dimanche 14 septembre 2025

Let's dance

 Cette année, je ne dresserai pas de bilan de l'été, puisque rien de notablement différent de l'année dernière ne s'est produit. Piscine, une journée à la plage, grosse chaleur au point de dormir sur mon balcon, ma routine estivale. Le seul évènement particulier a été mon excursion à Miyakejima, que je vous ai racontée ici.
Mais je voudrais tout de même vous parler du bon-odori, dont je vous ai pourtant déjà parlé tant de fois. Il n'y a rien de fondamentalement nouveau dans cette pratique ancestrale (dont les origines remontent au 13e siècle), mais ma connaissance de cet univers s'est accrue, et j'aimerais partager avec vous un peu de mon expérience typiquement nippone.
Cet été encore, dansons !


Comme chaque année, j'avais hâte de retrouver l'atmosphère unique des bon-odori, d'autant plus que pour mon anniversaire, début juin, on m'a offert deux nouveaux yukata, ces kimonos légers qu'on porte traditionnellement en été.
J'ai beau avoir commencé la saison un peu plus tôt que d'habitude, fin juin, j'ai dansé un peu moins que l'année dernière, pour différentes raisons : il y a eu mon weekend à Miyakejima, mais aussi un soir où je suis allé assister à un spectacle de danse classique (une de mes anciennes élèves, qui pratique maintenant à un niveau assez élevé), il y a eu un weekend où il a plu des trombes (j'en ai profité pour aller voir une expo), etc. Mais paradoxalement, j'ai l'impression d'avoir davantage dansé que l'année dernière, et la raison en est que j'ai fait beaucoup moins de pauses !
En effet, ma façon de danser a légèrement changé, et plus précisément c'est ma façon de considérer le bon-odori qui a évolué. Jusqu'ici, comme je vous l'avais expliqué, je ne voulais danser que sur les chorégraphies que je maitrisais correctement. Le bon-odori n'est pas du tout présent dans ma culture d'origine, et je manquais de confiance en moi. Je craignais de passer pour l'étranger qui se rend ridicule en cherchant à imiter les locaux. Il me fallait donc répéter des heures durant, chez moi (en général devant YouTube), pour assimiler une nouvelle danse. Lors des matsuri, dès qu'un morceau dont j'ignorais la chorégraphie correspondante était diffusé, je me mettais sur la touche, ce qui par ailleurs me permettait de prendre beaucoup de photos. Petit à petit, j'ai acquis une certaine assurance, et commencé à accepter d'apprendre sur le tas, à la japonaise, en regardant les autres et en les copiant. Je dis ça comme si c'était évident, mais ça ne l'est pas, y compris pour les Japonais eux-mêmes, surtout pour les danses les moins connues. Par exemple, beaucoup de quartiers ont une chanson qui leur est spécifiquement dédiée, et donc la chorégraphie qui va avec. Mais si vous n'êtes pas un habitant du quartier, ou au moins un habitué, vous avez peu de chance de connaitre la chanson en question et encore moins la chorégraphie, surtout si, comme moi et comme de nombreux danseurs, vous vous baladez chaque weekend de quartier en quartier. J'ai quelquefois assisté à cette situation cocasse où pratiquement personne ne connaissait la chorégraphie, et où tout le monde se regardait en se demandant qui copier ! Résultat : un joyeux bordel sur le dancefloor ! Et le meilleur dans tout ça, c'est que tout le monde riait ! Le bon-odori est une fête populaire où on ne se prend pas au sérieux.

Avec les années, il y a plusieurs danses qui sont devenues faciles pour moi, tellement faciles qu'elles en sont presque ennuyeuses. Le principe même du bon-odori est d'être une danse répétitive, et à trop répéter des mouvements identiques, on se lasse. Du coup, mon intérêt s'est plutôt reporté sur de nouveaux défis, c'est-à-dire de nouvelles chorégraphies. Quand on connait bien quelques mouvements clés, il est moins difficile de les combiner entre eux pour assimiler de nouveaux enchainements. Parfois, on est confronté à des mouvements totalement inédits, mais si on est sensibilisé à la dynamique du bon-odori, on peut, disons, sentir les choses. Enfin... dans une certaine mesure ! Il m'arrive encore régulièrement de commencer à imiter la gestuelle des modèles, sur la yagura notamment (l'estrade centrale), puis, 
n'arrivant pas du tout à reproduire ce que je vois, de laisser tomber en cours de route, car le plaisir d'apprendre fait alors place au navrant sentiment de s'emmêler les pinceaux.

Quant aux danses pour lesquelles je suis à l'aise, trop à l'aise, j'ai trouvé un moyen efficace de transcender la répétition : je me lâche ! Je prends certaines libertés avec les mouvements, j'accentue la souplesse des bras,
 je donne plus de dynamique à mes pas, je balance mon corps, ou plutôt, je le laisse se balancer sur les vagues du rythme... Je ne fais pas ça pour me faire remarquer mais juste pour me laisser aller, pour sentir le plaisir monter tout seul. D'ailleurs, en cherchant sur YouTube pour réviser certaines chorégraphies, je suis déjà tombé sur des vidéos où j'apparaissais, et je me suis dit que je devrais peut-être me calmer un peu, parce que parfois, je bouge un peu trop, quand même... (ne me demandez pas le lien, je l'ai perdu😅). Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça tranche avec ma kanojo, qui m'accompagne presque toujours dans les matsuri, et qui, elle, essaye de danser le plus sérieusement du monde, gestes précis et visage de marbre !
Bref, entre les danses que je connais bien et celles que je découvre, j'ai fait beaucoup moins de pauses, et j'ai aussi pris beaucoup moins de photos.

A fréquenter ces fêtes tous les weekends, il arrive souvent qu'on croise des visages connus, et sans nécessairement faire ami-ami, on se salue parfois d'un sourire et d'un hochement de tête. J'ai même un jour retrouvé un ancien du 80's Café ! Ce n'est pas la première fois, mais ça me fait toujours drôle de rencontrer un copain par hasard dans la plus grande ville du monde, de surcroit dans un pays où j'habite depuis moins de dix ans.
Un soir, j'ai croisé le regard d'un de ces vieux monsieurs que je connaissais de vue, je lui ai alors adressé le traditionnel petit signe de tête, et il est venu discuter avec moi. Il m'a demandé s'il pouvait me prendre en photo pour sa page web, une page spécialisée dans les bon-odori, où il rédige des comptes-rendus des évènements, et dresse quelques brefs portraits de personnes aperçues lors de ces soirées. Il m'a posé les questions classiques : mon nom, de quel pays je viens, depuis quand je danse, etc. Dès qu'il s'est éloigné, ma kanojo m'a dit que ce monsieur Yamazaki (c'est son nom) était assez célèbre dans le milieu, et que sa page était très consultée par les connaisseurs. "Toi aussi, tu vas devenir célèbre !" m'a-t-elle dit, ce qui m'a juste fait sourire. J'ai oublié cette anecdote, mais c'est elle, ma kanojo, qui m'a montré ensuite le site web où en effet, j'apparaissais, avec en légende de ma photo, les informations que j'avais transmises à M. Yamazaki. Mais pas de quoi faire de moi une célébrité ! Quelques temps plus tard, une autre tête connue, avec qui je n'avais jamais échangé, est venue me saluer en français. J'étais surpris, car alors qu'on s'était croisé un grand nombre de fois, je ne savais pas que ce garçon était français. Et comment lui a-t-il su que je l'étais ? "J'ai vu ton portrait sur la page de M. Yamazaki !" Ah ben si, alors : un peu célèbre quand même !😅

Il y a peu, dans un matsuri qui se déroulait en petite banlieue, dans un coin un peu paumé, et où j'étais à peu près le seul Occidental (en tout cas le seul à danser), il y a encore une petite mémé qui m'a demandé gentiment si elle pouvait me prendre en photo ! Mais bon, à priori, cette dame n'a pas de site web, je serais donc sacrément surpris qu'on m'en reparle !
Une autre fois, à nouveau dans un matsuri plutôt local, où viennent essentiellement les gens du quartier, moi et ma kanojo avons été appelés sur la yagura ! Je n'avais rien vu rien entendu, c'est ma kanojo qui m'a attrapé et en deux secondes je me suis retrouvé sur l'estrade. Il faut savoir qu'en général, on ne fait monter sur la yagura que les danseurs plutôt doués, afin de servir de modèles au public, et de donner le rythme. Sur le coup, j'étais assez gêné, mais j'ai pris le parti de jouer mon rôle en mettant un peu l'ambiance (la chanson s'y prêtait), en me tournant vers le public pour le chauffer un peu, c'était rigolo. J'ai toujours rêvé d'être un chanteur de rock : ben voilà, Ludo sur scène, c'est fait !✅😂
J'ai remarqué que certains danseurs, généralement parmi les plus expérimentés, disparaissaient en plein milieu des festivités, le plus souvent lors de la pause, ou que certains n'apparaissaient qu'à la seconde moitié. Ce qui se passe, c'est qu'ils font l'échelle, comme on dit ici : ils participent à plusieurs matsuri dans la soirée (cette expression, faire l'échelle, s'utilise aussi, par exemple, pour les groupes de salariés qui vont de bar en bar le vendredi soir). En effet, très souvent, la playlist d'un bon-odori est limitée à une dizaine ou une quinzaine de morceau. Après la pause, on reprend à zéro. Si vous avez envie de changer un peu, vous pouvez tout simplement aller ailleurs, puisqu'il y a toujours plusieurs bon-odori organisés çà et là le weekend. Moi aussi, cette année pour la première fois, j'ai fait l'échelle une fois. C'était amusant, en pleine soirée, de changer de décor et de se plonger dans une nouvelle ambiance.
On trouve encore quelques bon-odori en septembre, la saison n'est donc pas encore terminée pour moi. La fièvre du samedi soir ne me quitte pas.

Il existe un néologisme que seuls les pratiquants de bon-odori connaissent, mais que les autres comprennent facilement : on se désigne comme bon-odoreur. Petit à petit, année après année, j'entre dans le cercle des bon-odoreurs. On me reconnait et parfois, on loue mes soi-disant talents. Cependant et sincèrement, je ne me trouve pas aussi bon que ça, surtout quand j'admire la grâce et l'élégance de certains. Je ne suis pas naïf : ce n'est pas que je danse bien, mais que je danse pas trop mal pour un étranger.


vendredi 29 août 2025

Mes enfants

 Je n'ai pas d'enfant. C'est - et ça restera - le chagrin le plus douloureux de ma vie, la souffrance la plus déchirante, la plus secrète, peut-être, aussi. Cependant, grâce à mon métier, j'ai un peu l'impression d'avoir eu plusieurs dizaines d'enfants. Mais les enfants grandissent et, un jour, quittent le nid. Parmi ces enfants, deux viennent de me quitter. Je ressens une profonde tristesse très intime, mais il s'agit également d'une facette de ma vie professionnelle, et plus généralement de ma vie au Japon, et c'est pourquoi je vous en parle aujourd'hui.

Une fois de plus, remontons le temps. Depuis mon adolescence, j'ai toujours voulu être papa. Mon enfant, je l'ai imaginé, dessiné, chanté, je lui ai même donné un prénom. Et puis la vie s'est déroulée, et je l'ai vue se dérouler sans enfant, et sans la perspective d'en avoir. Les circonstances n'étaient jamais réunies, et mes pas m'ont conduit sur un autre chemin que celui de la paternité. Il a bien fallu finir par se rendre à l'évidence : je n'ai et je n'aurai pas d'enfant. J'entends déjà les rassuristes bien intentionnés mais naïfs qui seraient tentés de minimiser mon malheur en me disant que "ce n'est pas trop tard". Dans l'absolu, c'est tout à fait vrai, la paternité est encore physiquement possible pour moi, mais soyons honnêtes : j'ai 55 ans et ma compagne ne désire pas d'enfant. Je pense que c'est clair.
En travaillant dans une école primaire pendant cinq ans, j'ai vécu au quotidien avec des dizaines d'enfants, âgés de 6 à 12 ans. Il est sans doute inutile de dire à quel point des liens privilégiés se nouent, avec certains d'entre eux tout du moins. Aurais-je ressenti les choses autrement si j'avais été père ? Toujours est-il que ma frustration s'est transmuée en amour simili-paternel, et que le vide qui n'avait jamais été comblé dans mon âme a su constituer un écrin presque idéal pour accueillir l'amour que les enfants me portaient en retour. En quelques sortes, je les ai adoptés. Pas tous, bien entendu ; vouloir être père ne signifie pas vouloir être le Père Noël. Mais ma relation avec certains de ces enfants n'était pas moins digne et moins forte que celle d'un père pour ses enfants biologiques. C'est essentiellement pour cette raison que j'ai été si affecté d'être viré de l'école par Kim Jong Blob (cette personne a une infinité de surnom, celui-ci est le moins grossier).
Mais autant je n'avais pas le droit de communiquer avec les familles tant que j'étais salarié de l'école, autant plus aucune règle ne me tenait du moment que j'étais dehors. Je n'en ai pas seulement profité pour révéler aux parents ce qui s'était tramé dans leur dos durant ces années, mais j'ai aussi prolongé les contacts avec les enfants auxquels j'étais le plus attaché, et avec les familles les plus sympathiques. Du coup, certains enfants ont choisi de continuer à étudier le français avec moi. Du grand bonheur, d'autant plus que cette fois-ci, je n'avais plus de compte à rendre à la dictatrice.
Avec ces enfants, année après année, nous avons appris à nous connaitre, de mieux en mieux. J'ai suivi leurs progrès en français, pas à pas ; et même si certains d'entre eux ont pu occasionnellement suivre des cours ailleurs, prétendre que je ne suis pour rien au développement de leurs compétences ne serait pas seulement de la fausse modestie, ce serait tout simplement stupide. Comme un vrai papa, j'ai réellement participé à leur éducation, je les ai aidés à grandir. Et comme un vrai papa, je n'en suis pas peu fier. S'ils savaient, chacun d'entre eux, comme ils me rendent heureux. Je les ai connus tout petits, tout bout de chou, ce sont maintenant des ados. Rien qu'à évoquer ces souvenirs, ma gorge se serre.

Certains ont arrêté de suivre mes cours, parce qu'entrés au lycée, ils sont maintenant trop occupés. D'autres continuent, tout simplement. Certains ont repris contact avec moi après des années de silence. Un d'entre eux est parti pour un an en Nouvelle Zélande, mais continue les cours en ligne avec moi. C'est quelque chose d'assez courant d'aller passer sa première année de lycée à l'étranger, pour mûrir et pour améliorer son anglais.
Et puis il y en a deux, Sakura et Rio, que je suis depuis qu'elles ont sept ans, et qui ont commencé le français, comme tout le monde, par "Bonjour, je m'appelle..."
Je n'ai pas changé les prénoms, pourquoi faire ?
Deux parmi mes meilleurs élèves. Mes filles. De belles jeunes filles, maintenant. Elles ont tellement apprécié mes cours que l'année dernière, elles sont parties en France pour des vacances en famille d'accueil, histoire d'aller voir, d'aller vivre par elles-mêmes tout ce que je leur racontais sur mon pays. Quand elles sont revenues, elles avaient bien sûr fait de gros progrès en français, et étaient plus motivées que jamais.
Tellement motivées que quand il s'est agi, pour elles aussi, de partir à l'étranger, elles n'ont pas choisi un pays anglophone, comme la plupart des lycéens. Elles ont choisi la France. Comment exprimer, encore, ma fierté, sans être redondant ? Redondant, je sais que je le suis, comme un nouveau papa qui n'arrête pas de parler de son fils ou de sa fille qui vient de naitre. Je n'ai pas donné la vie, mais j'ai donné un peu de vie française. Je suis si heureux, je suis tellement comblé de les avoir emmenées jusque là. Même si, en dehors de cette réussite, il n'y avait eu que des ratés dans ma vie de prof - ce qui n'est pas le cas - , le chemin que j'ai ouvert à Sakura et Rio, la noblesse et la beauté de ce chemin, suffiraient à rattraper tout ce que je n'ai pas su faire. J'ai peut-être échoué beaucoup de choses dans ma vie, mais ça au moins, je l'ai bien mené.
Je suis fier et heureux comme un papa plus si jeune.
Mais voilà, les enfants grandissent et quittent la maison, n'est-ce pas. Elles sont parties pour dix mois, une année scolaire. Elles sont parties, et moi je ne les ai plus. Je ne les ai plus chaque semaine, pour leur apporter tout ce que je sais, et pour me nourrir en retour de ce que je voyais changer en elles. Me nourrir de la fierté, de l'orgueil peut-être, qu'elles m'autorisaient. Je suis triste comme un jardin sans fleur.
C'est peut-être un refus du temps qui passe, c'est peut-être la peur de me voir vieillir. Rationalisons, ça ne changera rien.


Bien sûr, j'ai encore de nombreux autres apprenants, y compris des anciens de l'école primaire, certains tout aussi attachants que mes deux filles. Heureusement, d'ailleurs ! Comme un vrai papa, je n'ai pas d'enfant préféré, et tous comptent. Reste que ces deux-là sont parties. Bien sûr, elles vont revenir, et peut-être même reprendront-elles l'apprentissage du français avec moi. Bien sûr, elles auront fait des progrès dont je pourrai à nouveau me gargariser. Mais tout cela efface-t-il ma tristesse d'aujourd'hui ? Vous savez bien que non. Il est inutile de fuir la tristesse, elle est là. Aujourd'hui, je ne veux pas aller bien, je veux savourer cette belle, grande et précieuse tristesse que la vie m'a offerte : mes enfants ont grandi.

jeudi 21 août 2025

La chasse au Snark

 Le billet d'aujourd'hui n'a absolument rien à voir avec le Japon, mais bien que ce blog s'appelle Ludovic au Japon, il n'y a pas que le Japon dans ma vie. Je dépose donc l'information ici et suivra qui veut, car je n'avais pas envie de vous embêter avec des emails individuels, je ne suis pas assez convaincu que ça intéressera beaucoup de monde.


Vous connaissez sans doute Lewis Carroll pour être l'auteur d'Alice au pays des merveilles. Parmi ses autres œuvres, il y en a une qui m'a toujours fasciné, intitulée La chasse au Snark. Il s'agit d'un poème (que Carroll désigne comme étant une "agonie") en huit chapitres (désignés comme "crises"). Ce texte est totalement surréaliste, et l'auteur lui-même affirmait ne pas en connaitre la signification. Du pur nonsens britannique ! Libre à chacun, donc, de l'interpréter selon son propre ressenti. Pour ma part, je préfère ne pas y rechercher un sens, et - autant que possible - accepter les images qu'il propose sans les intellectualiser.
J'aime ce texte pour sa truculence, son humour feutré et l'atmosphère absurde qu'il évoque, jouant avec notre imaginaire et brisant nos repères, jusqu'à créer un sentiment croissant d'angoisse oppressante.
J'ai eu envie de mettre ce texte en son. Je me suis donc enregistré, interprétant tous les personnages, et j'y ai ajouté des ambiances sonores, sans chercher à bruiter littéralement l'action. Je n'ai aucune compétence particulière dans ce domaine, et aucune prétention quant au résultat. J'ai juste fait ça pour m'amuser. Peut-être ce travail en amusera-t-il aussi certains d'entre vous, alors voilà, si ça vous tente, c'est là :
Chaque "crise" dure en moyenne quatre ou cinq minutes, mais je vous déconseille de tout écouter à la suite, vous risqueriez d'y perdre la raison !
C'est en libre accès, vous pouvez partager ce site avec qui vous voulez, et n'hésitez pas à me faire part de vos réactions si vous avez le courage d'aller jusqu'au bout.
Bonne chasse !

mardi 5 août 2025

Les dauphins de Miyakejima

 L'été dernier, j'avais réservé un séjour, qui a été reporté, puis finalement annulé, les deux fois pour cause de mauvais temps. J'ai tenté à nouveau ma chance cette année, avec la crainte d'une troisième annulation, suivant le proverbe français, "Jamais deux sans trois". Mais c'est finalement le proverbe japonais qui a prévalu, qui dit que "La troisième fois est la bonne".
Travailleur en freelance, partir en vacances est toujours délicat pour moi. Outre les frais nécessaires, le temps de repos n'est par définition pas du temps travaillé et donc sans rémunération. Il me faut par conséquent cravacher avant et après mes congés pour rester en équilibre financier. Or, ces derniers temps, le boulot s'est fait plutôt rare, les fins de mois très difficiles, et le fait de m'absenter tout sauf pertinent. Mais qu'importe, j'avais trop besoin de prendre le large. Les deux annulations de l'année dernière avaient notablement affecté mon moral, et quitte à connaitre des fins de mois encore plus difficiles, j'ai donc à nouveau réservé ce séjour qui me faisait rêver depuis longtemps : aller nager avec des dauphins. Quand je dis "depuis longtemps", ce n'est pas seulement depuis que je sais que cette opportunité existe au Japon, c'est depuis que je suis tout petit. Vous avez peut-être lu mon billet de l'année dernière, où je vous racontais le bonheur qui est le mien quand je me plonge dans l'eau, que ce soit d'ailleurs celle de la mer, de la piscine voire du bain. Voilà, c'est mon élément.

Bien entendu, mon enfance a été nourrie d'imaginaire delphinesque, de Oum à Flipper en passant par le plus sombre Jour du dauphin. Oserais-je citer en sus la chanson de Gérard Lenorman Gentil dauphin triste (
dites-moi en commentaire, s'il vous plait, si je suis le seul à me souvenir de ce sommet de mièvrerie de la chanson française) ? Bref, le capital sympathie de cet animal est commun, et il serait, me semble-t-il, superflu de m'étendre davantage sur ce sujet. Mais mon attirance pour le dauphin va plus loin que son rostre souriant et sa sociabilité avec l'espèce humaine. Je me souviens qu'au collège, alors que je préparais un exposé en cours de sciences naturelles, j'avais été marqué en découvrant l'ossature des nageoires pectorales, dans laquelle on retrouve clairement la structure des mains humaines. Dès lors, j'avais considéré le dauphin comme un cousin de l'homme, qui aurait évolué différemment, dans un autre milieu. Pour moi qui, déjà, me trouvais de grandes affinités avec Mark Harris (vous savez, l'homme de l'Atlantide), m'approcher des dauphins était un chemin naturel.

C'est ainsi que ce vendredi 25 juillet au soir, je me suis rendu à l'embarcadère de Takeshiba et que j'ai rejoint mon groupe, huit personnes plus l'organisateur, puis que nous avons 
pris la direction de la petite ile de Miyakejima, à un peu plus de six heures de navigation vers le sud. En montant à bord du bateau, j'ai senti l'air iodé, le voyage commençait. Durant la traversée de la baie de Tōkyō de nuit, j'inhalais à pleins poumons, comme pour me nettoyer de mon urbanisme quotidien. Les myriades de lumières rouges qui signalent les angles des tours de la capitale clignotaient à l'horizon telles des yeux menaçants dans une jungle électrique qu'il était temps de quitter. "Partir. Se rendre n'importe où" disait le poète. Voyageant à l'économie, j'avais opté pour la couchette la moins chère, et j'ai eu ce que j'avais demandé : en clair, on dort par terre. Du roots, comme quand je visitais le Vietnam ou la Thaïlande, quand j'étais jeune, mais loin de gâcher mon plaisir, cette couche spartiate m'a amusé en donnant au trajet une dimension exotique. De toute façon, je n'ai pas beaucoup dormi, j'étais bien trop excité, et j'ai passé une bonne partie de la nuit sur le pont, les yeux plongés dans l'obscurité de l'océan. Nous sommes arrivés à destination au petit matin, et avons rejoint notre auberge, constituée de petits bungalows individuels absolument charmants. Et que de verdure tout alentour ! Le bonheur en chlorophylle.

Au-delà de ce paradis apparent, Miyakejima est une ile volcanique, où les grosses roches noires et granuleuses témoignent de l'activité sismique, et on peut remarquer, çà et là, des bâtiments qui ont été détruits par des coulées de lave.
Le temps d'avaler un petit déj' et nous voilà partis à la plage pour une mise en jambe, une mise en palmes devrais-je dire. Je n'avais pas eu l'occasion de plonger depuis Okinawa, et j'avoue que sur le coup, la comparaison m'a laissé un peu sur ma faim, les poissons étant moins beau et surtout moins nombreux à Miyakejima qu'à Okinawa. Mais c'était jusqu'à ce que je voie des tortues de mer ! Autant les tortues terrestres me font plutôt un sale effet, autant je n'aurais pu imaginer que les tortues de mer puissent évoluer si majestueusement.

Retour à l'auberge pour une collation avant d'embarquer sur un petit bateau. Il faisait beau, la mer était calme, et j'ai vu quelques poissons volants. Je m'étais imaginé que pour trouver des dauphins, il fallait s'éloigner des côtes, mais en réalité les dauphins sont plutôt concentrés autour de Mikurajima, une autre petite ile située à une heure à peine au sud de Miyakejima. Là, nous avons repéré un groupe de dauphins et nous avons aussitôt plongé. Le groupe est passé tout près de nous, et nous avons pu les observer distinctement. J'ai ainsi vu passer ce que je suppose être une femelle avec son petit, quelle émotion ! Je m'attendais à une certaine interaction avec les dauphins, mais en fait, ceux-ci ont plutôt tendance à nous ignorer. On pourrait être déçu, mais c'est au contraire très sain : moins les dauphins modifient leur comportement en fonction de nous, et mieux c'est. Nous ne devons pas les perturber, ou le moins possible, il est d'ailleurs interdit de les toucher. Nous sommes ensuite remontés à bord, puis nous avons trouvé un autre groupe (ou était-ce le même ?) un peu plus loin, et hop, à nouveau tout le monde à la baille. La manœuvre s'est ainsi répétée une petite dizaine de fois. Parfois, on rate le groupe et on ne voit rien ; parfois, les dauphins passent à deux ou trois mètres de nous, c'est incroyable. Ce qui m'a le plus impressionné, c'est la taille des dauphins : en fait, c'est à peu près équivalent à la taille d'un homme. Je le savais peut-être avant, de façon froide et intellectuelle, mais se trouver dans le même espace, sans aucune séparation, permet de prendre conscience de la présence physique du cétacé. Autre détail : dès qu'on plonge la tête sous la surface, on entend clairement le cliquetis dont ils se servent pour communiquer.

Nous n'étions pas seuls sur le site, et j'ai compté six ou sept autres navires - et autant de groupes de plongeurs - qui pratiquaient la même activité que nous. Je me suis demandé dans quelle mesure les dauphins étaient vraiment indifférents à nos visites, ou bien si nous les dérangions. A une seule reprise, un groupe de dauphins s'est vaguement attardé et a semblé manifester une petite curiosité à notre sujet. Étaient-ils amusés ou agacés ? J'avoue avoir ressenti une certaine culpabilité à l'idée que nous pouvions troubler leur quiétude.
Mais en quittant le site, j'étais heureux. Mon vieux rêve était réalisé. J'avais nagé avec des dauphins. Pendant le retour vers Miyakejima, je souriais comme un benêt. Tourné vers l'horizon, j'ai été pris d'une envie de chanter, alors je me suis mis à chanter tout bas, tout ce qui me passait par la tête. Ma voix couverte par le bruit du moteur, personne ne pouvait m'entendre. Peut-être certains m'ont-ils vu. Je m'en fous.
En rentrant au port, nous sommes allés confier nos corps fourbus à l'eau bienfaisante du onsen. Le soir, barbecue à l'auberge, puis nous sommes allés à un matsuri pour assister à un feu d'artifice. Autant j'ai pu apprécier les feux d'artifice jusqu'à il y a encore quelques années, autant je les déteste maintenant. Entre les retombées polluantes et les nuisances sonores, l'impact environnemental est trop important pour être négligé. La journée avait été longue et chargée en émotions, et le soir dans mon bungalow, je me suis endormi comme une masse.
Heureusement que j'ai bien dormi, parce que le lendemain, nous nous sommes levés aux aurores pour remonter à bord de notre petit bateau et reprendre la direction de Mikurajima. Nous avons retrouvés les groupes de dauphins qui s'ébattaient le long des côtes, et comme la veille, nous avons effectué plusieurs plongées pour les observer. Ce jour-là cependant, les dauphins avaient tendance à passer en-dessous de nous, plus en profondeur, et j'ai eu le sentiment qu'ils nous fuyaient un peu. Je me suis dit qu'il était temps de leur dire au revoir, et j'ai pu remonter à bord sans me sentir le moins du monde frustré.
Retour à l'auberge pour rassembler ses affaires, aller au port pour embarquer, et long voyage retour vers Tōkyō, où nous sommes arrivés le soir. Rentré chez moi en rampant plus qu'en marchant, comblé et exténué, voilà, c'est fini. Dès le lendemain matin, je reprenais le travail, mes vacances étaient terminées.
Quelle conclusion tirer de cette expérience ? Je ne vais pas vous jouer la révélation mystique de l'homme à la rencontre de sa vraie nature, "un dauphin m'a dit", ce genre de choses. Je ne sais pas si j'ai appris quoi que ce soit, mais je suis simplement heureux d'avoir enfin pu accomplir ce vieux rêve. Il me reste des tas de choses à voir et à faire, au Japon et ailleurs, que le temps d'une vie humaine ne me laissera pas voir et faire. J'en accomplirai le maximum et tout cela sera très bien, mais quoi qu'il arrive, je suis en paix. Je n'ai plus de rêve car je les ai tous réalisés.

(ps : mon smartphone n'étant pas amphibie, j'ai intégré à ce billet quelques photos prises par l'organisateur lors de ce séjour, en particulier des photos sous-marines.)










jeudi 5 juin 2025

Lettre ouverte à mes amis japonais

 Mes chers amis japonais, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas...

Voilà presque une décennie que vous m'accueillez dans votre pays, et je vous en suis fort reconnaissant. De toute évidence, cette expérience est la plus forte de ma vie, elle m'enrichit d'une façon qu'il serait impossible de quantifier, me transforme comme peu d'expériences l'ont fait durant mes cinquante premières années, en ouvrant mon horizon et en élargissant à l'infini le champ des possibles. Vous m'avez apporté et vous continuez à m'apporter beaucoup, beaucoup plus que ce que j'aurais osé espérer.
Durant ces quelques années à partager votre vie quotidienne, votre culture, à savourez vos paysages et me nourrir de votre cuisine, à découvrir vos habitudes, vos habitudes partagées aussi bien que celles qui vous caractérisent individuellement, j'ai eu le temps de réfléchir et de remettre en cause ma propre culture, mes certitudes, j'ai eu de nombreuses occasions de questionner ma propre identité. Ma culture d'origine est si éloignée de la vôtre que chaque jour est pour moi un voyage, le plus beau des voyages, celui où on rencontre l'autre en même temps que l'on se rencontre soi-même.
Je mesure l'ampleur de ce qu'il me reste à découvrir et à tenter d'éclaircir. C'est une exploration sans fin, qui me procure autant de joie qu'elle m'oblige à l'humilité. Aussi, c'est en toute humilité que j'aimerais vous poser quelques questions. Beaucoup de questions, en fait. Pour avancer dans ma compréhension du monde, j'ai envie, j'ai besoin de vous comprendre davantage.
Car en effet, au fil des ans, les questionnements sans réponse qui ont pu émerger ne concernaient pas que ma propre personne, mais également votre peuple, vous tous, Japonais, en tant que groupe et en tant qu'individus.
Mais reprenons au début.
Pourquoi ai-je choisi votre pays pour m'expatrier ? Les raisons sont, cela va de soi, multiples et complexes, mais un des traits qui m'a fortement attiré dans votre culture est le rapport que vous entretenez traditionnellement avec la nature. De longue date, le Japon est enraciné dans un substrat bouddhiste et taoïste, deux courants de pensée tournés vers la quête d'équilibre, équilibre intérieur, le fait de se sentir en paix, et équilibre extérieur, dans un désir d'harmonie avec les autres, les autres étant ici les autres humains tout autant que les montagnes, les oiseaux, les pierres et le vent. Implantée sur les terres japonaises, cette relation à l'environnement propre à ces deux religions a pu s'enrichir d'une humilité et d'une vénération des éléments liées à la force des phénomènes naturels que sont notamment les séismes et les tsunamis.

Même si les religions ont pris moins de place dans la société actuelle, il résulte de cette histoire un culte de la nature encore nettement vivace et visible de nos jours. La pratique du hanami en est peut-être l'exemple le plus remarquable, mais il en existe tant d'autres. Ainsi, quand vous prenez votre bain quotidien, vous rejouez la purification qu'offrent les onsen, sources thermales jaillies des entrailles de cette mère nourricière. Le mont Fuji lui-même garde dans vos cœurs un caractère sacré. C'est jusque dans les konbini, supérettes pourtant bien indifférentes au sort des éléments naturels, qu'on retrouve le cycle des saisons, avec chaque mois des spécialités qui marquent le passage du temps, gâteaux à la patate douce en automne et glaces au melon en été par exemple.
Mais quelque-chose a changé.
Le monde a changé.
Nos modes de vie ont ravagé les ressources de la planète, et les émissions de gaz à effet de serre inhérentes à ces modes de vie ont déclenché un bouleversement du climat aussi fatal qu'à présent inexorable.
Certains, comme le neuropsychologue Sébastien Bohler, pensent que nos comportements responsables de ces changements sont dans la nature humaine. Notre striatum, une structure de notre cerveau liée au circuit de la récompense, nous pousserait à chercher la satisfaction immédiate au détriment du calcul à long terme. Ce serait donc la physiologie même de notre cerveau qui nous ferait consommer sans nous soucier des conséquences de cette consommation, afin d'obtenir un plaisir immédiat. Bien que cette théorie soit intéressante, elle est toutefois souvent contestée. D'autres, comme le passionnant Vincent Mignerot, pensent que la cause de nos comportements serait liée à notre capacité d'adaptation. Tout au long de l'évolution, les êtres humains ont pu acquérir la capacité biologique, probablement cognitive, d'abstraire les propriétés du réel et de symboliser des effets physiques, nous permettant de produire des outils planifiés. Ce serait grâce à cette compétence que, par exemple, nous aurions pu nous affranchir de la régulation entre les proies et leurs prédateurs, et nous développer en dominant les contraintes matérielles. En résumé, notre espèce s'est montrée tellement efficace à dominer les autres qu'elle en aurait ignoré les limites de sa puissance, ou plutôt qu'elle aurait transcendé ces limites.
Quels sont les résultats du développement de l'espèce humaine ?

Dans un premier temps, nous avons considérablement allongé notre espérance de vie, vaincu des maladies et des famines, étendu nos savoirs, amélioré notre confort. Nous avons créé des arts, des moyens de communication et de transport, des structures sociétales et des systèmes politiques destinés à entretenir cette dynamique.
Au milieu du 19e siècle, notre capacité à maitriser le monde matériel a connu un essor brutal avec la révolution industrielle, liée en grande partie à l'extraction massive du charbon. Grâce à cette source d'énergie, nous sommes alors passés d'une société artisanale à une société commerciale, ce qui nous a permis de pousser encore plus loin nos victoires sur les éléments, et de nous lancer dans la conquête spatiale, de créer le cinéma, l'anesthésie, le four à micro-ondes et le ski nautique.
Le problème, et c'est là où je veux en venir, c'est que tous ces acquis ont nécessité le prélèvement de matières premières, c'est-à-dire de morceaux de nature, comme par exemple des minerais, du bois ou de la graisse animale, et encore et toujours des sources d'énergie, comme le pétrole et l'uranium. D'autre part, la transformation des éléments utilisés a engendré de gigantesques sommes de déchets sous forme de pollution terrestre, atmosphérique et maritime. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là. Après la Seconde guerre mondiale, l'économie de marché a connu ce qu'on appelle désormais la grande accélération. Non seulement nous avons persisté à ignorer les conséquences de notre consommation, mais nous avons multiplié nos prélèvements et nos déchets à un rythme sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Quand je dis « nous », je parle du global nord, parce que les populations du global sud, bien que généreusement fournisseuses en ressources humaines et matérielles, n'ont tiré proportionnellement que peu de bénéfices de l'essor de cette économie. Et ironiquement, ce sont elles qui subissent en premier lieu les effets néfastes de notre insatiable demande.
Les effets néfastes ? Tout le monde les connait, maintenant : sécheresses, inondations, glissements de terrains, etc. Vous pourriez être tentés de croire que ces catastrophes sont naturelles, et que nos modes de vie n'ont rien à voir avec les problèmes environnementaux qui se multiplient. Détrompez-vous. Nombreux sont les auteurs, scientifiques ou économistes, à l'instar de Kôhei Saitô, à avoir démontré de façon précise et sans équivoque que c'est notre époque industrielle qui nous pousse à produire toujours plus, et donc à détruire et polluer toujours plus. « Faire croitre l'économie pour augmenter les profits est l'essence même du capitalisme. » (Kôhei Saitô) C'est bien la croissance qui est la cause de la destruction du vivant, ou plus exactement de l'accaparement du vivant par une toute petite partie de la population, ceux qu'on désigne souvent comme les 1%, c'est-à-dire les 1% les plus riches. Il y a fort longtemps, Lao-tseu nous mettait déjà en garde contre ceux qui contrôlent le marché : « Rejette l'industrie et son profit, les voleurs et les bandits disparaitront. » Notre économie ne vaut que dans le profit croissant et à court terme, et le réel danger est que cette production exponentielle d'objets de consommation se déroule plus vite que, d'une part, le renouvellement des matières premières nécessaires à leur fabrication, et d'autre part, la capacité d’absorption des rejets par les écosystèmes. En bref, les ressources diminuent et la pollution augmente.

Sous quelle forme se manifeste notre pillage de l'environnement ? Pour donner un exemple concret : l'année dernière, la gouverneure de T
ōkyō, Yuriko Koike, a autorisé la destruction d'une partie de la forêt de Jingu Gaien, poumon vert de la capitale, pour y construire des immeubles et des stades de rugby et de base-ball. Comme le rapportait un article de Ouest France du 10 octobre 2024, le compositeur Ryûichi Sakamoto, peu avant sa mort, a même adressé une lettre à Mme Koike pour lui demander de renoncer à sacrifier ce morceau de nature empreint de spiritualité aux yeux des Tokyoïtes. En vain : les travaux ont commencé. Il n'y a pas que dans la capitale que la végétation disparait, le massacre est similaire à Nagareyama, où j'habite, et je n'ai aucune raison de croire qu'il s'agit là de cas isolés. Les scientifiques, comme le professeur Takako Yamaguchi de l'université Hosei, ne cessent pourtant de nous avertir que seuls les espaces boisés sont à même de modérer les vagues de chaleur qui, c'est inéluctable, seront de plus en plus fréquentes et mortelles, ainsi que les pluies diluviennes auxquelles nous devons nous préparer. Il faudrait stopper l'artificialisation des sols et végétaliser le plus possible les espaces urbains. Dès lors, pensez-vous que la décision de Mme Koike soit correcte ?
Mais il serait un peu trop facile d'accuser nos responsables politiques, car leur réponse est toute trouvée : s'ils prennent des décisions mortifères, c'est simplement parce qu'il y a de la demande. Même s'il s'agit là d'une immonde mauvaise foi, puisqu'en vérité les citoyens ne demandent pas qu'on rase leurs forêts, et que ces opérations immobilières servent avant tout les intérêts de grands groupes industriels, cela ne nous empêche pas de nous remettre en question.
Au Japon, la natalité est en baisse depuis plusieurs années. Par ailleurs, et c'est une des conséquences de cette baisse, on trouve plus de huit millions de maisons inoccupées. Malgré cela, vous continuez à faire construire des maisons neuves, qui nécessitent d'arracher à la Terre une quantité phénoménale de bois et de granulats. Je comprends et je ne dénigre aucunement le besoin de reconnaissance sociale qui vous pousse à dépenser votre argent en vous conformant à des schémas culturels qui vous ont été légués. Mais avez-vous conscience du massacre dont vous vous rendez complices en opérant de tels choix ? Je suis sincèrement navré de vous l'annoncer, mais le temps de la maison quatre murs est révolu. Vous pensez certainement qu'une maison neuve apportera davantage de bonheur que de désagréments à votre famille. Mais quand vos enfants réaliseront l'ampleur de la catastrophe à laquelle vous avez participé, quand ils réaliseront le fossé qui sépare le quotidien dont notre génération a bénéficié et celui que leur génération subira, il y a peu de chances qu'ils vous pardonnent. Pourrez-vous alors les regarder droit dans les yeux et leur dire : « J'ai fait ce choix pour ton bonheur » ? Vos enfants vous riront au nez, s'ils ont encore le cœur à rire. Alors, afin de satisfaire vos besoins de reconnaissance sociale de façon responsable, et tant qu'à vous endetter sur quinze, vingt ans ou plus, ne serait-il pas plus judicieux d'investir dans des maisons déjà existantes, quitte à les rénover ? Cela serait largement moins délétère pour le vivant, et ne vous apporterait pas moins de bonheur. Je sais que c'est ce même besoin de reconnaissance sociale qui vous incite à acheter des voitures aussi énormes que des corbillards, qui sont préjudiciables à la vie aussi bien de par leur fabrication que par leur entretien. Mais ces valeurs culturelles, dont vous avez hérité, cela vous semble-t-il à ce point insurmontable de les remettre un tant soit peu en cause ? Ce faisant, pourtant, vous redeviendriez maitres de vos vies.

Car si jusqu'ici, c'était surtout le global sud qui était touché par la catastrophe environnementale, le global nord ne peut plus l'ignorer : les incendies de grande ampleur au Canada, à Los Angeles ou à
Ōfunato, dans le nord-est du Japon, ne sont que des exemples parmi les plus voyants, qui montrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, comme le rappelait un article paru dans le Japan Times du 11 janvier 2025. Les kokusho, vagues de chaleur caniculaire, se multiplient, chaque année battant le record de l'année précédente. Lors de l'été 2024, le plus chaud depuis que les relevés de température existent au Japon, 123 personnes sont mortes rien que pour le mois de juillet et rien que pour la ville de Tōkyō. La chaleur extrême a également un impact sur ce que l'on mange, et chacun d'entre nous a pu amèrement constater l'augmentation du prix du riz, due en partie aux mauvaises récoltes (mais pas seulement, j'y reviendrai plus bas). Par ailleurs, c'est jusqu'au goût et à la qualité du riz qui sont affectés de manière négative. En outre, notre tendance à la surconsommation n'engendre pas que le dérèglement climatique, elle provoque aussi la chute de la biodiversité. Nous détruisons les insectes pollinisateurs en détruisant leur habitat, les fruits et les légumes dont nous nous nourrissons ont de plus en plus de mal à pousser, et pour palier ce problème nous les arrosons d'intrants tous plus néfastes les uns que les autres pour la santé. Même les vitamines disparaissent de nos fruits. Notre nourriture devient du poison, comme l'a fort bien démontré Laure Ducos dans son livre Les frites viennent des patates. L'agro-industrie ne nous nourrit pas, elle nous tue. Quant à l'eau que nous buvons, des ingénieurs comme Charlène Descolonges ne cessent de nous informer de sa mauvaise qualité à cause des résidus chimiques et des micro-plastiques qu’on y trouve. Kôhei Saitô précise qu'il est estimé que chaque semaine, nous ingérons l'équivalent d'une carte de crédit en plastique.
Pour en revenir au réchauffement climatique en soi, des études ont montré qu'il représentait de surcroît des dangers psychiatriques, favorisant dépressions, suicides et homicides. Un futur de plus en plus violent, est-ce ce que nous désirons ? Un article du Japan Times du 10 janvier 2025 relatait que les perspectives de respecter les accords de Paris s'éloignent, et que le réchauffement s'accélère au-delà des prévisions. Même la mer n'échappe pas aux vagues de chaleur, à tel point qu'on parle à présent d'incendies sous-marins. Quand on vit sur une ile, il y a de quoi s'inquiéter.
Mais vous inquiétez-vous vraiment ?

J'ai souvent eu l'occasion d'aborder ces thèmes avec vous, et j'ai parfois eu comme réaction de votre part que tout cela ne vous intéressait pas beaucoup. Vous me dites qu'il y a des sujets plus importants, comme par exemple l'économie. Mais l'économie est intrinsèquement reliée à ces thèmes, puisque comme le précisait un article du Japan Times daté du 12 janvier 2025, les couts liés au changement climatique au Japon sont parmi les plus élevés au monde. Cet article rappelait en outre que si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivaient sur la trajectoire actuelle, le Produit Intérieur Brut connaitrait une chute vertigineuse, d'autant plus terrible qu'elle ne serait pas anticipée. Le Japon va sombrer dans la pauvreté. Par ailleurs, les couts des assurances ont déjà augmenté, et aucune inversion de la tendance ne se dessine. Plusieurs régions risquent même fort d'être déclarées inassurables.
Cela ne vous inquiète pas ?
Certains d'entre vous me disent que les tensions internationales sont plus importantes que les questions écologiques. Mais vous n'êtes pas sans savoir que les enjeux des tensions internationales sont toujours liés à des problèmes de ressources. Or, les ressources dont nous avons besoin pour faire fonctionner la société actuelle fondent comme neige au soleil, comme le répètent depuis des années des spécialistes du domaine comme Philippe Bihouix. Que ce soit au sujet des terres rares, nécessaires aux nouvelles technologies, et dont la Chine détient le quasi-monopole, ou des gisements de pétrole ou de gaz naturel (présents dans les iles Senkaku, sur lesquelles lorgne la Chine), que ce soit les ressources de l'Ukraine, déjà à feu et à sang, les tensions sont là et c'est bientôt la planète entière qui va s'embraser. Alors vraiment, on s'en fout ?
Certains d'entre vous reconnaissent qu'ils sont inquiets mais me disent qu'on ne peut rien y faire. Si, on peut faire des choses, et soyez bien assurés que pendant qu'on ne fait pas, les politiciens font.
Un article du Japan Times du 13 janvier 2025 expliquait que le gouvernement japonais n'avait nullement l'intention de se passer des énergies fossiles. Un article du Monde daté du 18 février 2025 précisait que cependant, le Japon s'engageait à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 60%, annonce qui constituait une source de grande autosatisfaction de la part du gouvernement. Gouvernement qui oubliait au passage que pour respecter les accords de Paris, il faudrait réduire ces émissions de 81%. L'article détaille également que si la consommation d'électricité est en hausse, c'est en partie à cause de l'énergie requise pour faire tourner l'Intelligence Artificielle, et de la production de semi-conducteurs... qui une fois sur le marché consommeront encore plus d'énergie.
Pour faire baisser les émissions, vos élus misent sur le nucléaire, mais est-ce bien raisonnable dans le pays des tsunamis et des tremblements de terre ? Vous reprendrez bien un peu de Fukushima ? Même dans le camp conservateur, des voix commencent à s'élever pour rejeter le nucléaire.
Alors certes, des efforts sont faits, comme dans la ville de Chiba, ainsi que le relatait un article du Japan Times du 2 mars 2025. Mais l'auteur de cet article expliquait que ces efforts relevaient surtout de la communication et du bruit politiques, et étaient quoi qu'il en soit insuffisants. Nous n'y arriverons pas comme ça.

Pendant ce temps, les stocks de riz diminuent, à tel point que le gouvernement n'a plus d'autre choix que de puiser dans les réserves nationales, destinées normalement à faire face aux situations de crise. Comme je le disais plus haut, les prix augmentent, mais paradoxalement, les revenus des agriculteurs baissent.
Encore une question : où va l'argent ? Un article paru dans Médiapart le 1er avril rapportait une manifestation d'agriculteurs ayant eu lieu le 30 mars dernier à Tōkyō, en avez-vous entendu parler ? Quand j'en ai discuté avec vous, vous ne le saviez pas. Ces mouvements sociaux révèlent l'incompétence du gouvernement à comprendre et à faire face à la situation. Nobuhiro Suzuki, professeur à l'université de Tōkyō et auteur de Le Japon sera le 1er pays à mourir de faim, alerte depuis des années sur le taux d'autosuffisance très bas du pays. En cas de guerre (très probable avec la Chine, au sujet de Taïwan ou des iles Senkaku comme je le disais plus haut), le Japon n'aura peut-être pas le moyen d'être ravitaillé.
Mais qu'on se rassure : le gouvernement est en train de mettre en place une agence pour faire face aux phénomènes extrêmes. Ce sera sans doute très utile, mais plutôt que de réparer les dégâts et d'intervenir en cas de désastre, ne serait-il pas plus prudent d'anticiper et d'empêcher les catastrophes de se produire ?
Est-ce que vous avez vraiment confiance en vos dirigeants, pensez-vous qu'ils vous permettront de finir vos vies dans des conditions qui ne soient pas déplorables, et qu'ils permettront à vos enfants de manger à leur faim et vivre en sécurité ?
Qu'est-ce que nous pouvons faire ? Faire payer les sacs en plastique dans les konbini ne suffira pas à inverser la dynamique funeste, pas plus que d'installer des mangeoires à oiseau sur votre balcon (d'autant plus qu'on m'a informé récemment que c'était interdit). Ce n'est pas avec de petits aménagements à l'intérieur du système actuel que nous pourrons sauver l'humanité d'elle-même, c'est tout le système qu'il faut changer.
J'avoue que quand j'ai commencé à me pencher sur ces questions, il y a quelques années, j'ai été tenté d'être partisan d'une dictature verte. Considérant d'une part, l'urgence de la situation, et d'autre part, l'inertie de la population, j'avais le sentiment que seules des mesures fortes et coercitives étaient à même de nous procurer un semblant d'espoir. Mais plus j'étudie ces thèmes, et plus je comprends que la justice environnementale ne peut exister sans une justice sociale, dans laquelle doivent être impliqués les citoyens. C'est à nous de décider ce que nous voulons faire de nos vies.

Et afin que ces choix se fassent de façon pertinente et éclairée, la priorité est de s'informer.
Même si j'ai cité ci-dessus de nombreux articles, je reconnais que les journaux japonais restent timides sur le sujet. S'ils en parlent si peu et si mal, c'est parce qu'aucun journal japonais n'ose aborder le fond du problème, à savoir que c'est le consumérisme qui est responsable du drame que nous vivons. Et si aucun journaliste n'aborde le sujet sous cet angle, c'est que les journaux japonais sont tous financés par de grands groupes industriels. Pour eux, affirmer que le libéralisme est la cause de la catastrophe reviendrait à se tirer une balle dans le pied. D'ailleurs, le Japon a beau être une démocratie, il est classé 66 concernant la liberté de la presse (la France est 25, ce n'est pas glorieux non plus). D'après ce que je sais, il existe très peu de médias indépendants au Japon, la presse ne peut donc que se contenter d'entretenir le système actuel, en maintenant dans l'opinion générale l'idée que seule la croissance pourra nous permettre de trouver « des solutions ». Par ailleurs, ceux qui, sur YouTube par exemple, font entendre une voix alternative, ont rapidement tendance à tomber dans les méandres des théories du complot et l'ignorance des réalités scientifiques. Moi-même, conscient de mes biais, je me force à chercher des informations dans des médias qui vont à l'encontre de mes convictions, afin de m'obliger à prendre du recul. Qu'est-ce que j'y trouve ? Que le réchauffement climatique serait dû à l'éruption d'un volcan en Indonésie, et que, Dieu ne nous permettant pas de connaitre l'avenir, nous devons rester prudents quant aux projections scientifiques. Dans le même ordre d'idées, je ne sais pas sur quel site une de vos compatriotes est allée chercher l'information qui dit que si les Japonais arrêtaient la chasse à la baleine, lesdits cétacés videraient la mer de ses poissons en les mangeant tous ! En France, une telle contrevérité scientifique ferait rire, mais cette Japonaise semblait croire dur comme fer à ce qu'elle avait lu. Consulter des informations alternatives est donc important, mais il est tout aussi fondamental de multiplier les sources afin de faire le tri.
Régulièrement, la JMA, Agence Météorologique Japonaise, tire le signal d'alarme sur la situation mondiale, mais est-ce vraiment relayé ? Entendez-vous des réactions des politiques ? Des journalistes ? Des scientifiques ? Des citoyens ?

Alors une fois de plus, que faire ? Plusieurs moyens d'action sont à notre disposition. Le premier est d'aller voter, car même si aucun personnage politique n'est à la hauteur des enjeux (pas plus au Japon qu'en France, d'ailleurs), un vote peut marquer une tendance, manifester des préoccupations. Mieux que voter : se présenter aux élections. Interpellez vos élus, par écrit ou quand ils viennent parader dans les évènements publics. Vous pouvez aussi vous rapprocher d'une association, militer. Allez voir du côté de Greenpeace ou de Friend Of The Earth par exemple, à vous de faire votre choix en fonction de votre sensibilité. Vous pouvez participer à des jardins collectifs, organiser des discussions, intervenir dans des écoles, longue est la liste des moyens de résister.
Mais surtout, nous devons « changer de boussole », pour reprendre le titre d'un livre de Olivier De Schutter. La boussole actuelle, c'est le PIB, érigé en religion à tel point qu'il semble impossible de remettre en cause cette économie. Elle nous a apporté tellement de bonheur, comment y renoncer ? Ce ne sont pas les vieux croulants qui nous dirigent qui vont comprendre en premier que le monde dans lequel ils ont grandi et se sont épanouis est terminé.
En France, quand les citoyens achètent des choses, on dit qu'ils « ont le moral. » Voilà qui m'a toujours laissé dubitatif. N'y a-t-il pas d'autre moyen de s'épanouir qu'en dépensant son argent ? Passer du temps avec ses proches, marcher en forêt, jouer de la guitare, faire du bénévolat... Nous devons repenser notre rapport à la société de consommation en nous demandant, à chaque achat : en ai-je vraiment besoin ? Bien sûr, c'est difficile de résister, tout étant fait pour contrôler nos comportements, de la publicité à l'obsolescence programmée en passant par les algorithmes des réseaux sociaux. Et si nous n'avons pas vraiment besoin de consommer, le système se charge alors de créer des besoins. Difficile de résister, mais pas impossible. A-t-on besoin d'un robinet qui se déclenche tout seul quand on approche les mains (réellement vu dans une maison japonaise), ou est-ce du superflu ? Préfère-t-on être servi par un humain ou par un robot ? (précision pour mes compatriotes français : oui, les robots qui font le service se multiplient dans certains restaurants japonais).
Pour terminer, je voudrais vous poser une dernière question : avez-vous conscience que les carottes que vous achetez au supermarché sont gratuites ? Ce que vous payez, c'est le salaire de l'agriculteur (un tout petit peu), le transport et la logistique, le salaire du caissier (un tout petit peu) et la marge du supermarché (énorme). Mais la carotte en elle-même est gratuite. Que cette carotte nous aide à méditer.


Il y aurait encore beaucoup de thèmes à aborder mais je vais m'arrêter ici. Je n'ai pas parlé, par exemple, du sujet de la géo-ingénierie, que certains considèrent comme un espoir, alors qu'elle ne constitue qu'une menace supplémentaire à l'équilibre planétaire. Je n'ai pas non plus traité du techno-solutionnisme, car j'avais déjà évoqué ce sujet lors d'un précédent billet sur ce blog, de même que la monétisation des communs (comme l'eau) qui n'aboutirait qu'à une sordide fuite en avant. Je n'ai pas parlé de la montée du niveau de la mer qui, au Japon, est – ou tout au moins devrait être – un fort sujet de préoccupation, T
ōkyō risquant littéralement de disparaitre sous les eaux, un peu comme dans le célèbre roman La submersion du Japon. Je ne suis pas ingénieur ou économiste, je ne suis spécialiste d'aucun des domaines dont j'ai voulu vous parler dans cette lettre. Je ne suis qu'un citoyen inquiet, qui brule d'envie de vous connaitre et vous comprendre davantage. Un petit Français qui vit au Japon.
On pourrait très bien me reprocher mon ton moralisateur, alors que moi-même je n'agis pas. C'est vrai, mon statut d'étranger limite fortement mes moyens d'action. Je ne peux ni voter ni me présenter aux élections. Ma voix porte très peu, j'en ai bien conscience. Par ailleurs, je ne prétends aucunement être parfait. Par exemple, pour faire traduire ce texte, je n'ai eu d'autre choix que d'utiliser Chat GPT, ce qui va plutôt à l'encontre de mes idéaux. A ma minuscule échelle pourtant, j'essaye simplement d'être responsable, mais ce n'est pas mon propos aujourd'hui d'établir une liste de ce que je fais pour tenter d'être en accord avec mes idées. Mon seul pouvoir, ma seule force, c'est d'ouvrir le débat avec vous en vous adressant ces mots, aussi humblement que possible. Évidemment, ce que j'ai écrit dans cette lettre est tout aussi valable pour mes amis français, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas.
Chers amis japonais, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas, je vous ai posé beaucoup de questions, se trouvera-t-il parmi vous quelques personnes qui accepteraient d'y répondre ? C'est à vous de prendre la parole.
Très chaleureusement,
Ludovic