Début aout, je suis allé passer deux semaines en France. Cela faisait plus de trois ans que je ne m'y étais pas rendu. Je ne vous raconterai pas tout mon voyage, mais je me contenterai de vous livrer les impressions d'un Français expatrié sur son propre pays. L'occasion de constater les effets du temps et de l'éloignement...
Je ne suis pas japonais, et je ne le serai jamais, mais il faut croire que je me suis bien habitué à la vie japonaise, si j'en juge par le nombre de surprises que j'ai eues en revenant sur ma terre natale. Voici une liste, en vrac et non exhaustive, des choses que je ne connaissais pas sur mon propre pays, ou que j'avais oubliées, des choses qui ont changé depuis que j'ai quitté la France, que ce soit des changements factuels, ou bien des changements dans ma perception. Le tout accompagné de photos, elles aussi en vrac, prises lors de mon périple.
Dès l'aéroport, c'est une évidence : tout le monde est tatoué ! Il faut dire que les deux dernières fois où j'étais venu, c'était en hiver, quand les corps sont couverts, et que je n'avais pas pu remarquer toutes ces images qui ornent bras et jambes. Je ne suis pas choqué puisque je suis moi-même tatoué, comme à peu près tous les membres de ma famille, sans parler de ma nièce qui à elle seule comptabilise une dizaine de tatouages. Mais au Japon, le tatouage est la marque des yakuzas, et c'est pourquoi il est plutôt mal vu. Beaucoup de onsen vont jusqu'à interdire l'entrée aux personnes tatouées. Les tatouages sont donc très rares. Quelle surprise de voir à quel point ils se sont banalisés en France ! Par contre, au Japon, la tendance est aux tatouages éphémères. Une évolution ou un simple effet de mode ? Difficile à dire : les choses changent tellement vite, ici aussi.
Je n'ignorais pas les pics de chaleurs que la France a connu cet été, je l'avais lu dans les journaux, mais franchement, je m'attendais à pire, surtout en écoutant les Français s'en plaindre. Au Japon, la température n'est pas forcément plus élevée, mais le taux d'humidité est tellement important que le ressenti est beaucoup plus fort. Mes chers compatriotes, vous ne savez pas ce que ça veut dire que d'avoir chaud ! Je vous promets, ce que j'ai vu chez vous, c'est l'été, tout simplement, alors que chez moi, c'est juste comme si la rue était un hammam, et encore, j'ai connu des hammams plus frais.
Dans les escalators, les gens se placent à droite, probablement par mimétisme spontané de la circulation automobile. Mais au Japon, on roule à gauche, et on se place donc à gauche dans les escalators. J'avais déjà pu remarquer ce décalage quand mon père était venu me voir au Japon, mais cette fois-ci, il a fallu que je corrige cet automatisme sur moi-même.
Alors que je suis loin de parler couramment le japonais, l'immersion en terre nippone crée tout de même des réflexes. Ainsi, je me suis surpris, à plusieurs reprises, à commencer mes phrases en japonais, en particulier lorsque je m'adressais à des commerçants. J'espère quand même avoir évité l'effet Jean-Claude Van Damme (vous savez, le cocaïnomane aware belge qui se prend pour un Américain au point d'en oublier sa langue maternelle).
Au Japon, on enlève ses chaussures pour pénétrer chez quelqu'un. C'est un réflexe, tout le monde le fait. Même l'ouvrier qui vient installer la clim' chez vous se déchausse avant d'entrer, il serait sacrément grossier de faire autrement. De plus, on trouve toujours une paire de chaussons à l'entrée des toilettes, chaussons qui ne doivent servir que dans ce lieu. En France, la plupart du temps, c'est un peu comme on le sent. La dernière fois que j'étais venu, c'était avec ma compagne japonaise, et elle avait été très déstabilisée de voir que dans un même espace, certaines personnes pouvaient garder leurs chaussures alors que d'autres étaient en chaussons ou en chaussettes. Cette fois-ci, j'étais seul, mais ce regard, je me suis rendu compte que je l'avais intégré. A mon tour, je passais mon temps à me demander si je devais enlever mes chaussures ou pas. A chaque fois que j'allais aux toilettes en particulier, j'avais le réflexe de chercher où étaient les chaussons. Et puis tant que je parle des toilettes : la lunette froide, ça aussi c'est un détail que j'avais oublié.
Dans les magasins japonais, les prix sont indiqués hors-taxes, et il faut toujours prévoir que le total sera légèrement supérieur à la simple addition de tous les prix. Quand je faisais mes achats en France, il y avait souvent une demi-seconde, au moment de passer en caisse, où je me demandais pourquoi on me demandait de payer le prix indiqué !
A l'époque où je vivais en France, quand on voulait prendre un rendez-vous chez le médecin, on lui téléphonait et on voyait ça directement avec lui ou sa secrétaire. D'après ce que j'ai cru comprendre, ça ne marche plus comme ça ! Vous devez prendre rendez-vous sur Doctolib, c'est ça ? Je crois que si un jour, je revenais habiter en France, il me faudrait un temps d'adaptation, parce que je me sentirais perdu comme... comme un Français qui arrive au Japon !
Même la façon d'acheter un billet de train a changé ! Au moment de la réservation, vous devez donner votre nom et votre adresse email, et on vous attribue un siège, fini le placement libre. Je ne critique pas, mais c'est juste que c'est nouveau pour moi et que je ne sais plus comment m'y prendre même pour ces simples démarches de la vie quotidienne. C'est jusqu'à la forme du billet de train qui a changé. Et à propos du train : j'ai dû faire le trajet entre Rouen et Paris des milliers de fois dans ma vie. Je m'étais imaginé que cette fois, j'étais en terre connue, que j'allais retrouver tous mes repères, tous mes souvenirs. Bon sang, non, je ne reconnaissais rien ! Tout a tellement changé ! Au fur et à mesure que le nouveau paysage se déroulait devant mes yeux, je réalisais que bien évidemment, le temps ne s'était pas figé en mon absence. En France aussi, la vie a continué, et aujourd'hui, je peine à reconnaitre la France de mon enfance... Et puis, pour finir au sujet du train : beaucoup plus cher qu'autrefois et beaucoup plus lent, c'est quoi ce délire ?!
Mais en France, il y aussi des choses qui n'ont pas changé, et que j'étais content de retrouver. Dans cette catégorie, la première chose qui me vient à l'esprit, c'est la beauté des paysages de Dordogne. J'en gardais un souvenir éblouissant et je n'ai pas été déçu. Ce qui a changé, c'est que j'ai passé mon temps à prendre des photos, les yeux pleins d'étoiles, comme... comme un touriste japonais !
Ah, et le fromage français ! Je m'en suis fait une véritable cure, c'était orgiaque, indécent ! Et le pain, les croissants ! Et le flan ! Et la gastronomie du Périgord ! Fatal : en deux semaines, j'ai pris trois kilos. On va dire trois kilos de bonheur, mais quand même, dès mon retour chez moi, sport et régime obligatoires.
Encore une anecdote, en vrac : ma visite à Carrefour. Oh, miracle, je pouvais lire les étiquettes ! Je comprenais tout ! Et puis surtout : je reconnaissais beaucoup de produits qui faisaient parti de mon quotidien, et qui sont, on s'en doute, totalement sortis de ma vie. Je n'ai pas résisté à l'envie de m'acheter mon cher "gel douche surgras Cadum au beurre de karité" (et je manquais de place dans mon sac à dos pour y glisser le même version "noix de coco" !). Son parfum sur ma peau m'a pratiquement fait l'effet d'une madeleine de Proust. Tous ces produits de toilette aux parfums que j'adore (du lait après-soleil au monoï !), on ne les trouve pas au Japon, alors si vous manquez d'idée de cadeau pour quand vous viendrez me voir, fini les bouquins, de la simple crème hydratante fera mon bonheur !
Nan, je déconne : les bouquins, j'en ai acheté une dizaine, et c'est, là encore, la place dans mon sac qui m'a obligé à me limiter. J'ai beau avoir trouvé un bon rayon de livres français dans une librairie de Shinjuku, c'est pas la Fnac non plus, alors là, je me sentais comme... comme un enfant au rayon jouets en pleine période de Noël.
En deux semaines, j'ai littéralement fait le tour de France : Paris, Neuilly-Plaisance, Grenoble, Gap, Pertuis, Marseille, la Dordogne, Rouen et retour à Paris. Rouen et Paris n'ont pas trop changé, et j'ai retrouvé des souvenirs à chaque coin de rue. Pas vraiment de tout repos en tout cas, surtout qu'au milieu de tout ça, j'ai réussi à glisser des cours en ligne pour ne pas perdre contact avec mes apprenants (et pour ne pas perdre trop d'argent, aussi). J'ai tout de même pu voir quelques amis, et j'aurais tellement aimé en voir d'autres. Mais cette fois-ci, la priorité était à ma famille, et je suis vraiment heureux de m'être posé au calme parmi les miens. Malgré tous les changements, il y a des repères, des racines, sur qui on peut toujours compter.
Pourtant, je dois avouer que parfois, le fait de me sentir perdu là où je me suis senti chez moi pendant plus de 40 ans, ça m'a fichu un petit coup au moral. Ce trajet Rouen/Paris, surtout, m'a remué. Ca me semble clair, maintenant : pour moi, la France, c'est du passé. Je veux dire : c'est mon passé. Un beau passé, un passé qui n'est pas passé inaperçu, mais j'ai tellement trouvé mon équilibre au Japon que c'est bien au Soleil Levant que j'apprécie mon présent, voire même que j'envisage mon futur, si tant est que je pense à mon futur.
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