samedi 31 décembre 2022

Une pause

 Enfin une pause !
Depuis le mois de septembre, j'ai travaillé comme un Japonais, c'est-à-dire beaucoup, et je commençais à ressentir sévèrement les effets de la fatigue. Pour recharger ses batteries, rien de tel qu'un petit détour par le onsen.

C'est la troisième fois que je me rends à Yugawara. Les onsen y sont assez réputés, et ce n'est pas très loin de Tôkyô, deux heures de train maximum (il y a des trains plus rapides, mais ça coute plus cher, et quand l'objectif est de prendre son temps, à quoi ça sert d'aller vite ?). Un onsen, j'en rêvais depuis des mois ! Certes, il y a bien le spa qui s'est ouvert près de chez moi, mais un vrai onsen, c'est tout de même autre chose. Pas un truc qui ressemble à une piscine municipale, mais un petit établissement où les gens viennent en famille. J'aurais même préféré un établissement encore plus petit, avec juste quelques chambres, mais tout était complet quand j'ai réservé, alors je me suis rabattu sur ce simple hôtel, qu'on peut néanmoins appeler ryokan, même si le côté traditionnel est moins marqué que dans une petite auberge.

En général, on ne passe qu'une nuit au ryokan, mais je trouve que - même si ça fait déjà du bien - ça ne suffit pas pour totalement décompresser. Deux nuits, là, on peut vraiment changer de rythme.

A peine arrivé, direction le bain privatif, où on peut aller en couple. En chemin, je réserve un massage. Première immersion dans l'eau chaude, première décompression, on souffle un grand coup. Puis juste après, donc, le massage. Voilà, ça y est, on y est, c'est ça dont j'avais besoin. Ne rien faire, juste laisser faire. Et puis c'est déjà l'heure de manger. Les repas dans un ryokan, c'est comme une messe, pour moi. Un moment de recueillement. On regarde ce qu'on nous sert, pas juste on voit, on apprécie avec les yeux d'abord, puis on déguste lentement. Les portions sont minuscules, on croit qu'on n'en aura pas assez, on est pourtant repu avant la fin du repas.

Ensuite, on peut se poser dans la chambre. Pendant qu'on mangeait, les futon ont été installés, alors je m'allonge et je ne fais rien. Sans m'ennuyer. Je laisse tournoyer mes pensées sans forme et sans fond. Le luxe. S'offrir l'inutilité. L'inutilité qui remet tout en cause, à commencer par la notion d'utilité. Je retourne dans les bains, du côté des hommes cette fois-ci. Il n'y a presque personne. On passe d'un bac à l'autre, comme quand on tirait les photos à l'ancienne, le révélateur, qui vous ouvre le cœur, le fixateur c'est le bain extérieur, quand l'obscurité ne fait pas peur, plus peur, on peut fermer les yeux, les monstres ne viendront pas cette nuit.

Vous avez déjà regardé, observé, un nourrisson dans son lit ? C'est comme ça que j'ai dormi, moi aussi.
Comme toujours, je me réveille de bonne heure. Signe que le rythme n'est pas encore parfaitement rompu. Mais tant mieux, ça me donne l'opportunité de retourner aux bains de bon matin, juste avant le petit déjeuner. Et après le petit déjeuner ? Ne rien faire. Nous avons demandé qu'on ne fasse pas le ménage dans notre chambre, alors les futon sont toujours là. Lire, dormir. La mer n'est pas loin, j'ai déjà eu l'occasion d'aller m'y promener lors de mon précédent séjour. L'air vivifiant d'une marche iodée serait sans doute bénéfique, mais non, cette fois-ci, je ne veux pas sortir. Je ne veux rien faire, et ce n'est pas parce que je n'ai pas le moral. J'ai pris mon ordinateur, mais je me suis interdit de travailler. Je poste quelques photos sur Instagram, j'écris un peu pour mon plaisir, et puis je retourne m'allonger. Il ne faudrait pas que je me foule une vertèbre en restant assis trop longtemps.


L'après-midi, retour au bain privatif, au cas où on aurait encore à se décharger de quelques impuretés poisseuses du temps rentable. Et puis massage, encore, sans même chercher à me justifier. Je m'endors sous les mains bienveillantes de la vieille dame dévouée. Puis je retourne dans la chambre, mais je ne fais rien en attendant le diner. Puis je dine, et je retourne me reposer de tant d'agapes, il ne faudrait pas que je me blesse en digérant. Surtout, surtout ne rien faire. Et avant de dormir, il faudra bien me découvrir pour me plonger, encore et toujours, dans cette source, si ce n'est amniotique, tout au moins régénérante comme une cure de jouvenceau. En sortant du bain, les corps indolents semblent partir en fumée, mais ce n'est que la vapeur qui rend les cœurs plus légers, tandis que la chair amollie ne demande qu'à être engloutie par la profondeur moelleuse des brumes nocturnes.

Puis encore un matin, le dernier, encore un repas, le dernier, encore un bain, le dernier.
On marche sur du coton quand on rentre à la maison.
Tu peux revenir, la vie, je suis prêt.

dimanche 20 novembre 2022

Compétition de kendô

 Comme je vous le disais dans mon précédent article, je travaille beaucoup en ce moment, et je n'ai pas trop de temps pour mes loisirs, et donc pas trop de choses à vous raconter. Soit dit en passant, ce n'est pas un problème, vu que je m'éclate bien dans mon boulot. Mais histoire de vous donner quelques nouvelles tout de même, j'ai décidé de vous raconter aujourd'hui ma compétition de kendô, même si ça date déjà de plus d'un mois.

Le 10 octobre dernier, j'ai participé à ma première compétition de kendô au Japon (certains d'entre vous l'ont suivie en direct sur Instagram). Si vous ne savez pas très bien ce qu'est le kendô, je vous renvoie ici au billet que j'y avais consacré il y a quelques années. En très résumé : c'est l'escrime japonaise.
J'avais déjà eu plusieurs fois l'occasion de prendre part à des compétitions à l'époque où je pratiquais en France, et j'en gardais un bon souvenir malgré des résultats rarement glorieux. C'est l'ambiance qui m'attirait, plutôt que le podium. C'est une évidence : je n'ai pas l'esprit de compétition. Être plus fort que les autres, être le premier, ça ne me parle pas beaucoup. Bien sûr, je suis conditionné par ma culture, et je n'échappe pas totalement à ce désir de voir mon nom en tête de classement (compétition, mais aussi meilleur élève, meilleur professeur, etc.), et au plaisir ressenti quand j'y parviens, et à une certaine forme de déception quand je n'y parviens pas. Pourquoi "une certaine forme" ? Parce que là n'est pas l'essentiel pour moi. Quand je dis que je n'ai pas l'esprit de compétition, c'est que mon objectif est avant tout d'y être et de faire de mon mieux, pas de battre les autres. Je crois que je deale pas trop mal avec la notion d'échec, que j'intègre volontiers à mon apprentissage, sans pour autant tomber dans le déni quand l'insuccès me tombe dessus. Tout ça pour dire que je suis très coubertinien et je pense que l'important, c'est de participer. D'aucuns diront que je n'ai pas la gagne, que je manque d'ambition, et j'accepte la remarque, mais ça ne fait pas non plus de moi un looser. Ce qui m'intéresse vraiment, c'est d'être plus fort que moi-même. Mon plus grand adversaire, c'est moi. Je veux contrôler mon corps. J'aime me surpasser, donner le meilleur de moi-même, sentir que je fais les choses bien, sentir que je me maitrise. Si mon adversaire l'emporte, tant mieux pour lui, ça ne change pas grand-chose pour moi. Ce qui me fruste n'est pas tant de perdre que le sentiment d'avoir été inférieur à moi-même, à ce que je me considère capable de produire. Mais bien sûr, je ne boude pas mon plaisir si je gagne, car je peux considérer la victoire comme un marqueur de mon application. Ce n'est pas parce que je n'ai pas l'esprit de compétition que j'y vais pour perdre !
Bref.

Quand mon maitre - oui, ça fait drôle de parler comme ça, alors disons plutôt : quand mon sensei m'a proposé de participer à une compétition locale, je n'ai pas hésité. Il s'agissait juste d'une petite compétition réunissant tous les clubs de Nagareyama, car oui, les arts martiaux restant très populaires au Japon, il y a pas mal de clubs dans ma ville. J'avais très envie de voir comment se déroulait une compétition sur les terres natales de cette pratique, et de comparer les usages en France et au Japon.
Petite digression, avant d'aller plus loin. Vous avez peut-être remarqué que je rechigne à utiliser le vocable "sport" pour parler du kendô, même si je ne me l'interdis pas complètement. La raison en est que j'ai eu la mauvaise idée, un jour, d'employer ce mot, "sport", devant mon sensei d'autrefois, en France. Il a aussitôt vivement réagi (il avait bu un peu trop de saké) en disant que nous n'étions pas des sportifs mais des pratiquants d'arts martiaux. A l'époque, je n'avais pas bien saisi la nuance, mais avec la maturité, je comprends mieux ce qu'il voulait dire. Le kendô s'inscrit dans une longue tradition, et conserve de nombreux aspects historiques, à commencer par l'armure, héritée de celle des samouraïs. Un art martial se rattache à une philosophie, voire à une spiritualité, et pour cette raison, il est encadré de nombreux rituels très codifiés. On ne fait pas du kendô comme on fait du jogging, juste pour être en forme. Il y a une véritable quête dans la voie du sabre...
Fin de la parenthèse (sinon, je pourrais partir des heures sur ce sujet).

Je suis donc arrivé à la Kikkôman Arena, le gymnase où la rencontre avait lieu, avec plusieurs heures d'avance, afin de sentir un peu l'ambiance, et de me préparer mentalement au combat. J'ai pu observer le déroulement et m'imprégner de l'atmosphère, et j'ai constaté qu'il n'y avait pas de différence majeure entre ce type d'évènement en France et au Japon. Comme je m'y attendais, j'ai retrouvé les gens de mon ancien club. Zut, je suis encore obligé de faire une digression. A mon arrivée au Japon, j'ai pratiqué pendant plusieurs années dans un club situé pas loin de chez moi et de l'école où je travaillais. Mais comme j'ai déménagé et changé de travail, quand j'ai voulu me remettre à l'entrainement en mars dernier, après une pause de plusieurs mois, j'ai trouvé un club plus proche de mon nouveau domicile, dans le quartier d'Edogawadai. Je dois avouer que même si j'ai été poliment accueilli dans mon nouveau club, je préfèrais largement l'ambiance de l'ancien, beaucoup plus chaleureuse. Et comme de fait, tous mes anciens partenaires m'ont salué très amicalement, et j'étais très heureux de les revoir.

Au fur et à mesure que le moment de combattre se rapprochait, la pression a commencé à monter. Pas trop de pression, car comme je vous l'expliquais, les enjeux étaient assez limités pour moi. De plus, étant donné les résultats peu éclatants de mes compétitions précédentes, il aurait été illusoire et même franchement naïf de m'imaginer conquérir un titre. Mais pression un peu tout de même, liée à mon désir de produire du beau kendô, du kendô dont je me sente digne. Même si je n'ai pas l'esprit de compétition, j'aime participer à des compétitions, parce qu'on peut combattre en conditions réelles. A l'entrainement, on est là pour apprendre, pour progresser. On essaye, on rate, on recommence, on tente autre chose, et le partenaire fait pareil. Marquer un point ou en prendre un n'a aucune importance, d'ailleurs on ne compte même pas les points. Bref, à l'entrainement, on s'entraine. En compétition, plus question d'essayer pour voir, et encore moins question de se laisser marquer un point. Dans ce face à face, c'est tout le travail en amont qui se concrétise. Ce n'est plus de l'entrainement, c'est du combat. C'est là qu'est l'essence du kendô. Il y a un côté "maintenant ou jamais", "la vie ou la mort", et ça me plait. C'est là que bat le cœur du samouraï. D'où la pression. Or, si je gère plutôt bien l'échec, je gère plutôt mal le stress ! Ça aussi, ça fait parti des choses que je dois combattre en moi-même.
Enfin, mon tour arrive, et là, en entrant sur le shiaijô (l'espace de combat), je découvre mon adversaire. Il s'agit d'un homme de mon ancien club, et j'ai eu l'occasion de m'entrainer de nombreuses fois avec lui. Je connais donc bien son niveau, et je ne peux ignorer qu'il est largement supérieur au mien. Je crois bien que ce monsieur est 5e dan, alors que je ne suis que 3e dan. Vous imaginez à quel point ma confiance en moi - pourtant indispensable - a soudain fléchi ! Certes, il m'est déjà arrivé de placer de jolis coups contre lui, et dans l'absolu, tout est possible... mais dans l'absolu seulement ! Là, soudainement, le cœur du samouraï a fait prout !
Précision technique, pour ceux qui ne connaissent pas les règles : j'ai un ruban blanc dans le dos, mon adversaire en a un rouge. Les arbitres ont un drapeau de chaque couleur dans chaque main, et quand ils estiment qu'un point est marqué, ils lèvent le drapeau correspondant.
Allez, on y va. Salut rituel. Hajime ! (Commencez !) En garde. Je me concentre. Nos sabres se sondent. Nous portons la première attaque en même temps, c'est très rapide. Et là, je vois les drapeaux des trois arbitres qui se lèvent : un point pour mon adversaire ! Sérieux ? Déjà ?! J'ai rien vu ! J'ai rien senti ! On se remet en place. En garde. Hajime ! Bon, s'il marque encore un point, c'est fini. Je dois résister. Alors je résiste. Je fais de mon mieux. Attaquer droit. Bien pousser sur les hanches. J'observe. Je ne dois pas penser, je dois sentir. J'attaque, je pare. En compétition, les combats sont très courts, environ trois minutes, mais intenses, aussi bien mentalement que physiquement. On est hyper concentré, et on se donne tellement à fond qu'on en ressort totalement essoufflé. Enfin, mon adversaire, ça va, il a pas l'air trop épuisé, lui ! Je vois ses yeux qui sourient ! Ah, c'est sûr, pour lui, la compet' commence plutôt bien. Comme un échauffement, en fait. Au bout d'environ une minute, il marque un nouveau point, c'est terminé. Fin du tournoi pour moi. Je n'ai pas vraiment eu le temps de prendre du plaisir, mais pendant la durée de l'affrontement, je n'étais à rien d'autre que ce que je faisais, dans l'instant présent, c'est déjà bien.
Je passe la fin de la journée à observer les combats des autres. Mon adversaire, quant à lui, finit premier de notre groupe, il était vraiment fort. Je n'ai pas de regret à avoir, et ça tombe bien : je n'en ai pas. J'ai fait ce que j'ai pu, et je n'ai pas pu grand-chose. Mais en fait, je suis content. Je suis content d'être là, je me sens bien. Ma copine Laura me rejoint avec sa mère et je suis ravi de pouvoir partager ma joie avec elles. Oui, ma joie. Je n'ai qu'une envie : recommencer.

Que dire en conclusion ? Je peux peut-être citer les mots de ma chère Aurélie, qui m'a suivi depuis la France sur Instagram tout au long de cette journée. Mon Aurélie, qui m'a vu commencer le kendô à Issy-les-Moulineaux, et qui me voit maintenant 3e dan participant à une compétition au Japon ; ses mots : "Que de chemin parcouru..." Il est là, sans doute, l'essentiel. Merci, Aurélie, de l'avoir si bien résumé.
(Ce billet est assez différent des autres, plus personnel, j'y parle beaucoup plus de moi que du Japon. J'espère que cette lecture vous aura quand même intéressés. N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires et de vos sentiments.)

lundi 3 octobre 2022

Petite promenade à vélo

 Voilà bien longtemps que je ne vous ai pas donné de mes nouvelles. Il faut dire que depuis que je suis rentré de France, mon emploi du temps s'est considérablement chargé. En effet, j'ai une collègue qui a arrêté l'enseignement, et du coup, j'ai récupéré une bonne partie de ses cours. Je suis donc bien occupé, et je n'ai pas beaucoup de temps pour les loisirs, et par conséquent pas grand-chose à vous raconter. C'est la routine.
J'aime ma routine. Mais des fois, j'aime bien aussi m'en détacher. Aussi, jeudi dernier, quand un de mes cours a été annulé, je me suis retrouvé avec une après-midi totalement libre devant moi, ce qui est devenu assez rare. J'aurais pu en profiter pour faire du ménage, me reposer, ou avancer sur mon boulot, mais j'ai choisi une autre option : j'ai enfourché mon vélo, et je suis parti prendre l'air.



C'est une balade que j'avais déjà faite une fois, l'année dernière. On rejoint d'abord la rivière Tone (prononcé "toné"), ou plutôt le fleuve Tone, la Tone-gawa si vous préférez. Puis on remonte le cours d'eau sur un petit sentier goudronné, loin de la circulation automobile. C'est calme et très agréable, surtout que ce jour-là, il fait beau mais pas trop chaud. On longe des zones rurales, des rizières (plutôt jaunes et à sec à cette saison), on voit de belles fermes anciennes, il y a aussi des hangars plus modernes mais un peu délabrés où vaches et cochons attendent d'être changés en steaks ou en saucisses. On entend le chant des cigales et autres insectes, ça stridule, ça crisse et ça grésille comme si l'air lui-même chantait. Les sauterelles sont en pleine saison des amours, il y en a partout qui s'accouplent sur le chemin, et quand on passe, elles sautent sans cesser de se faire sauter. C'est également le royaume des libellules, on en traverse parfois des nuages mordorés, c'est impressionnant. On peut encore admirer quelques ootaka, cet oiseau de la famille des éperviers qui a donné son nom à une ancienne forêt près de chez moi (forêt dont il ne reste qu'un petit bois puisqu'il a bien fallu laisser la place au centre commercial). En français, cet oiseau s'appelle l'autour des palombes, mais je suis sûr que, comme moi, vous n'aviez jamais entendu ce nom. Il y a aussi de nombreux oiseaux qui nichent sur les berges, comme les hérons cendrés, magnifiques.

Enfin, on arrive au bout de chemin, là où le fleuve forme une fourche, et se sépare pour donner naissance au fleuve Edo. C'est la pointe de la préfecture de Chiba. Sur l'autre rive, vers l'est, c'est la préfecture d'Ibaraki, et vers l'ouest, c'est celle de Saitama, on se situe donc exactement au point de jonction des trois préfectures. On trouve là un joli petit château, le Sekiyado-jô, littéralement l'auberge de la barrière, puisqu'autrefois, ce lieu était un important point de contrôle du trafic commercial fluvial. Aujourd'hui, c'est surtout le débit de l'eau qui est surveillé. Dans le château, un petit musée rappelle cette histoire.

Puis on prend le chemin du retour en longeant, cette fois, l'Edo. On ne peut pas se tromper de route, c'est toujours tout droit. Il n'y a pas de carrefour, pas de côte, pas de camion qui vous double dans un boucan effroyable, on a juste à pédaler et à savourer sans se prendre la tête. Un seul enquiquinement, quand même, parce qu'il en faut bien un : le vent vous souffle en pleine face sans vous laisser trente secondes de répit. J'avoue que les vingt derniers kilomètres ont été douloureux, surtout au niveau des genoux. Ah oui, parce que je ne vous ai pas dit : au total, la balade fait tout de même soixante kilomètres, et on les sent bien passer.


La nuit commençait déjà à tomber quand je suis revenu dans mon quartier, mais avant de rentrer chez moi, j'ai fait un détour par le drugstore m'acheter des genouillères, parce que je n'avais qu'une crainte : ne plus pouvoir marcher le lendemain ! J'ai bien souffert mais j'étais comblé, et même un peu bronzé. Un beau début d'automne.

mercredi 31 août 2022

La France de mon enfance

 Début aout, je suis allé passer deux semaines en France. Cela faisait plus de trois ans que je ne m'y étais pas rendu. Je ne vous raconterai pas tout mon voyage, mais je me contenterai de vous livrer les impressions d'un Français expatrié sur son propre pays. L'occasion de constater les effets du temps et de l'éloignement...
Je ne suis pas japonais, et je ne le serai jamais, mais il faut croire que je me suis bien habitué à la vie japonaise, si j'en juge par le nombre de surprises que j'ai eues en revenant sur ma terre natale. Voici une liste, en vrac et non exhaustive, des choses que je ne connaissais pas sur mon propre pays, ou que j'avais oubliées, des choses qui ont changé depuis que j'ai quitté la France, que ce soit des changements factuels, ou bien des changements dans ma perception. Le tout accompagné de photos, elles aussi en vrac, prises lors de mon périple.
Dès l'aéroport, c'est une évidence : tout le monde est tatoué ! Il faut dire que les deux dernières fois où j'étais venu, c'était en hiver, quand les corps sont couverts, et que je n'avais pas pu remarquer toutes ces images qui ornent bras et jambes. Je ne suis pas choqué puisque je suis moi-même tatoué, comme à peu près tous les membres de ma famille, sans parler de ma nièce qui à elle seule comptabilise une dizaine de tatouages. Mais au Japon, le tatouage est la marque des yakuzas, et c'est pourquoi il est plutôt mal vu. Beaucoup de onsen vont jusqu'à interdire l'entrée aux personnes tatouées. Les tatouages sont donc très rares. Quelle surprise de voir à quel point ils se sont banalisés en France ! Par contre, au Japon, la tendance est aux tatouages éphémères. Une évolution ou un simple effet de mode ? Difficile à dire : les choses changent tellement vite, ici aussi.



Je n'ignorais pas les pics de chaleurs que la France a connu cet été, je l'avais lu dans les journaux, mais franchement, je m'attendais à pire, surtout en écoutant les Français s'en plaindre. Au Japon, la température n'est pas forcément plus élevée, mais le taux d'humidité est tellement important que le ressenti est beaucoup plus fort. Mes chers compatriotes, vous ne savez pas ce que ça veut dire que d'avoir chaud ! Je vous promets, ce que j'ai vu chez vous, c'est l'été, tout simplement, alors que chez moi, c'est juste comme si la rue était un hammam, et encore, j'ai connu des hammams plus frais.
Dans les escalators, les gens se placent à droite, probablement par mimétisme spontané de la circulation automobile. Mais au Japon, on roule à gauche, et on se place donc à gauche dans les escalators. J'avais déjà pu remarquer ce décalage quand mon père était venu me voir au Japon, mais cette fois-ci, il a fallu que je corrige cet automatisme sur moi-même.
Alors que je suis loin de parler couramment le japonais, l'immersion en terre nippone crée tout de même des réflexes. Ainsi, je me suis surpris, à plusieurs reprises, à commencer mes phrases en japonais, en particulier lorsque je m'adressais à des commerçants. J'espère quand même avoir évité l'effet Jean-Claude Van Damme (vous savez, le cocaïnomane aware belge qui se prend pour un Américain au point d'en oublier sa langue maternelle).
Au Japon, on enlève ses chaussures pour pénétrer chez quelqu'un. C'est un réflexe, tout le monde le fait. Même l'ouvrier qui vient installer la clim' chez vous se déchausse avant d'entrer, il serait sacrément grossier de faire autrement. De plus, on trouve toujours une paire de chaussons à l'entrée des toilettes, chaussons qui ne doivent servir que dans ce lieu. En France, la plupart du temps, c'est un peu comme on le sent. La dernière fois que j'étais venu, c'était avec ma compagne japonaise, et elle avait été très déstabilisée de voir que dans un même espace, certaines personnes pouvaient garder leurs chaussures alors que d'autres étaient en chaussons ou en chaussettes. Cette fois-ci, j'étais seul, mais ce regard, je me suis rendu compte que je l'avais intégré. A mon tour, je passais mon temps à me demander si je devais enlever mes chaussures ou pas. A chaque fois que j'allais aux toilettes en particulier, j'avais le réflexe de chercher où étaient les chaussons. Et puis tant que je parle des toilettes : la lunette froide, ça aussi c'est un détail que j'avais oublié.
Dans les magasins japonais, les prix sont indiqués hors-taxes, et il faut toujours prévoir que le total sera légèrement supérieur à la simple addition de tous les prix. Quand je faisais mes achats en France, il y avait souvent une demi-seconde, au moment de passer en caisse, où je me demandais pourquoi on me demandait de payer le prix indiqué !
A l'époque où je vivais en France, quand on voulait prendre un rendez-vous chez le médecin, on lui téléphonait et on voyait ça directement avec lui ou sa secrétaire. D'après ce que j'ai cru comprendre, ça ne marche plus comme ça ! Vous devez prendre rendez-vous sur Doctolib, c'est ça ? Je crois que si un jour, je revenais habiter en France, il me faudrait un temps d'adaptation, parce que je me sentirais perdu comme... comme un Français qui arrive au Japon !
Même la façon d'acheter un billet de train a changé ! Au moment de la réservation, vous devez donner votre nom et votre adresse email, et on vous attribue un siège, fini le placement libre. Je ne critique pas, mais c'est juste que c'est nouveau pour moi et que je ne sais plus comment m'y prendre même pour ces simples démarches de la vie quotidienne. C'est jusqu'à la forme du billet de train qui a changé. Et à propos du train : j'ai dû faire le trajet entre Rouen et Paris des milliers de fois dans ma vie. Je m'étais imaginé que cette fois, j'étais en terre connue, que j'allais retrouver tous mes repères, tous mes souvenirs. Bon sang, non, je ne reconnaissais rien ! Tout a tellement changé ! Au fur et à mesure que le nouveau paysage se déroulait devant mes yeux, je réalisais que bien évidemment, le temps ne s'était pas figé en mon absence. En France aussi, la vie a continué, et aujourd'hui, je peine à reconnaitre la France de mon enfance... Et puis, pour finir au sujet du train : beaucoup plus cher qu'autrefois et beaucoup plus lent, c'est quoi ce délire ?!
Mais en France, il y aussi des choses qui n'ont pas changé, et que j'étais content de retrouver. Dans cette catégorie, la première chose qui me vient à l'esprit, c'est la beauté des paysages de Dordogne. J'en gardais un souvenir éblouissant et je n'ai pas été déçu. Ce qui a changé, c'est que j'ai passé mon temps à prendre des photos, les yeux pleins d'étoiles, comme... comme un touriste japonais !
Ah, et le fromage français ! Je m'en suis fait une véritable cure, c'était orgiaque, indécent ! Et le pain, les croissants ! Et le flan ! Et la gastronomie du Périgord ! Fatal : en deux semaines, j'ai pris trois kilos. On va dire trois kilos de bonheur, mais quand même, dès mon retour chez moi, sport et régime obligatoires.
Encore une anecdote, en vrac : ma visite à Carrefour. Oh, miracle, je pouvais lire les étiquettes ! Je comprenais tout ! Et puis surtout : je reconnaissais beaucoup de produits qui faisaient parti de mon quotidien, et qui sont, on s'en doute, totalement sortis de ma vie. Je n'ai pas résisté à l'envie de m'acheter mon cher "gel douche surgras Cadum au beurre de karité" (et je manquais de place dans mon sac à dos pour y glisser le même version "noix de coco" !). Son parfum sur ma peau m'a pratiquement fait l'effet d'une madeleine de Proust. Tous ces produits de toilette aux parfums que j'adore (du lait après-soleil au monoï !), on ne les trouve pas au Japon, alors si vous manquez d'idée de cadeau pour quand vous viendrez me voir, fini les bouquins, de la simple crème hydratante fera mon bonheur !
Nan, je déconne : les bouquins, j'en ai acheté une dizaine, et c'est, là encore, la place dans mon sac qui m'a obligé à me limiter. J'ai beau avoir trouvé un bon rayon de livres français dans une librairie de Shinjuku, c'est pas la Fnac non plus, alors là, je me sentais comme... comme un enfant au rayon jouets en pleine période de Noël.
En deux semaines, j'ai littéralement fait le tour de France : Paris, Neuilly-Plaisance, Grenoble, Gap, Pertuis, Marseille, la Dordogne, Rouen et retour à Paris. Rouen et Paris n'ont pas trop changé, et j'ai retrouvé des souvenirs à chaque coin de rue. Pas vraiment de tout repos en tout cas, surtout qu'au milieu de tout ça, j'ai réussi à glisser des cours en ligne pour ne pas perdre contact avec mes apprenants (et pour ne pas perdre trop d'argent, aussi). J'ai tout de même pu voir quelques amis, et j'aurais tellement aimé en voir d'autres. Mais cette fois-ci, la priorité était à ma famille, et je suis vraiment heureux de m'être posé au calme parmi les miens. Malgré tous les changements, il y a des repères, des racines, sur qui on peut toujours compter.
Pourtant, je dois avouer que parfois, le fait de me sentir perdu là où je me suis senti chez moi pendant plus de 40 ans, ça m'a fichu un petit coup au moral. Ce trajet Rouen/Paris, surtout, m'a remué. Ca me semble clair, maintenant : pour moi, la France, c'est du passé. Je veux dire : c'est mon passé. Un beau passé, un passé qui n'est pas passé inaperçu, mais j'ai tellement trouvé mon équilibre au Japon que c'est bien au Soleil Levant que j'apprécie mon présent, voire même que j'envisage mon futur, si tant est que je pense à mon futur.

mercredi 27 juillet 2022

L'été sera chaud

 Au Japon comme en France, le climat a tourné maboul. Quand je dis que l'été sera chaud, je veux dire : dorénavant, l'été sera chaud...

L'été est toujours extrêmement chaud au Japon, chaud et humide, c'est un climat quasiment tropical. Même les Japonais semblent surpris chaque année, et s'exclament en boucle "Il fait chaud !" dès le mois de juin, comme si c'était inhabituel. Sauf que cette année, en effet, c'est inhabituel. Fin juin, nous avons battu des records de chaleur. Dans la foulée, la saison des pluies (qui s'étend normalement de début juin à mi-juillet) a été déclarée officiellement terminée... avec 22 jours d'avance ! C'est la première fois depuis que les relevés météo sont enregistrés.

Moi, tout heureux de voir la pluie s'arrêter si tôt, j'ai foncé à la plage. Deux heures de train jusqu'à une petite gare de campagne, auto-stop, et enfin la mer devant moi. Le bonheur à l'état naturel. Petite baignade, l'eau était encore un peu fraiche. Puis je me suis oint de crème en pensant à la chanson de Richard Gotainer (voir plus bas), avant de m'endormir sur le sable. Et je me suis réveillé en me disant : "Saperlipopette, il fait pas un peu chaud, là ? Allez, il est temps de rentrer." Auto-stop, deux heures de train, puis retour à la maison content content comme un Adonis (seuls les initiés saisiront la référence, n'est-ce pas mon frère ?😉). Je me dessape pour prendre ma douche, je croise le miroir et là, j'étouffe un cri. Pendant une seconde, j'ai cru qu'une créature s'était introduite chez moi. Quelque chose comme une écrevisse géante bien cuite, ou Elmo, ou Hellboy. Un truc très rouge en tout cas. Mais non, ce n'était que mon reflet. Je n'ai pas bronzé, j'ai brulé. Je ne vous montrerai pas la marque du maillot, mais vous ne serez pas surpris si je vous dis que pendant au moins les deux semaines qui ont suivi, je me suis enlevé des lambeaux de peau comme dans le film La mouche. Oui, c'est un peu dégoutant.


Et puis vous savez quoi ? Au moment où la saison des pluies aurait normalement dû s'arrêter... elle a recommencé ! Du coup, fini la plage, direction le musée. J'ai vu une magnifique exposition de peintures sur le thème "Dialogue avec la nature" : Monet, Van Gogh, Friedrich, Gustave Moreau, beaucoup d'autres, uniquement des chefs-d'œuvre. Outre le bonheur oculaire et cérébral d'une telle contemplation, ce qui m'a fait bizarre, c'est de pouvoir admirer les plages de ma Normandie natale et la cathédrale de Rouen sans quitter Tôkyô.
Art...



Mais l'air iodé me manquait, alors dès que ça a été possible, je suis allé à Yokohama. Tôkyô a beau être une ville portuaire, on n'y voit pas beaucoup la mer, et pour se sentir proche de la grande bleue, rien ne vaut une petite balade à Yokohama, juste en dessous de la capitale. Je voulais voir le robot géant installé sur les quais. En France, la série Gundam n'est pas aussi connue qu'a pu l'être Goldorak en son temps, ou Evangelion plus récemment, mais au Japon, ça reste une franchise très populaire, à tel point qu'un nouveau robot tiré de la série vient d'être construit (il y en avait déjà un dans le quartier d'Odaiba, posé comme une statue géante devant le centre commercial). Outre sa taille impressionnante (18 mètres), ce robot a la particularité d'être entièrement animé. Bon, il bouge carrément au ralenti, c'est clair, il faut pas compter sur lui pour défendre la Terre. Mais il est joli. Joli mais chiant, à vrai dire. Le supplément à payer pour prendre l'ascenseur et le voir de près est une vraie arnaque. Il n'y a rien à voir de près, surtout si le robot avance à ce moment-là, et qu'on ne le voit plus que de dos. Déçu, donc.




Pour se consoler, autant profiter d'être à Yokohama pour se rendre dans le fameux quartier chinois et manger du canard laqué à volonté. Le grand luxe.

Voilà donc mon début d'été au Japon. L'année dernière, je passais toutes mes nuits en sueurs, alors cette année, je me suis fait installer la clim'. Je sais que ce n'est pas bon pour la planète, et j'essaye de l'utiliser le moins possible, mais cette chaleur est tellement inédite. Je suis loin d'être un citoyen modèle. Je n'ai pas de voiture, je ne bouge qu'en vélo ou en transport en commun, je ne mange pas de viande à tous les repas, je réfrène également ma consommation de poisson, je garde mes fringues le plus longtemps possible, je prends rarement l'avion... J'aurais encore tellement de choses à améliorer. Hélas, on sait bien maintenant que les "petits gestes" du quotidien ne suffiront pas. Tous les experts le disent : la société a besoin d'un changement radical pour espérer préserver un tant soit peu la vie sur Terre, mais force est de constater que ce changement ne pointe pas le bout de son nez.
Je n'approuve pas à 100% les actions du groupe Dernière Rénovation, mais leur existence a le mérite de nous interpeler. La jeune Alizée qui s'enchaine au filet à Roland Garros, je la considère un peu comme un modèle pour les générations futures : la jeunesse qui dit non. Face à son geste, la réaction du public est choquante : Alizée a été sifflée et huée. Je comprends qu'on soit gêné, on a payé cher sa place pour voir le match, mais quand même, se donner quelques instants pour essayer de comprendre le message que ce groupe d'activistes cherche à faire passer, profiter de l'occasion pour prendre du recul et réfléchir, ça ne me semble pas trop demander à mes concitoyens, face à une jeune fille qui va passer 40 heures en garde à vue pour avoir interrompu un match pendant 15 minutes. Elle devrait presque faire figure d'héroïne. Mais non, elle est sifflée. Les gens veulent voir leur match. On ne pourra pas sauver l'humanité contre elle-même. On va tous griller. L'été sera chaud.



mercredi 15 juin 2022

Les gorges de Nishizawa

 Si vous êtes un lecteur régulier de ce blog, vous savez à quel point j'aime marcher en montagne. Et depuis qu'on a coupé les arbres devant chez moi, mon besoin de nature se faisait encore plus pressant, ces derniers temps. Je suis donc reparti faire le plein de verdure.

Depuis longtemps, j'avais repéré un endroit qui me tentait beaucoup, les gorges de Nishizawa (qu'on appelle aussi la vallée de Nishizawa). Pour une fois, ce ne sont pas les restrictions liées au coronavirus qui ont retardé le projet de m'y rendre, mais le fait que des glissements de terrain avaient rendu le sentier totalement impraticable. J'ai donc patienté, en surveillant régulièrement l'avancée des travaux de rénovation. Ensuite, il m'a encore fallu faire coïncider un jour de beau temps avec un jour où je n'avais pas de cours, ce qui, en ce début de saison des pluies devient de moins en moins évident. Dès qu'une fenêtre s'est ouverte, je me suis précipité.
Il faut vraiment être motivé pour se rendre là-bas. Debout à 4h30, presque trois heures de train jusqu'à la gare de Yamanashi-shi, puis encore une heure de bus à travers la campagne. C'est qu'il ne faut pas le rater, le bus, parce qu'il n'y en a que quatre ou cinq par jour ! Dans le bus, à part moi, seulement trois ou quatre retraités (japonais, cela va de soi, peu d'étrangers se rendent jusqu'à Nishizawa), tous équipés de bonnes chaussures de rando, comme moi.
Enfin on arrive au parking qui marque l'entrée du sentier.
Et c'est parti.
Et là, en fait, je n'ai plus grand-chose à vous dire.
On met un pied devant l'autre et on respire bien fort, c'est tout.
Quand l'air de la montagne, bien plus frais que celui de la capitale, pénètre vos poumons, on a le sentiment de se nettoyer de l'intérieur. L'humidité est vivifiante. Une promenade en forêt, au Japon, on appelle ça un "bain de forêt", et c'est une thérapie recommandée pour conserver une bonne santé. Pour moi, c'est aussi une question d'hygiène mentale.
Le sentier longe une rivière où les cascades se succèdent les unes aux autres. Le brouhaha des remous ne vous quitte pas, comme un impétueux manifeste du torrent célébrant l'indompté. Le chemin est étroit, parfois abrupt, on glisse sur les rochers, on patauge dans la gadoue. Certains passages ne peuvent se franchir qu'à l'aide d'une échelle, on progresse de tout son corps. Oui, on peut le dire : plus c'est dur plus c'est bon !
Les travaux ne sont pas encore terminés, et au bout du chemin, la dernière cascade, la plus belle parait-il, est toujours inaccessible. Je le savais avant de venir, mais je me suis suffisamment rechargé d'essentiel pour ne pas me sentir frustré.
La redescente est vraiment pépère, on voudrait même souffrir un peu plus. Quand le soleil se met à chauffer les arbres, les cigales entonnent un chant dans lequel j'entends à la fois la puissance et la fragilité de notre planète. Sa beauté, aussi.
Je me trouve une vieille gargote sombre et déserte pour me régaler d'une soupe de sobas et tempuras bien méritée, en attendant le bus du retour. Bus dans lequel je suis seul, cette fois, tout le long du trajet. Étrange atmosphère. Un singe traverse la route. Pour les Japonais, c'est aussi banal que, pour nous, de voir un lapin. Pour moi, ça reste extraordinaire.

Je rentre chez moi en poussant un gros "ah, ça fait du bien !" et je m'effondre comme une masse sur mon lit, en rêvant déjà de retourner là-bas quand les travaux seront finis, pour pouvoir marcher jusqu'au bout du chemin.