d'initiation. Celle à laquelle j'ai assisté s'appelle, justement, 1st Session, première session. 
Le principe en est qu'au lieu d'assister à un spectacle complet, on ne présente qu'un extrait, entouré de toutes les explications nécessaires. Et comme tout est en japonais, une traduction simultanée (dans l'oreillette) est disponible gratuitement, systématiquement distribuée aux étrangers. Le programme imprimé, lui, est bilingue japonais/anglais. Bien sûr, il est interdit de prendre des photos, c'est pourquoi je ne peux vous montrer que des dépliants.

D'abord, un animateur vient sur scène et présente les grands principes de cet art, et introduit la séance à laquelle nous allons assister. Ensuite, il invite sur scène un des manipulateurs de marionnette, et l'interviewe. On apprend ainsi qu'il faut des années de pratique pour monter les échelons, en commençant par les tâches les plus simples, pour finir par les responsabilités les plus prestigieuses (en gros : des pieds à la tête, explications plus bas). Puis un petit film est projeté, pour montrer tout ce qu'on ne voit pas d'habitude : comment les marionnettes sont faites, comment les marionnettistes les font bouger, etc. Enfin, l'animateur résume brièvement l'histoire dont est extraite la scène qui va se jouer devant nous, de façon à situer les personnages, le contexte et l'action. Il s'agit de la scène finale d'une pièce très célèbre, Double suicide d'amoureux à Sonezaki, thématique classique des histoires d'amour contrariées de la littérature japonaise.

Le spectacle en lui-même peut alors commencer. Sur la droite de la scène, les musiciens prennent place : trois joueurs de shamisen (une espèce de luth à trois cordes), et derrière eux trois chanteurs. Puis les personnages entrent en scène. Une des particularités du bunraku est que les marionnettistes sont apparents. Ils sont vêtus de noir et ont la tête couverte d'une cagoule pour s'effacer, mais ils ne sont pas cachés comme dans notre tradition occidentale (ou comme dans les spectacles de marionnettes sur eau que j'ai pu voir au Vietnam il y a fort longtemps). Il y a trois manipulateurs par personnage, un pour la tête et une main, un autre pour l'autre main, et le dernier pour les pieds, d'où la hiérarchie évoquée plus haut. Il s'agit d'un opéra où les personnages s'expriment en chantant, ou plutôt, une sorte de parlé/chanté qui rappelle le kabuki (autre forme de théâtre traditionnel). Cependant, ce ne sont pas les marionnettistes qui font les voix des personnages, ce sont les musiciens qui chantent tous les textes.

L'action est effectivement très lente, et il ne se passe pas grand-chose. La musique est très traditionnelle, assez minimaliste, et le chant se déroule en mélismes gutturaux dont les nuances sont ardues à saisir, c'est dire à quel point ce n'est pas 
du tout mélodieux pour nos oreilles d'Occidentaux. Ce qui est intéressant, pour moi, c'est de voir à quel point les marionnettistes font corps avec leur marionnette. Dans la pénombre, on ne fait qu'apercevoir leurs silhouettes, néanmoins il est aisé de sentir qu'ils n'utilisent pas que leurs mains pour donner vie à la marionnette, mais qu'ils s'investissent totalement dans les mouvements. Même de loin, les postures et gestes des marionnettes sont vraiment expressifs. Sensibles, ai-je envie de dire. De près, ce doit être encore plus impressionnant, sachant que les visages des marionnettes sont également animés au niveau des yeux et de la bouche, ce que je ne pouvais pas apprécier de là où j'étais assis.
Le décor est minimaliste aussi, mais la représentation à laquelle j'ai assisté était assez moderne puisqu'en plus des quelques éléments haptiques, le fond était un décor projeté, ce qui permettait quelques effets poétiques, comme par exemple à la fin quand les amoureux, s'étant donné la mort, s'envolent au ciel. Désolé pour le spoiler, mais en même temps, avec un thème pareil, on se doute bien qu'ils ne vont pas finir en dansant la samba.
Honnêtement, il y a des moments où il faut se tapoter les joues pour ne pas céder à Morphée, parce que le tout est assez uniforme. Pourtant, je dois reconnaitre que s'endormir légèrement rend l'expérience intéressante, car alors les étranges sonorités se mettent à tourner dans votre tête comme la bande-son hypnotique d'un rêve baroque.

En conclusion, j'ai apprécié la découverte, mais je ne pense pas que j'y retournerai. D'abord, c'est très cher. Certes, quand on voit le nombre de personnes sur scène et l'expertise des artistes, le prix est justifié et même raisonnable. N'empêche, 4500 yens (27 €), pour une heure au total, ce n'est pas un plaisir qu'on s'offre tous les jours. Mais surtout, je ne suis pas sûr d'être capable de percevoir toutes les subtilités qui existent certainement et qui font sans doute la richesse de cette tradition. Le fossé culturel est peut-être infranchissable pour moi, il n'en reste pas moins fascinant à considérer.


2 commentaires:

  1. Merci pour cette découverte ! Chaque année, j'emmène mes élèves au Mouffetard, théâtre des arts de la marionnette, et je suis toujours surprise des mille et une possibilités de création qu'offre la marionnette. J'adore !

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    1. Il existe un Festival international de la marionnette à Charleville-Mézières, et je crois qu'il est assez réputé.

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