dimanche 30 septembre 2018

Un bol de verdure à Hakone
En train, Hakone se trouve à peine à deux heures de Tôkyô, ce qui en fait un lieu privilégié pour passer un weekend dépaysant sans trop s'éloigner de la capitale, et les touristes, japonais et autres, s'y dirigent en masse dès qu'ils ont besoin de prendre le vert. Moi-même, je viens de m'y rendre pour la troisième fois depuis que je vis au Japon.
La première fois, c'était juste pour une journée, il y a deux ans exactement, et je vous l'avais raconté ici. La deuxième fois, c'était pendant les vacances de printemps, et j'y avais visité deux musées, comme je vous le racontai ici. Cette fois-ci, j'avais surtout envie de prendre l'air pour, tel un Japonais, mettre un peu à l'écart les tracas de la vie quotidienne (non, je ne vous parlerai pas de mon travail aujourd'hui !😩).
Tout d'abord, je suis retourné à Ôwakudani voir les fumerolles de soufre s'échappant de la montagne. C'est toujours aussi impressionnant. Cette fois-ci, j'ai pu gouter aux œufs durs cuits, si j'ai bien compris, directement à la chaleur des émanations volcaniques. La coquille devient toute noire, mais après quelques heures, elle prend des reflets mordorés. On mange ces œufs encore chauds, le parfum est subtil et délicieux, et en plus il parait que c'est bon pour la santé. Après, bien sûr, je n'ai pas résisté à l'envie d'une glace noire (elle aussi, cuite sur le volcan ?!😮), dont le gout n'a rien de particulier, c'est juste pour le délire. Comme le site est en altitude, j'ai aperçu le mont Fuji (à cette saison, on ne le voit pas depuis Tôkyô). Bref, une visite qui rafraichit bien la tête, parfaite pour ouvrir ce weekend.
Hakone, ce n'est pas vraiment une ville comme on l'entend habituellement. C'est plutôt une multitude de quartiers, comme des micro-villages, répartis dans la montagne couverte de forêt. Pour aller de l'un à l'autre, on prend un bus ou un petit train qui serpente lentement en zigzag à travers la verdure. On a vraiment le sentiment d'être loin de tout, et on comprend pourquoi cette destination est tellement populaire auprès des Tokyoïtes.
Le soir, j'ai dormi dans un petit ryôkan (auberge traditionnelle), et j'ai pu me prélasser dans un rotenburo, un onsen en extérieur. Les onsen de Hakone sont nombreux et très réputés. Le ryôkan était situé dans un quartier un peu ancien, aux ruelles étroites, assez mignon. Depuis la chambre, vue sur la montagne, on imagine difficilement plus relaxant.
Le lendemain, beau soleil, direction le lac. Ça faisait longtemps que je voulais voir le lac Ashi, c'est un point de vue assez réputé d'où, par temps clair, on peut admirer le mont Fuji. Bon, il faisait beau, mais pas à ce point-là, et le Fuji est resté caché derrière les nuages, dommage.
 






Toujours motivé par mon besoin de respirer un grand bol d'air frais, j'avais très envie de faire une balade en bateau sur le lac. Ce que je ne savais pas, c'est que les bateaux qui font la boucle sont des reproductions de galions ayant réellement existé, et représentent l'image archétypale du bateau pirate. Certes, tout est en toc et ça fait un peu Disneyland, mais pour compléter le dépaysement, ça marche bien, alors j'ai pas boudé mon plaisir.
Près du lac, on peut aussi arpenter un petit tronçon rescapé de l'ancienne route de Tôkaidô, qui reliait autrefois Tôkyô à Kyôto. Les cèdres qui bordent le chemin ont 400 ans, et tout en se promenant, on se plait à rêvasser aux voyageurs d'antan empruntant cette route, marchands, seigneurs, brigands, à pied, à cheval, ou en palanquin. Dommage que la route actuelle ait été construite si près du chemin, le bruit de la circulation gâche un peu la poésie.
J'ai terminé ma journée par une visite du Hakone-jinja, ou sanctuaire de Hakone, charmant, mais dont le torii, aux pieds dans l'eau, est assailli par les touristes, qui font la queue pour se prendre en photo devant ce paysage, il est vrai, ravissant.
De retour dans mon petit appartement à Nagareyama, le soir, j'avais du mal à réaliser que le matin même, je me baignais dans une source chaude en pleine nature. J'avais besoin de changer d'air : opération réussie !

lundi 10 septembre 2018

Digital Art Museum : Team Lab
Un nouveau musée a ouvert ses portes en juin à Odaiba. Son nom complet est Mori Building Digital Art Museum : Epson - Team Lab - Borderless... que je me permets donc d'abréger dans le titre de cet article.
Odaiba est un quartier très moderne de la capitale, c'est un peu la vitrine technologique du Japon. On y trouve par exemple le Mirai-kan, le musée du futur, un peu l'équivalent du Musée des Sciences et de l'Industrie de Paris, version nippone (c'est-à-dire avec des robots !), ou la salle de jeu JoyPolis déjà évoquée dans mon billet sur les salles de jeux. En matière de modernité technologique, le Digital Art Museum frappe fort. Pour moi, c'est du jamais vu, un vrai coup de foudre culturel que je voudrais partager avec vous.
Team Lab est un collectif d'artistes qui utilisent essentiellement des techniques de projection et des images créées sur ordinateur pour composer des environnements immersifs. Bien que le collectif soit originaire du Japon, ses oeuvres sont exposées un peu partout dans le monde, et elles sont d'ailleurs passées cet été par la Grande Halle de la Villette à Paris, pour une installation intitulée Au-delà des limites, qui vient tout juste de se clôturer. Pour ma part, j'avais découvert Team Lab totalement par hasard dans une expo à Tôkyô il y a deux ans, et déjà, j'avais eu un coup de cœur. Le Digital Art Museum est le premier lieu d'exposition permanent qui lui est consacré.
Pourquoi ce musée s'appelle-t-il "Borderless" (littéralement, "sans limite" ou "sans frontière") ? Parce que dans les dispositifs créés par Team Lab, il n'y a pas vraiment de démarcation entre l'oeuvre et le monde "extérieur", celui dans lequel nous évoluons, pas de séparation entre l'art et le quotidien. Le spectateur est plongé dans l'espace artistique, il en fait partie intégrante ; à moins que ce soit l'inverse, et que ce soit la création artistique qui se détache du cadre où elle est habituellement confinée, s'échappant du monde étiqueté "artistique", pour s'étaler dans l'espace infini de la vie séculière.
 









Le double mouvement de ce procédé répand l'art partout autour de nous, les lumières et les couleurs forment une sorte de réseau, de filet, qui relie les spectateurs. Les spectateurs, quant à eux, ne sont plus des spectateurs, ils deviennent  - ou redeviennent - des éléments de cette création artistique aléatoire, la modifiant de leurs mouvements, et ce faisant, ils participent à la même oeuvre. Il n'y a donc plus de séparation, plus de frontière, plus de limite, entre les hommes et femmes qui marchent sur Terre, c'est du moins la volonté de Team Lab.
En ce qui me concerne, j'ai surtout ressenti, en me laissant porter par les formes proposées dans le musée, une évocation des lois secrètes qui unissent l'infiniment petit à l'infiniment grand. C'est probablement mon obsession pour la physique quantique qui oriente ma sensibilité, j'en ai bien conscience. Cependant, comment ne pas percevoir la décomposition à l'infini des éléments, fleurs, animaux, lumière, comme une espèce de plongée fractale au cœur même de la matière ? Et comment ne pas mettre en parallèle cette réflexion (dans les deux sens du terme) avec le mouvement des océans, des planètes, des lumières - encore et toujours la lumière - évoqué à travers différentes installations ? Certains effets lumineux m'ont même fortement fait penser à la décomposition de l'espace-temps telle qu'elle est représentée dans le magnifique film Interstellar, (attention, spoiler !) quand le héros se retrouve au cœur d'une singularité. La vivacité des couleurs qui crépitent comme autant d'étincelles évoque parfois quant à elle le travail de Yayoi Kusama.
Illumination indicible, contemplation muette et mysticisme obscur. Une visite transcendantale, un merveilleux moment.

lundi 3 septembre 2018

Le bon-odori
Vous le savez sans doute si vous suivez régulièrement ce blog, l'été est la saison privilégiée des matsuri. Il y en a toute l'année, mais c'est surtout en juillet et en aout qu'ils ont lieu. Les traductions les plus communément admises pour "matsuri" sont "fête" ou "festival". Le matsuri est donc un évènement festif, dont l'origine est le plus souvent religieuse. D'ailleurs, la plupart des matsuri se tiennent au sein d'un temple (bouddhiste) ou d'un sanctuaire (shintô). Les matsuri se déroulant aux alentours du 15 aout, en particulier, célèbrent la fête de o-bon, une sorte de Toussaint lors de laquelle on honore les âmes des disparus.
Les formes du matsuri peuvent varier. Jusqu'ici, j'avais surtout assisté à des matsuri où des volontaires transportent un mikoshi, c'est-à-dire une sorte d'autel portatif. Un dieu est censé "résider" à l'intérieur de ce mikoshi, et de temps en temps, en général une fois par an, on juge bon de lui faire prendre l'air, et on fait ainsi circuler le mikoshi à dos d'homme (et depuis quelques années, à dos de femme aussi) à travers les rues du quartier, ce qui permet au dieu en question de saupoudrer de son regard bienveillant quelques bonnes grâces afin que la cité prospère dans la sérénité et à l'abri des malheurs. Les processions de mikoshi sont impressionnantes tant l'énergie qui s'en dégage est forte et positive. Les porteurs scandent des encouragements, le public les suit en frappant des mains, des tambours rythment le tout, c'est un moment de grande synergie. Je vous ai déjà parlé plusieurs fois de ces matsuri, vous pourrez trouver plus d'images en cliquant ici et .
Les Japonais, hommes et femmes, qui viennent assister à un matsuri en été portent généralement un yukata, un kimono léger, c'est un peu le "bel habit du dimanche" version japonaise, la classe version traditionnelle, le raffinement de la simplicité. Les yukata des femmes en particulier, avec la large ceinture (appelée obi), n'en finissent pas de ravir mes yeux. Les porteurs de mikoshi, eux, revêtent un happi, une veste ample dont les motifs représentent leur corporation (temple, association de commerçants, d'universitaires, etc.). Cool et classe à la fois, j'adore.












Parfois, le matsuri prend plutôt des allures de kermesse. Dans ces cas-là, la dimension religieuse de la manifestation est très atténuée, voire tout à fait absente. C'est le cas par exemple du matsuri d'été qu'on organise à l'école, juste avant les vacances. Les stands (appelés yatai) vendent des brochettes, des yakisoba, des kakigôri, des barbe-à-papa ou autres bananes au chocolat, ou bien proposent des jeux (tir à la carabine, pêche miraculeuse, etc.). Et on danse. C'est là où je veux en venir.
Car très souvent, dans les matsuri, on danse. Ces danses traditionnelles s'appellent bon-odori, et cette année, j'ai décidé d'y participer.
Pour le bon-odori, on dresse une estrade au milieu de la place où se tient la fête. Cette estrade est décorée en rouge et blanc, et est destinée à accueillir les danseurs les plus doués, qui donnent le rythme et servent de modèle au public dansant. Parfois, l'estrade possède deux étages, et le deuxième niveau est alors occupé par le tambour. Si l'estrade n'a qu'un étage, le ou les tambours sont disposés à son pied. Pour accompagner ces tambours, il y a toujours une personne qui frappe sur une espèce de petite cloche en forme d'assiette. Mis à part ces instruments joués en direct, la musique est diffusée sur des hautparleurs (qui produisent un son bien pourri, selon mon humble avis). Très rarement, il arrive que des chanteurs prennent le micro et chantent en direct sur un morceau-phare. Encore plus rarement, je sais que certaines scènes accueillent des groupes de musiciens, et le bal prend alors des allures de concert, mais je n'ai jamais assisté à ce type de matsuri. Pour finir, on décore toute la place avec des lanternes en papier (rouges et blanches en général), lanternes que j'associe maintenant systématiquement aux chaleurs de l'été. Autour de l'estrade, les gens qui désirent danser forment un cercle et tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Voilà, le décor est planté.
Si, les années précédentes, j'avais déjà pu apprécier le spectacle des danses bon-odori, je ne m'y étais essayé qu'une seule fois. Porté par la grâce des mouvements et encouragé par leur apparente simplicité, je m'étais glissé parmi la foule ondulante où j'avais tenté d'imiter les mouvements des danseurs pour participer à la fête. L'expérience fut de très courte durée, tant le résultat fut catastrophique. Même si j'aime danser, je n'ai pas une âme de danseur, il faut bien se l'avouer, et je dois décomposer très lentement chaque mouvement et le répéter de nombreuses fois pour le retenir. Ce que j'ai décidé de faire cette année, car la frustration m'avait laissé un esprit revanchard.
Je me suis donc collé pendant des heures devant YouTube, et j'ai répété, répété, répété les mouvements des principales danses bon-odori. Quand je me suis senti prêt, j'ai enfilé mon nouveau yukata et suis retourné au Mitama matsuri, qui fut le premier matsuri auquel j'avais assisté lors de mon premier été au Japon. Oui, oui, celui-là même où je m'étais rendu ridicule deux ans plus tôt. Et cette fois-ci, tout s'est bien passé. Certes, j'étais un peu raide au début, mes mouvements étaient embrouillés, mais le tout restait honorable, et surtout, j'ai pris un gros plaisir à pouvoir participer à la joyeuse célébration qui vibrait autour de moi.
Il existe de nombreuses danses bon-odori, et je suis loin de les connaitre toutes, mais j'en maitrise à présent au moins deux ou trois. Chaque chanson est liée à une danse bien spécifique. Par exemple, quand vous entendez la chanson Tôkyô ondo, vous devez exécuter la chorégraphie correspondante. Pour vous simplifier la tâche, un speaker annonce le morceau suivant. Le souci, c'est qu'en plus des "classiques" qu'on retrouve dans tous les matsuri (avec parfois de légères variantes, ce qui ne simplifie rien), chaque quartier possède aussi ses propres danses. En effet, bien qu'ils soient souvent tenus au sein d'un temple ou d'un sanctuaire, les matsuri sont en général organisés par les comités de quartier (très actifs, me semble-t-il, au Japon). Après le Mitama matsuri, qui rassemble une grande foule venue de toute la ville, j'ai privilégié les petits matsuri, plus conviviaux, plus familiaux, moins anonymes. Et donc, chaque quartier (ou chaque ville, si on s'éloigne de la capitale) aime avoir une chanson locale vantant ses mérites, et naturellement la danse qui lui est attachée. Impossible de les connaitre toutes, en tout cas impossible quand on est grand débutant comme moi, et qu'en plus on se promène de quartier en quartier. La tradition du bon-odori a beau remonter à 600 ans, les chansons actuellement entendues datent toutes du 20ème siècle, et si beaucoup sont assez anciennes, d'autres sont très modernes, voire franchement pop. On trouve même, parmi les danses bon-odori, des chansons consacrées à Doraemon (ce chat bleu tout mignon venu de l'espace) ou Anpaman (personnage de dessin animé très apprécié des enfants mais inconnu en France).
Pendant tout le mois d'aout, j'ai donc sillonné les matsuri du nord de Tôkyô, autour de l'arrondissement d'Ikebukuro, où je passe beaucoup de temps. Chaque weekend, je trouvais un voire deux petits matsuri où aller danser, et progressivement, j'ai pu prendre confiance en moi et m'améliorer. Les Japonais non plus ne connaissent pas toutes les danses, et ils regardent le modèle (les danseurs sur l'estrade) pour essayer d'apprendre. Moi, je ne danse que sur les chorégraphies que je connais bien, ou au moins pas trop mal. J'ai vu, au Mitama matsuri, des touristes se lancer en faisant à peu près n'importe quoi, et venant de la part d'un étranger, on a un peu l'impression qu'ils se moquent des Japonais. Bien sûr, je sais que je ne suis pas le plus doué des danseurs, et ce n'est de toute façon pas le but, mais en tant qu'Occidental, je voudrais que ma danse exprime mon respect pour ma culture d'accueil.
Une des choses qui me plait dans les bon-odori, c'est que c'est un moment de communion. Tout le monde peut participer. Ce sont souvent des femmes âgées qui mènent la danse, mais on peut voir aussi des hommes, jeunes ou vieux, en yukata ou pas, des enfants, tout le monde danse ensemble. Par contre, c'est vrai que dans les petits matsuri où je me suis rendu cet été, il y avait très peu d'Occidentaux, voire pas du tout, et le peu qu'il y avait ne dansaient pas. Ce n'est pas que les étrangers ne soient pas les bienvenus, au contraire, mais non seulement les danses requièrent une certaine initiation, mais en plus les matsuri faisant partie de la culture locale, il faut vraiment être intégré à la vie japonaise pour trouver les informations nécessaires (lieu et date), et oser se lancer. Alors quand le seul Occidental, à savoir bibi, se ramène en yukata et danse avec tout le monde, forcément, ça se remarque. Un soir, deux charmantes mémés qui regardaient les danseurs se sont mises à m'acclamer de leur petite voix, c'était trop mignon. Et puis juste après, ça n'a pas loupé, le speaker est venu vers moi avec son micro pour me poser quelques questions, il m'a demandé de lancer le morceau suivant et m'a fait applaudir par le public ! J'étais un peu gêné mais c'était rigolo, et puis surtout c'était gentil.
Voilà, vous savez à peu près tout sur mes débuts de danseur bon-odori. Et maintenant, place à la danse ! (en vidéo.) (Et je vous le dis tout de suite : non, il n'y a pas de vidéo de moi en train de danser.)